Une semaine après le tir de son nouveau missile balistique intercontinental Hwasong-15, la Corée du Nord recevait cette semaine le secrétaire général adjoint des Nations unies aux affaires politiques, Jeffrey Feltman. C’est la première fois en six ans qu’un responsable onusien de ce niveau se rendait à Pyongyang, où il a rencontré, jeudi 7 décembre, le ministre des affaires étrangères Ri Yong-ho. Une telle visite était demandée par le régime nord-coréen depuis septembre. Les Etats-Unis ont démenti, mercredi 6 décembre, avoir demandé à M. Feltman de transmettre un message en leur nom.
Cette visite intervient après les appels lancés par Washington pour une stricte application des sanctions imposées par l’ONU à l’encontre de Pyongyang. Les Américains ont demandé à la Chine de cesser ses livraisons de pétrole à la Corée du Nord, une exigence rejetée notamment par la Russie, qui redoute les conséquences humanitaires d’une telle mesure. Même s’ils s’opposent aux programmes nucléaire et de missiles nord-coréens, Pékin et Moscou sont traditionnellement rétifs aux sanctions, privilégiant le dialogue et entretenant des liens économiques avec le régime.
Une forte progression du commerce bilatéral
Le 24 novembre, les douanes chinoises ont annoncé une chute de 62 % des importations de la Corée du Nord, par rapport au même mois de 2016. Elles reculent pour le 8e mois consécutif. Les échanges n’ont pas dépassé 334,9 millions de dollars (284,5 millions d’euros), 36 % de moins sur un an. Une baisse qui pourrait traduire une application plus stricte des sanctions.
Dans le même temps, même s’ils représentent 1,2 % du commerce extérieur nord-coréen contre 92,5 % avec la Chine, les échanges semblent progresser avec la Russie. Passé de 112,7 millions de dollars en 2013 à 76,9 millions en 2016, le commerce bilatéral, essentiellement du charbon et des produits pétroliers, mais également des véhicules et du textile, a explosé au 1er trimestre 2017 pour atteindre 31,4 millions de dollars, selon les douanes russes. Plus de 40 000 Nord-Coréens travailleraient en Russie, jusque sur les chantiers des stades de la Coupe du monde de football 2018.
Une connexion Internet a été établie entre les deux pays en octobre, la deuxième avec l’extérieur pour la Corée du Nord après celle créée avec la Chine. En août, NKorean, une agence de voyages spécialisée dans les voyages en Corée du Nord, a ouvert à Moscou.
Fin novembre, une délégation de parlementaires russes a séjourné à Pyongyang. Le 12 octobre, à l’occasion du 69e anniversaire des relations entre les deux pays, Sergueï Mikhaïlov, le directeur général de l’agence de presse TASS, a rencontré Ri Yong-ho dans la capitale nord-coréenne.
Une priorité de Vladimir Poutine
Ces initiatives suivent l’annulation en 2014 de 90 % de la dette nord-coréenne envers l’URSS, estimée à 11 milliards de dollars, les 10 % restants étant crédités sur un compte ouvert à la banque russe Vnesheconombank (Banque de développement et des affaires économiques extérieures). Il y a eu également des accords de coopération et d’investissement, et des décisions facilitant l’obtention de visas pour les hommes d’affaires russes.
La Russie veut renforcer sa présence car, explique James D.J. Brown, de l’université américaine Temple, « la péninsule coréenne est vitale pour le développement de l’Extrême-Orient russe ». Lequel est une priorité pour le président Vladimir Poutine. Le ministre chargé de ce dossier, Alexandre Galouchka, est aussi à la tête de la commission sur la coopération avec la Corée du Nord et entretient un contact direct avec le ministre du commerce nord-coréen Ri Ryong-nam.
« Le régime nord-coréen cherche à réduire son extrême dépendance à la Chine en augmentant les contacts avec la Russie », analyse pour sa part Liudmila Zakharova, du KEI, l’institut économique de Corée, un centre de réflexion basé aux Etats-Unis.
Parmi les zones économiques spéciales créées depuis 2012 pour attirer les investissements étrangers, l’une des plus actives est celle de Rajin, dans le Nord-Est. Russes et Nord-Coréens y ont renforcé les infrastructures de transports ferroviaire et portuaire. Des ferries naviguent, depuis le mois de mai, entre Vladivostok et Rajin, port de transit pour des échanges russo-chinois notamment.
Dans la résolution adoptée en septembre par le Conseil de sécurité de l’ONU après le sixième essai nucléaire nord-coréen, Moscou a obtenu que les coentreprises créées dans la zone économique réunissant Rajin et Khassan (Extrême-Orient russe) soient exclues du régime de sanctions.
Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)