Cet appel intervint un an jour pour jour après l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) rappelant l’illégalité du réseau de murs israéliens construit en Cisjordanie — dont Jérusalem-Est — et invitant les États à faire respecter la légalité internationale [1]. Mais, si l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU) a adopté les recommandations de la CIJ, celles-ci sont restées lettre morte sur le terrain, à l’instar de la quasi-totalité des résolutions onusiennes visant Israël. Une telle impunité permet dès lors à ses dirigeants de mettre en œuvre la stratégie qu’énonçait dès 2001 Ariel Sharon, alors premier ministre : « achever » ce qui n’avait « pu l’être en 1948 », en termes d’appropriation de territoires, qu’il s’agissait de vider autant que possible de leur population palestinienne [2].
Mouvement populaire non violent
Pour faire respecter les droits du peuple palestinien dans ses trois composantes (sous occupation, en exil forcé, ou ayant pu rester dans ce qui est devenu l’État d’Israël), le mouvement BDS s’inspire de façon explicite des campagnes internationales qui ont contribué à la chute du régime d’apartheid en Afrique du Sud : un mouvement populaire non violent, ciblant non des personnes mais des institutions, des entreprises... qui ont partie liée avec l’occupation. Contre la violence quotidienne qu’elle entraîne (colonisation intensive, répression de toute forme de résistance, siège de Gaza, etc.), la campagne BDS offre à chacun la possibilité de s’engager.
En Europe, cette exigence morale se double d’autant plus d’une recherche d’efficacité que l’Union européenne et la majorité de ses États membres entretiennent des liens étroits avec Tel-Aviv sur le plan économique et commercial — sans compter les projets communs poursuivis dans les domaines de l’industrie, des technologies et de la recherche scientifique (dont certains à visées militaires). Des liens que les partisans israéliens du BDS qui mènent un « boycott de l’intérieur » considèrent comme autant de gages d’encouragement donnés aux dirigeants de leur pays. De fait, l’Union européenne représente en 2017 le premier partenaire commercial d’Israël (avec 35,3 % de ses exportations) et a associé Tel-Aviv au projet Horizon 2020, nouveau programme européen de financement de la recherche et de l’innovation, entré en vigueur en 2014 [3].
Coopération euro-israélienne intensive
Déjà, en 1996, à l’issue de la répression massive qui avait suivi les manifestations palestiniennes contre la construction d’un tunnel sous l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, le mouvement de solidarité européen était allé au-delà de la simple protestation pour réclamer des mesures concrètes en termes de sanctions. En France et en Belgique, les associations avaient ainsi obtenu le report, jusqu’en 1999, de la ratification de l’accord d’association signé en 1995 entre l’Union européenne et Israël. En vertu de cet accord, entré en vigueur en 2000, les parties contractantes s’engagent (article 2) à respecter notamment le droit humanitaire et les droits humains fondamentaux.
Tel-Aviv a mis en place un département spécial chargé d’espionner les militants du boycott et doté d’un budget important
Le mouvement de solidarité revendique donc la suspension de ce partenariat jusqu’à ce que Tel-Aviv se conforme à cet article. Pourtant, l’UE se contente de déplorer la colonisation israélienne du territoire palestinien — illégale au regard du droit international —, et d’exhorter son partenaire à y mettre un terme, tout en intensifiant sa coopération avec Israël dans le cadre de la « politique européenne de voisinage » (PEV). Bruxelles a finalement décidé en 2013 (avec une mise en œuvre en 2014) de lignes directrices : elle écarte des projets qu’elle finance les entreprises ou institutions travaillant avec les colonies ; elle exclut les produits des colonies de ceux bénéficiant d’avantages fiscaux ; et elle impose leur étiquetage. Mais l’UE n’a toujours pas interdit l’entrée de ces produits sur son territoire...
À mesure que BDS se développe, les dirigeants israéliens s’inquiètent. Car le mouvement progresse dans de nombreux pays, soutenu par d’importantes confédérations syndicales (comme en Afrique du Sud et au Royaume-Uni), des organisations paysannes ou étudiantes, des Églises... Et il marque des points. Des fonds de pension (en Norvège, aux Pays-Bas, aux États-Unis, etc.), des universités (comme Harvard) retirent leurs investissements d’entreprises israéliennes travaillant pour la colonisation. L’entreprise française Veolia, par exemple, qui a contribué à la construction du tramway reliant Jérusalem-Ouest à des colonies, a fini par se désengager des transports israéliens. De fait, le procès engagé à l’encontre de Veolia par l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et par l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a fini par nuire à sa réputation et à menacer plusieurs de ses contrats internationaux.
Devant l’érosion de son image sur le plan international et les coups de boutoir portés par la campagne BDS à travers le monde, Israël est passé à l’offensive. En août 2015, le quotidien Haaretzconfirmait que les dirigeants israéliens avaient mis en place un département spécial chargé d’espionner les militants du boycott. Doté d’un budget important, ce « département de délégitimation » du boycott travaille en étroite collaboration avec les services secrets israéliens et le renseignement militaire [4]. De plus, l’entrée du territoire israélien est susceptible d’être interdite à tout ressortissant étranger impliqué dans les actions de BDS.
Isabelle Avran
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