Loin d’être organisés par des « minorités agissantes », ce sont des centaines voire des milliers d’étudiantEs qui se réunissent chaque semaine dans les assemblées générales, alors que les vacances et les partiels approchent.
Malgré les menaces, le mouvement contre la sélection s’étend dans les universités
Le lundi 16 avril, ce sont 5000 étudiantEs, personnels et enseignantEs qui se sont réunis à Rennes contre le plan étudiants. La semaine précédente, ils n’étaient encore que 2500. Sauf à croire qu’à Rennes 2 il y aurait 5 000 militantEs d’extrême gauche, le mouvement en cours est bien un mouvement de masse.
À Paris, les seules universités épargnées par le mouvement sont Assas et Dauphine, c’est-à-dire le repaire de l’extrême droite et l’école de formation des cadres du CAC 40… La Commune libre de Tolbiac est occupée depuis trois semaines et demie, et les facs du Mirail et de Montpellier 3 sont elles aussi en blocage illimité.
Contre la sélection… et au-delà
Le mouvement s’étend et prend chaque jour un peu plus d’ampleur. En cause, la sélection à l’université, mais pas uniquement ; derrière le mouvement en cours, c’est un malaise plus vaste qui s’exprime, celui d’une jeunesse qui sait qu’elle sortira de la fac pour aller à Pôle emploi, ou qui au mieux devra faire de l’intérim pendant plusieurs années avant d’espérer trouver un contrat stable. Derrière les occupations d’universités s’exprime la volonté de défendre et reprendre une fac que le gouvernement est en train de détruire. Car c’est bien la destruction de l’université telle qu’on la connaît qui est en cours : malgré les promesses répétées de la ministre, une note du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a révélé qu’unE bachelierE pourrait se voir répondre « non » à toutes ses demandes d’orientation, là où Frédérique Vidal avait expliqué que touTEs les étudiantEs auraient droit à continuer dans l’enseignement supérieur… Un mensonge éhonté qui confirme ce que disait la sociologue Leïla Frouillou dans un tribune début janvier : la loi ORE va transformer les universités, instances de reproduction sociale, en des structures d’exclusion sociale.
Répression… et riposte
Si le mouvement continue de se développer, le gouvernement poursuit de son côté sa politique répressive en tentant pas tous les moyens d’éviter que de nouvelles facs entrent dans des dynamiques d’occupation et de blocage. Lundi 9 avril, à Nanterre, le président de l’université, Jean-François Balaudé, a demandé l’intervention des forces de répression pour empêcher une AG de se tenir. Résultats des courses : un étudiant à l’hôpital, sept en garde à vue, dont trois qui sont déférés au parquet pour « dégradations » et « violences contre les forces de l’ordre ». À Lille, les CRS gardent les portes des centres d’examens, tandis qu’à Montpellier, la BAC et les CRS cassent les manifestations. 50 ans après l’expulsion des étudiantsE de la Sorbonne le 3 mai 1968, les CRS sont à nouveau rentrés en Sorbonne pour sortir par la force à peu près autant de jeunes qui réclamaient simplement de faire une assemblée générale contre la sélection.
Face à cette escalade répressive, qui s’exprime aussi dans les appels répétés de Georges Haddad, président de l’université Paris 1, à expulser Tolbiac, la réponse des étudiantEs a souvent été tout simplement d’exprimer leur solidarité et de durcir le rapport de forces : après la garde à vue des sept étudiants nanterrois, une AG de 700 personnes est venue réclamer leur libération devant le commissariat. À Tolbiac, lors de la menace d’évacuation mercredi 11 avril, en seulement une heure, près d’un millier de soutiens sont venus appuyer la Commune libre de Tolbiac ; cheminotEs, habitantEs du quartier et enseignantEs se sont rassemblés pour dire aux CRS : « No pasaran ! »
L’enjeu des partiels
Alors que les vacances ont commencé dans certaines universités et que les partiels approchent, rien ne semble pouvoir réellement arrêter le mouvement contre la sélection. Dans de nombreux centres universitaires, les enseignantEs aident les étudiantEs à bloquer les centres d’examens et/ou à obtenir des aménagements pour les partiels. C’est le dernier verrou sur lequel compte Macron pour forcer les étudiantEs à rester dans leurs salles de cours. « Il n’y aura pas de diplômes en chocolat » a-t-il ainsi annoncé sur TF1 face à Jean-Pierre Pernaut, espérant que la pression des partiels suffirait pour éteindre l’incendie. Mais dans de nombreuses universités, les enseignantEs ont tout simplement refusé d’organiser les partiels.
Le mouvement étudiant a perdu contre la LRU ; il a perdu contre les retraites et la loi travail. Mais jamais la sélection n’a réussi à être imposée à l’université. Que ce soit en avril 1968, à l’initiative d’Alain Peyrefitte ou à l’automne 1986, avec la loi Devaquet, le mouvement étudiant a toujours réussi à défendre l’acquis selon lequel que toutE bachelierE pouvait entrer à l’université. Aujourd’hui, cette conquête est remise en cause et une mobilisation d’ampleur nationale est en train de voir le jour. Pour la faire gagner, il ne manque plus que la volonté d’agir ensemble selon un même plan de bataille. C’est ce que Macron craint, à nous de le mettre en œuvre.
Georges Waters
La Commune libre de Tolbiac, foyer de résistance face au plan étudiants
Interrogé par Jean-Pierre Pernaut il y a quelques jours, le président Macron avait à peine parlé des étudiantEs, se contentants de dénoncer les « professionnels du désordre » et d’inviter les étudiantEs à ne pas compter sur un « examen en chocolat ». Dimanche dernier, face à Plenel et Bourdin, Macron a encore une fois expliqué que la mobilisation était le fruit d’une poignée de militants radicaux.
Droit dans ses bottes, Macron a affirmé que dans l’ensemble des universités occupées les étudiantEs étaient « minoritaires ». Dès lors, pour justifier l’absence d’intervention policière sur l’université de Tolbiac, Macron devait nécessairement contourner la réalité, arguant que, le bâtiment étant « une tour », il était « dangereux de faire intervenir les forces de l’ordre. » Un argumentaire mobilisé par le Figaro quelques jours plus tôt, qui sert à masquer la réalité du poids politique grandissant de l’université parisienne occupée depuis maintenant trois semaines.
Convergence en actes
Exemple frappant, la veille au soir Tolbiac vibrait au son des interventions des cheminotEs et d’un concert à l’occasion de la « Fête de soutien aux cheminotEs » organisée par les occupantEs. La soirée a permis de recueillir près de 6 000 euros pour la caisse de grève. Avec au moins un millier de personnes présentes, l’énorme succès de la fête a ainsi confirmé le caractère central de Tolbiac dans la « convergence des luttes » dont on a si souvent entendu parler ces dernières semaines.
Depuis le début de l’occupation, le centre Pierre-Mendès-France (PMF, rue de Tolbiac) accueille de nombreux travailleurEs en lutte, qu’ils et elles soient cheminotEs, postierEs ou hospitalierEs. Vendredi 13 avril, une manifestation appelée par Sud Rail a débuté devant Tolbiac et a vu tout simplement fusionner les cortèges étudiantEs et cheminotEs venus des gares et facs d’Île-de-France. En dépit de l’annulation des cours, de nombreux enseignantEs et intellectuels continuent d’animer les lieux. Toutes les menaces d’expulsion policière ont donné lieu à des élans de solidarité extraordinaire, réunissant à chaque fois plusieurs milliers de personnes pour -protéger la fac ouverte.
Macron pourra nier tant qu’il le voudra la « coagulation des luttes » en cours, la taille des AG et l’ampleur des rassemblements de soutien témoigne à eux seuls de l’extension du mouvement des travailleurEs et des étudiantEs contre le gouvernement. Pour continuer d’empêcher toute inter-vention policière à Tolbiac, il s’agit de poursuivre le travail de construction d’une mobilisation en convergence avec les -travailleurEs en lutte.
Pablo Morao
5000 « agitateurs professionnels » votent la poursuite de la mobilisation à Rennes 2 !
Alors que Macron s’obstine à ne pas voir la révolte qui monte chez les étudiantEs et les travailleurEs, la mobilisation était bien au rendez-vous encore une fois à Rennes 2 le 16 avril.
Une assemblée générale rassemblant 2 500 personnes s’était réunie le 10 avril, et avait voté l’occupation et le blocage de la fac jusqu’au 16. Une semaine qui a été mise à profit pour organiser des manifestations, actions, distributions de tracts, et élargir le noyau (conséquent) des étudiantEs mobilisés. Le 16 avril, ce sont près de 5 000 étudiantEs qui étaient présentEs en AG à Rennes 2 pour continuer la mobilisation contre la loi Vidal et toutes les attaques du gouvernement Macron.
Le président de Rennes 2 a perdu son pari d’appeler les étudiantEs à venir en AG pour voter le déblocage de la fac. La semaine d’occupation a réussi à convaincre de plus en plus de monde qu’il est temps d’engager un bras de fer contre le gouvernement, que l’on n’attendra pas le cinquantenaire de mai 1968 pour se mobiliser, que c’est un avril 2018 qu’il faut enclencher dès maintenant.
La force de cette AG était bien de mettre en perspective toutes les attaques de Macron/Philippe : destruction du service public du rail, sélection à l’entrée de l’université, répression ultra-violente sur la ZAD et à Nantes, mépris contre la lutte des facteurEs en grève à Rennes depuis trois mois.... La convergence des luttes est bel et bien dans les têtes, à nous de la faire éclore ce printemps !
Ce qui est sûr, c’est qu’il n’y aura pas de mobilisation en chocolat à Rennes 2 !
Correspondant
Quel plan de bataille pour gagner contre la sélection à l’université ?
Pourquoi Macron n’a-t-il pas peur du mouvement étudiant qui se développe ? Alors que certaines assemblés générales atteignent des fréquentations jamais vues, comme à Rennes 2, le gouvernement semble (relativement) tranquille face aux étudiantEs mobilisés contre la sélection.
Malgré l’aspect massif de la mobilisation, ce qui ressort est une difficulté à fixer de grands rendez-vous communs, qu’il s’agisse de dates de manifestations ou d’actions. Le 22 mars en était un, mais entre cette date et le 19 avril, aucune manifestation n’a réussi à faire venir plus de 10 000 étudiantEs dans la rue, même si, à l’échelle de la région parisienne, le nombre de personnes réunies dans diverses AG chaque semaine dépasse ce chiffre.
Absence de direction
Avec l’effondrement du PS sous Hollande et notamment l’épisode de la loi El Khomri, ce sont tous ses satellites plus ou moins lointains qui ont subi les contrecoups de la politique des socialistes, de l’UNEF aux Jeunesses communistes (JC). Le bureau national de l’UNEF est aujourd’hui incapable de prétendre diriger le mouvement contre la sélection. Il n’est d’ailleurs ni un interlocuteur sérieux pour l’Élysée ni pour les médias. Si de nombreux membres de l’UNEF continuent à militer dans les facs, beaucoup s’éloignent, voire désavouent la politique de leur bureau national. Face à cela, La France insoumise, qui a été « purgée » de la direction nationale de l’UNEF l’été dernier, n’arrive pas non plus à imposer ses perspectives. En témoigne l’échec au niveau national de la marche du 14 avril, que les mandatés La France insoumise à la Coordination nationale étudiante (CNE) de Nanterre (7-8 avril) voulaient transformer en des « manifestations de masse partout en France ».
Le gouvernement mise sur le fait que le mouvement reste sans direction, qu’il reste une constellation de mouvements locaux sur chaque fac peinant à mettre en œuvre un plan de bataille national. Dans ce sens, la tentative de la construction d’une CNE, vouée à rassembler des représentantEs élus de toutes les facs mobilisées, et à donner des perspectives, est fondamentale. Trois CNE se sont déjà réunies, à Montpellier, Le Mirail et Nanterre, pour tenter de trouver le moyens, nationalement, de lutter contre la sélection et d’accentuer le rapport de forces.
Se coordonner
Face à ces difficultés, la première priorité est de trouver les moyens de coordonner toutes les facs et de se doter d’un plan d’action pour battre Emmanuel Macron. La CNE de Nanterre était une première tentative pour cela, qui a partiellement réussi : il faut renforcer l’auto-organisation par les assemblées générales et les coordinations. À ce titre, la politique d’un certain nombre d’universités, où les tendances autonomes dirigent la mobilisation, de bouder les cadres de discussions avec les autres tendances politiques, est délétère : elle laisse le champ libre à la direction de l’UNEF et aux Jeunes Insoumis pour donner leurs perspectives, sans prendre en compte ce qui se passe à Bordeaux, Rennes 2, Nantes ou encore Paris 8, qui sont des universités très mobilisées, et plus généralement sans prendre en compte l’avis de la grande majorité des étudiantEs mobilisés. Elles contribuent à l’isolement et le renfermement sur soi des facultés mobilisées, empêchant de fait une massification du mouvement contre la sélection. Ces coordinations sont plus que nécessaires pour faire émerger des dates de communes de mobilisation à l’échelle nationale, ainsi que des revendications claires contre un gouvernement qui cherche à détruire l’université publique.
Développer l’auto-organisation
Au delà des questions de calendrier, qui sont essentielles pour établir un plan de bataille contre la sélection et son monde, il faut que les étudiantEs décident eux-mêmes de leurs moyens de mobilisation et de leur calendrier. Face à cela, les Jeunes Insoumis et la direction de l’UNEF sont des obstacles à la construction d’un réel mouvement auto-organisé. Lors de la CNE de Nanterre, plutôt que de proposer de pérenniser un cadre de coordination primordial pour structurer la mobilisation, les dirigeants insoumis ont proposé de repousser la prochaine rencontre deux semaines plus tard, en plein milieu des vacances, plutôt que de se revoir la semaine suivante. Une manœuvre coordonnée avec la direction de l’UNEF, qui espère toujours pouvoir être le représentant légitime de la jeunesse, malgré ses reculs incessants. Toujours coordonnés, les Insoumis et la direction de l’UNEF ont refusé que des porte-parole mandatés par la coordination puissent être élus ; un moyen de faire en sorte que Lilâ Le Bas (présidente de l’UNEF), Jean-Luc Mélenchon ou François Ruffin restent les visages de la lutte contre la loi ORE et son monde.
La prochaine coordination nationale doit être l’occasion d’avancer vers un mouvement étudiant d’ensemble qui se donne ses propres moyens de lutter. Le mouvement continue de se développer, il faut maintenant déterminer où il ira.
Georges Waters
ÉtudiantEs-salariéEs : vers un Mai 2018 ?
Comme un vent de Mai 68 : le parallèle entre cet événement politique majeur et la mobilisation qui a cours aujourd’hui contre le gouvernement Macron est sur toutes les lèvres. Et on est loin de se limiter à une simple coïncidence temporelle.
Il y a tout d’abord la forme que prend la mobilisation étudiante contre la sélection à l’université, à savoir un mouvement d’occupation des universités qui touchent de nombreuses facs, certaines pour la première fois. La tentative d’occupation de la Sorbonne survenue récemment – et son évacuation – rappelle l’expulsion des étudiantEs de l’édifice, survenue le 3 mai 1968, qui déboucha une semaine plus tard sur la « nuit des barricades » où les étudiantEs s’affrontèrent aux CRS pour défendre le quartier Latin.
L’étincelle étudiante
C’est en soutien aux étudiantEs de la Sorbonne réprimés que commença, le 13 mai 1968, le plus grand mouvement de grève générale de l’histoire de France, qui allait conduire à une remise en cause profonde du régime gaulliste, et provoquer une crise politique majeure. 50 ans après, c’est bien le fait de recommencer, et de construire cette convergence étudiantEs-travailleurEs, qui serait la meilleure manière de fêter cet anniversaire.
Un constat d’autant plus vrai que, si les étudiantEs se mobilisent aujourd’hui, c’est pour défendre les acquis de l’université obtenus de haute lutte lors de ce joli mois de mai. Le 24 avril 1968, le Conseil des ministres traite des mesures envisagées pour « contrôler et normaliser la croissance des effectifs des étudiants », autrement dit introduire la sélection à l’université. La révolte de mai dissuadera les classes dominantes de ce projet et pour longtemps : il faudra attendre 1986 et la loi Devaquet pour qu’elles le retentent… et qu’elles reculent à nouveau face à la mobilisation qui leur fait face.
Convergences
Aujourd’hui, Macron, galvanisé par sa posture jupitérienne, et par le peu de réactions que ses attaques avaient suscité durant les premiers mois de son mandat, pense pouvoir nous reprendre cet acquis. Si il y a actuellement très peu d’enfants d’ouvrierEs (environ 10 % alors qu’ils représentent 29,2 % des jeunes) à l’université, le projet du gouvernement aura pour conséquence de leur en interdire purement et simplement l’accès. À nous de lui montrer qu’il se trompe en pensant pouvoir faire passer sa contre-réforme, à nous d’imposer une université gratuite et ouverte à toutes et tous… et pas seulement sur le papier.
Ce dernier point est l’un des aspects centraux de la convergence avec les travailleurEs, et en particulier avec les cheminotEs. Si nous nous battons à leur côté, c’est bien parce que la perspective d’une université où leurs enfants puissent accéder les concerne aussi, tout comme la casse du service public ferroviaire nous concerne toutes et tous. Surtout, le mouvement ouvrier et le mouvement étudiant ont un potentiel explosif qui fait peur à n’importe quel gouvernement : c’est la principale leçon que nous pouvons tirer de Mai 68. 50 ans après, le combat continue !
Renaud M.