L’avocat chinois Liang Xiaojun a pris l’habitude d’être retenu avant de prendre l’avion – et parfois empêché d’embarquer. Début mars, l’avertissement « condamné pour séparatisme » est apparu sur la machine utilisée par la police pour scanner sa carte d’identité avant qu’il s’envole pour la région de Mongolie intérieure. Or, précise-t-il, « je n’ai jamais été accusé ni condamné pour séparatisme ». Peut-être est-ce en lien avec l’un de ses clients : il représente un Tibétain jugé en janvier pour incitation au séparatisme. « A moins que ce soit ce que j’écris sur la messagerie WeChat ? », s’interroge M. Liang.
On l’a finalement laissé embarquer. Pas comme en août 2015, lorsqu’il avait été carrément empêché de s’envoler pour un semestre d’études à New York. L’ordinateur affichait : « Danger pour la sécurité nationale. » Sans doute, devine-t-il, parce qu’il était proche de certains des avocats des droits de l’homme arrêtés quelques semaines plus tôt.
Les déboires de M. Liang sont typiques des personnes que leurs activités « sensibles » placent sur des listes noires secrètes, aux critères mystérieux. A ce titre, elles servent de cobayes à l’ambitieux système de « crédit social » que la Chine met en place depuis 2014 : celui-ci se construit pour l’instant autour d’une sanction principale, l’interdiction d’emprunter un avion ou un train.
Mise à l’index
Environ dix millions de passagers du transport aérien et quatre millions du ferroviaire se sont vu imposer entre 2013 et mars 2018 des restrictions partielles ou totales à l’achat de billets pour n’avoir pas exécuté la décision de justice à laquelle ils ont été condamnés après épuisement des recours. Parmi eux, 6,2 millions furent entièrement interdits d’avion.
Cette mise à l’index des inculpés ou débiteurs défaillants par les cours de justice répond certes à un problème bien réel : la difficulté pour l’Etat chinois de faire appliquer les décisions de justice. La Cour suprême chinoise, qui supervise le dispositif, se félicite qu’il ait contraint des dizaines de millions d’individus à se conformer à leurs obligations ou à négocier un arrangement.
C’est ce succès initial qui a poussé les autorités chinoises à étendre à d’autres domaines d’infractions l’interdiction de voler ou de prendre le train. Depuis le 19e Congrès du Parti communiste chinois en octobre 2017, les cadres sont incités à « mettre diligemment en œuvre » les instructions sur la « construction d’un système de crédit et de sanction selon lequel tout devient limité, une fois que la confiance est perdue ».
Ainsi, à partir du 1er mai, une nouvelle série de fraudes et de manquements légaux en tous genres viendra s’ajouter au défaut d’exécution des décisions de justice. Annoncée début mars par l’Agence de planification chinoise aux côtés d’une dizaine d’entités publiques, cette nouvelle phase du système de crédit social, baptisée « action disciplinaire conjointe », va sanctionner par des restrictions sur l’achat de billets d’avion et de train toute une gamme de comportements délictueux dans les transports – du non-respect de l’interdiction de fumer à la fausse alerte à la bombe –, mais aussi dans le domaine de la fiscalité et de la gestion financière, boursière et d’entreprise : usage de faux, défaut de paiement des cotisations sociales…
La liste doit s’étoffer. Et d’autres domaines d’interdiction pourraient voir le jour. « Se met en place un système de listes noires, qui punit par une sanction dans un domaine une mauvaise action effectuée dans un autre, explique Maya Wang, de l’ONG Human Rights Watch à Hongkong. L’ambition finale va beaucoup plus loin : il s’agit d’évaluer une multitude de comportements dans tous les domaines. »
Le « crédit social » en question n’est pas une « notation » de chaque citoyen par un score et rien n’indique que celle-ci verra jamais le jour, rappelle sur le blog China Law Translate l’observateur de la gouvernance chinoise Jeremy Daum. Il renvoie davantage, selon lui, à « une politique ou une idéologie d’utilisation des données ». Sur le site Internet de promotion du crédit social (www.creditchina.gov.cn), on peut lire d’innombrables dissertations sur les valeurs traditionnelles chinoises. Il s’agit, annonce le site, d’établir une « culture d’honnêteté et d’intégrité ». Le système devra « être essentiellement mis en place d’ici 2020 ».
LA FERVEUR DISCIPLINAIRE POUSSE AUJOURD’HUI LES VILLES CHINOISES À UNE COURSE AUX ÉQUIPEMENTS DE DÉTECTION
Depuis le 1er janvier, toute personne morale est dotée d’un code de crédit social unique. Les individus, eux, restent identifiés par leur numéro de carte d’identité, dont la puce électronique stocke déjà de multiples données. L’objectif peut sembler louable : apporter une solution systémique à l’empire de la fraude qu’est la Chine, en repérant, grâce à l’intelligence artificielle et aux données numériques, les comportements délictueux au niveau des individus, des entreprises, mais aussi, en théorie, des agents publics.
Cette ferveur disciplinaire pousse aujourd’hui les villes chinoises à une course aux équipements de détection – à commencer par les outils de reconnaissance faciale, permettant d’identifier dans une foule ou sur des photos en ligne des suspects recherchés ou des gens disparus. Le système Sky Net de caméras installé dans 16 municipalités et provinces chinoises aurait ainsi permis de confondre 2 000 fugitifs en deux ans. Et des policiers ont même testé en février dans une gare de Zhengzhou, capitale de la province du Henan, la reconnaissance faciale incorporée à des lunettes.
« Contrôlocratie »
Les Chinois ont pour beaucoup une attitude ambivalente face à cette profusion de gadgets de surveillance ou de contrôle. Le droit à la vie privée est fragile en Chine – en raison d’abord d’un Etat de droit déficient. En outre, l’expression yinsi (« vie privée », en chinois) évoque plus le secret et la clandestinité qu’un espace individuel sacro-saint.
Ces avides utilisateurs de smartphones et des réseaux sociaux n’en ont pas moins appris du reste du monde à dénoncer les atteintes à la vie privée émanant d’entreprises ou de hackeurs. Les scandales ne sont pas rares : les développeurs d’une application d’agrégation de contenus, Jinri Toutiao, ont par exemple été accusés récemment d’écouter les appels téléphoniques à l’aide du micro du smartphone et de proposer des publicités en lien avec les conversations.
En revanche, les intrusions d’origine étatique et sécuritaire dans la vie quotidienne sont surtout vues comme un progrès bienvenu pour des services de police et de justice longtemps perçus comme inefficaces et corrompus. « La première chose qui me vient à l’esprit quand je vois toutes ces caméras, tous ces contrôles de cartes d’identité, c’est que je suis en sécurité », nous dit Monica Wang, une jeune chef d’entreprise.
Obnubilé par la défense du régime, l’Etat policier chinois met en effet moins d’ardeur à résoudre les délits de droit commun qu’à contrôler les dissidents ou censurer les réseaux sociaux. Or, ce biais, craignent les militants des droits de l’homme, ne va pas s’estomper avec la montée en gamme de la « contrôlocratie » (selon l’analyste politique norvégien Stein Ringen) de Xi Jinping. Les représailles exercées à l’encontre d’un dissident et sa famille – pressions sur l’employeur, le propriétaire ou l’école des enfants – pourraient se traduire par des sanctions « automatiques » et possiblement inamovibles et opaques, dans divers domaines.
« Le système de crédit social n’est pas une mauvaise chose pour la Chine, il y a un vrai besoin, dit l’avocat Liang Xiaojun. Mais il risque d’être vite utilisé de manière détournée. L’appareil policier s’en sert par exemple pour mieux contrôler des personnes ciblées et non parce qu’elles enfreignent la loi. »
Pour Maya Wang, de Human Rights Watch, se profile en Chine une moisson sans limite de données sur les citoyens à des fins de surveillance et de contrôle – dont les données biométriques (ADN, caractéristiques du visage) ou encore les échanges sur les réseaux sociaux. « C’est une violation directe du principe de protection des données personnelles. Celui-ci impose que le citoyen comprenne clairement quelles données on garde sur lui, qu’il donne son accord et que ces données restent dans un périmètre très précis, comme le médical », explique-t-elle.
L’ONG dénonce ainsi l’expérience de « police prédictive » dont la région autonome ouïgoure du Xinjiang sert de terrain d’essai. Ses habitants musulmans sont vus avec suspicion par Pékin. Une multitude de données privées captées par la surveillance électronique ou humaine, comme l’assiduité à la prière ou le fait de contacter des personnes à l’étranger, servent à imposer à des personnes des sessions de rééducation en centre de détention. « En Chine, les lois sont vagues et l’arbitraire domine, dit Maya Wang. C’est la recette parfaite pour une vraie catastrophe. »
Brice Pedroletti (Pékin, correspondant)
* « En Chine, le fichage high-tech des citoyens ». LE MONDE | 11.04.2018 à 11h20 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/04/11/en-chine-le-fichage-high-tech-des-citoyens_5283869_3216.html
Les start-up surfent sur les besoins de l’Etat policier
Le pouvoir chinois et les géants de la technologie avancent main dans la main.
La photo a rapidement fait le tour des réseaux sociaux : une jeune policière en uniforme porte des lunettes noires, équipées d’une petite caméra. Au milieu de la gare de Zhengzhou, dans le Henan, une des provinces les plus peuplées de Chine, la jeune femme scanne la foule, grâce à un système de reconnaissance faciale. L’outil est connecté à la fois à un smartphone, dans les mains de l’agent de police, et à un écran dans le commissariat de la gare.
La scène futuriste aurait de quoi inquiéter des usagers français, mais en Chine, c’est la police locale elle-même qui a publié fièrement ces images juste avant le Nouvel An chinois. Grâce à cette technologie, elle aurait arrêté sept suspects recherchés et 26 personnes voyageant sous une fausse identité. Les lunettes ont été mises au point par LLVision, une entreprise basée à Pékin qui vend ces lunettes au grand public et a développé cette version équipée de la reconnaissance faciale en collaboration avec la police.
En Chine, les start-up de la biométrie se développent main dans la main avec l’Etat policier.
D’un côté, les autorités accueillent avec bienveillance, ou soutiennent, des technologies qui leur permettent de mieux contrôler les populations.
De l’autre, des jeunes pousses peuvent se hisser à la pointe dans leur domaine grâce à des ressources en intelligence artificielle et un accès facile aux informations de près de 1,4 milliard d’habitants, profitant de la faible protection des données personnelles.
176 millions de caméras de surveillance
Le résultat, ce sont des champions de la reconnaissance faciale, vocale, de la démarche, de la lecture des veines de la main, etc., qui collaborent à la fois avec le privé et avec la sécurité publique.
Si la reconnaissance faciale est plus impressionnante quand elle est installée sur des lunettes, elle équipe déjà largement les 176 millions de caméras de surveillance installées en Chine. Les entreprises SenseTime (Hongkong) et Megvii (Pékin) sont devenues des « licornes » en 2017, dépassant le milliard de dollars de valorisation. Ces spécialistes de la reconnaissance faciale collaborent à la fois avec des fabricants de smartphones comme Huawei, Oppo ou Xiaomi, avec Alibaba, le géant du commerce en ligne, et avec les départements de la sécurité publique des provinces chinoises.
Autre champion, iFlytek est spécialisé dans la reconnaissance vocale. Sa technologie permet de reconnaître et de différencier des conversations dans un lieu public ou d’identifier des voix dans une conversation téléphonique. L’entreprise, valorisée à 13 milliards de dollars (10,5 milliards d’euros), a séduit une kyrielle d’entreprises – dans l’automobile (Volkswagen), la banque, l’Internet (Tencent et Alibaba), les smartphones –, mais aussi les autorités du Xinjiang.
Cette région autonome de l’Ouest chinois est devenue une prison à ciel ouvert après une série d’émeutes et d’attentats. Les habitants, surtout les Ouïgours, membres de la minorité musulmane locale, sont contrôlés en permanence, pour entrer dans un bus, ou dans les centres commerciaux, dans les hôtels… Et ils doivent désormais se soumettre à des tests ADN pour obtenir un passeport.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE | 11.03.2018 à 17h00 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/11/en-chine-les-start-up-surfent-sur-les-besoins-de-l-etat-policier_5269214_3234.html
Travailler malgré la censure du Net
Ces dernières années, la censure du Web n’a fait qu’empirer en Chine. C’est un casse-tête pour toutes les entreprises étrangères installées dans le pays.
Les « deux assemblées » ont commencé ce week-end à Pékin : cette réunion politique annuelle, loin de passionner les foules, parvient à toucher tous ceux qui vivent en Chine de manière indirecte : tous les ans, à cette période, les connexions Internet ralentissent fortement. Mais, cette année, l’inquiétude est plus grande. Depuis un an, les attaques contre les VPN (virtual private networks, « réseaux privés virtuels »), ces logiciels permettant de contourner la censure du Web en Chine se multiplient, et un texte de loi prévoit qu’ils pourraient être fermés d’ici à la fin du mois de mars.
Difficile d’imaginer de travailler toute l’année dans les conditions actuelles ! En Chine, les principaux sites Internet utilisés au quotidien dans les pays occidentaux sont censurés. Google et la plupart de ses services sont bloqués depuis 2010. Depuis, Facebook, des applications de chat sécurisées WhatsApp, Telegram, de nombreux médias, comme le New York Times, la BBC ou Le Monde ont également été bloqués. Mais aussi de nombreux sites utilisés dans le monde professionnel, comme Dropbox, Skype parfois… Autant dire que, pour tous les expatriés, les VPN sont devenus indispensables.
Ces logiciels installés sur un ordinateur ou un smartphone permettent de renvoyer la connexion dans le pays de son choix, et d’anonymiser sa navigation, grâce à un réseau de serveurs à l’étranger. Mais c’est au prix d’une perte de vitesse importante. Les meilleurs outils destinés au grand public, comme Astrill ou ExpressVPN, coûtent environ 80 euros par an.
Les PME, principales victimes
Si, parmi les entreprises étrangères, tous les secteurs sont concernés, les principales victimes de la campagne anti-VPN sont les PME. « Beaucoup d’acteurs de l’e-commerce n’hébergent pas leurs données en Chine actuellement, rapporte Shaun Rein, fondateur de China Market Research, un cabinet de conseil basé à Shanghaï. Faut-il qu’ils répliquent une infrastructure technologique entière juste pour la Chine ? C’est possible pour des gros comme Coca-Cola, mais pour les plus petites entreprises, le coût est trop élevé. Ils sont très inquiets. Beaucoup se disent : entre les coûts élevés pour travailler ici, et le ralentissement de l’économie, cela ne vaut plus la peine d’investir en Chine. »
A la tête de la branche shanghaïenne de Zorba, une agence de création publicitaire qui réalise des vidéos pour des grandes marques de mode et de cosmétiques françaises, Xavier Brochart navigue tous les jours dans les méandres du Web chinois. « Le plus compliqué, c’est l’envoi de fichiers à l’étranger. On travaille sur des vidéos qui font entre 6 et 20 gigaoctets. Ça nous prend un ou deux jours pour les charger par petits morceaux sur des plates-formes d’échange internationales comme We Transfer. Parfois, on en revient à envoyer des disques durs par FedEx ou DHL. On l’a encore fait il y a trois semaines… », déplore ce spécialiste du digital.
Mais les problèmes ne s’arrêtent pas là. Travaillant pour des grandes marques françaises, comme Lancôme, Lacoste, ou L’Oréal, l’agence doit former ses employés chinois à une French touch esthétique que recherchent les marques. « Le principal problème qu’engendrerait une interdiction des VPN pour nous serait le manque d’accès au monde de la culture à l’étranger, qui est une source d’influence importante, poursuit Xavier Brochart. Instagram devient un réseau d’influence majeur dans le domaine de la mode. Mais tous les réseaux sociaux sont importants : pour communiquer notre portfolio vidéo à des clients, on utilise Vimeo, qui permet de mettre des vidéos en plus grande résolution. Eux aussi sont bloqués en Chine. »
« Nettoyer et réguler »
Dans une circulaire, publiée en janvier 2017, intitulée « Nettoyer et réguler le marché des services d’accès à Internet », le ministère des technologies de l’industrie et de l’information chinois demandait aux opérateurs de télécommunications nationaux de fermer les « lignes dédiées » non autorisées utilisées pour « conduire des activités économiques transfrontalières » d’ici au 31 mars 2018. Depuis, les censeurs chinois ont éliminé les fournisseurs de VPN chinois. Cet été, Apple a retiré 674 applications de VPN de son Apple Store chinois. En décembre 2017, le patron d’une entreprise chinoise fournissant un service de VPN a été condamné à cinq ans de prison et 500 000 yuans d’amende. Parallèlement, les censeurs chinois fourbissaient leurs armes, en rendant quasi inutilisables les VPN, lors du XIXe Congrès du Parti communiste, à l’automne.
Le 30 janvier, le ministère a tenté de rassurer le monde des affaires en assurant, lors d’une conférence de presse, que seuls les VPN illégaux seraient visés. Ceux qui veulent accéder à l’Internet global « peuvent louer des lignes de réseau auprès des opérateurs », indiquait-il. Mais les lignes légales proposées par les entreprises d’Etat China Mobile et China Unicom coûtent cher : 12 000 euros par an au minimum pour le débit nécessaire à une PME. Laquelle peut craindre que toutes ses communications soient accessibles aux autorités chinoises…
Le 23 février, les Etats-Unis ont soulevé le sujet auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), notant que les règles qui doivent entrer en vigueur fin mars créent de nouvelles restrictions pour les services transfrontaliers. « Les Etats-Unis pressent la Chine de répondre aux inquiétudes rapidement et de rechercher des mesures qui promeuvent au lieu de gêner les transferts d’informations et de services à travers les frontières », ont-ils demandé dans un communiqué adressé à l’OMC.
« Donald Trump devrait se battre sur la question de l’Internet »
« Au lieu de s’attaquer à l’acier chinois, Donald Trump devrait se battre sur la question de l’Internet, estime Shaun Rein. Les pays occidentaux devraient s’unir sur ce point, et insister sur les problèmes économiques que cela pose. Il n’y pas de raison que les géants chinois du Web puissent partir à la conquête du monde, alors que Google et Facebook sont toujours bloqués en Chine. »
Les conséquences économiques des restrictions chinoises du trafic Internet sont déjà lourdes pour les entreprises étrangères. D’après un sondage de la chambre de commerce américaine en Chine, 41 % des entreprises interrogées estimaient que ces contrôles avaient déjà « très fortement » limité leurs opérations et leur compétitivité en Chine. Même son de cloche à la Chambre européenne, qui indique, dans son rapport d’activité 2017, que 40 % des répondants voient leur chiffre d’affaires affecté par les restrictions. Parmi eux, la moitié estime les pertes de leur chiffre d’affaires entre 5 % et 10 % , l’autre les évalue à plus de 20 %. Les pertes sont dues à une baisse de productivité dans le travail quotidien, aux difficultés d’échange de données avec les quartiers généraux ou les clients, et à la difficulté de pratiquer des recherches.
Tolérance
C’est ce dernier point qui concerne le plus ce consultant français, qui travaille pour une agence de conseil à Shanghaï, et préfère conserver l’anonymat. « Dans mon secteur, on a beaucoup besoin de Google, mais les VPN sautent tout le temps, c’est devenu insupportable. » Pour chercher des informations sur le marché local, ce sinophone utilise Baidu, le moteur de recherche chinois, mais il a de grosses limites. « Beaucoup de documents publiés à Hongkong ou Taïwan sont mal répertoriés par Baidu », précise-t-il. Google est donc indispensable pour les recherches en anglais, mais aussi en mandarin. « Cela devient de plus en plus compliqué de travailler », poursuit-il. Pour lui comme pour ses clients, la question est devenue un sujet de préoccupation permanent. « On parle de la pollution de l’air et on parle des VPN », dit-il.
Toute la question est de savoir avec quelle fermeté la Chine appliquera ses nouvelles règles. Jusqu’ici, la survie des VPN offerts par des entreprises étrangères, que les autorités semblent pourtant capables de desactiver ponctuellement, suggère une certaine tolérance. « Est-ce qu’ils vont appliquer la loi à la chinoise, c’est-à-dire pas vraiment ? Ou est-ce qu’on va subir un tour de vis supplémentaire ? », se demande ce consultant. Outre les PME, le blocage des VPN risquerait de décourager les étudiants étrangers, les enseignants, mais aussi nombre de chercheurs et des entreprises chinoises qui suivent les tendances internationales dans leur domaine. De quoi émailler le « soft power » chinois, déjà fragile.
Pour certains, en revanche, le renforcement de la censure est une opportunité. La société française Ecritel est spécialisée dans les services de cloud computing : elle propose l’hébergement de données dans différents pays grâce à des centres de données (data centers) partenaires. « Aujourd’hui, explique Hugo Aguado, le PDG d’Ecritel en Chine, le gouvernement [chinois] a la capacité de couper l’accès aux VPN quand il veut, à chaque événement politique. Là où il y avait de la souplesse, les choses se durcissent. Mais, pour nous, le renforcement des lois de cybersécurité est une source de travail formidable. »
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 07.03.2018 à 11h15 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2018/03/07/en-chine-travailler-malgre-la-censure-du-net_5266942_3234.html