Jair Bolsonaro a fêté l’événement, bien sûr. « Pas l’échec de Lula, mais la victoire de la justice ! », précise le député d’extrême droite, précandidat à l’élection présidentielle d’octobre. Au lendemain de l’emprisonnement de l’ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, samedi 7 avril, le militaire de réserve sait que de challenger il passe à favori. Et savoure son moment. « Le citoyen est fatigué », assure-t-il à une horde de journalistes avant d’évoquer « le délabrement des valeurs familiales », le « chômage effrayant », la « violence ». « On a donné, hier, une réponse positive au futur candidat qui prendra le Brésil au sérieux », conclut-il.
Jair Bolsonaro, 63 ans, en faveur de la peine de mort et du port d’arme, serait-il ce « candidat qui prend le Brésil au sérieux » ? Ce « sauveur de la patrie », comme le décrivent ses admirateurs ? Selon un sondage Datafolha réalisé après la condamnation, en janvier, de Lula à douze ans et un mois de prison pour corruption, M. Bolsonaro récoltait 18 % des voix derrière l’ancien syndicaliste (36 %). Dans l’hypothèse où Lula serait écarté de la course, il grimpe à la première place.
Affilié au Parti social-libéral (PSL), Jair Bolsonaro a changé plus d’une dizaine de fois d’étiquette depuis le début de sa carrière politique à la fin des années 1980, mais sa ligne, elle, n’a jamais varié : la détestation de la gauche et de tout ce qui s’y rapporte. De Fidel Castro à Lula, du communisme à la social-démocratie, de l’assistance sociale à la mansuétude judiciaire, tout lui fait horreur.
« BOLSONARO JOUAIT SUR LA POLARISATION POUR OU CONTRE LULA. MAIS, DANS LE FOND, IL N’A PAS D’IDÉES », ESTUME KIM KATAGUIRI, UN MILITANT DU MOUVEMENT BRÉSIL LIBRE
Cette aversion épidermique a dynamisé la popularité du député alors que le retour au pouvoir de Lula se profilait et effrayait une partie des Brésiliens. A grand renfort de discours, de Tweet et de petites phrases bombardées sur les réseaux sociaux, Jair Bolsonaro a entretenu la promesse du « Lula nunca mais » (« plus jamais Lula »).
Sur sa page Facebook « likée » plus de 5 millions de fois, le sexagénaire poste quasi quotidiennement des vidéos. On le voit acclamé par la foule dans les villes de province ou parlant à la « nation » dans son bureau de Brasilia aux murs recouverts des portraits des généraux au pouvoir lors de la dictature militaire (1964-1985). Raide, il conclut systématiquement son propos par l’antienne : « Le Brésil par-dessus tout. Et Dieu au-dessus de tous. »
« Bolsonaro séduit les agriculteurs du Sud, les jeunes de Sao Paulo, les miliciens de Rio… C’est une extrême droite qui n’est pas bien structurée, mais ses chances d’être élu sont réelles », estime le sociologue et politologue Ruda Ricci.
Lula est son meilleur ennemi, l’homme que l’ex-militaire jure d’abattre. L’ancien métallo aujourd’hui « neutralisé » dans une cellule de Curitiba prive Jair Bolsonaro d’une narrative essentielle. « Bolsonaro jouait sur la polarisation pour ou contre Lula. Il a encore ses chances, mais dans le fond, il n’a pas d’idées », assure Kim Kataguiri, jeune militant de droite du Mouvement Brésil libre (MBL) qui partage pourtant avec Bolsonaro cette répulsion envers Lula et le PT (Parti des travailleurs).
Electeurs exaspérés
Longtemps, le député de Rio de Janeiro fut un acteur marginal à Brasilia. Un de ces hurluberlus que la politique brésilienne sait engendrer. Davantage connu pour ses sorties homophobes, ses débordements machistes et sa défense appuyée de la torture, il voyait alors ses aficionados se restreindre au cercle réduit des nostalgiques de la dictature militaire.
Les scandales de corruption éclaboussant le PT, du mensalao, en 2005, à l’opération « Lava Jato », depuis 2014, ont progressivement permis au parlementaire d’attirer vers lui des électeurs exaspérés. Notamment la bourgeoisie et la jeunesse défendant l’ultralibéralisme économique et la rigueur morale, actives lors des manifestations de 2015 contre la corruption et le PT.
Réunis dans cette haine de la gauche et de Lula, ces manifestants n’ont pas cillé lorsque, en avril 2016, au milieu d’une foule de députés exaltés en appelant à Dieu, à la famille et à la patrie, Jair Bolsonaro a voté l’impeachment (destitution) de Dilma Rousseff, « à la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra », connu pour avoir été l’un des plus grands tortionnaires de la dictature.
Né à Campinas, dans l’Etat de Sao Paulo, d’un père dentiste sans diplômes, un peu trop porté sur la boisson, et d’une mère d’origine italienne toujours prête à le défendre, Jair Bolsonaro a affûté sa stratégie pour sortir de la confidentialité. En mai 2016, il se fait baptiser – et filmer - par un pasteur évangélique, religion à la croissance fulgurante.
Erigé en « Trump tropical »
En économie, il abandonne ses positions militaro-nationalistes pour un ton libéral, prônant réformes, privatisations et Etat minimal. Erigé en « Trump tropical », il devient alors présentable pour les milieux d’affaires. « Avec Bolsonaro, la Bourse montera », assure André Gordon, gérant de GTI Administraçao de Recursos, à Sao Paulo, interrogé par le site Infomoney, le 29 novembre 2017.
La disgrâce de Lula, érigé en martyr, pourrait lui être fatale. Ou pas. Le discrédit généralisé du monde politique brésilien lui profite. Et, à l’image d’une « Marine Le Pen do Brasil », Jair Bolsonaro attire une partie des électeurs dévastés par la crise économique et morale. Selon les analystes, il pourrait même récupérer quelques électeurs de Lula. « Certains votent pour lui par nihilisme », observe Ruda Ricci.
« Plus le futur est peint de façon menaçante par le candidat, plus il lui est facile de défendre l’ordre, la rigidité, la sécurité, la police », soulignait Eduardo Giannetti, auteur de Trópicos Utópicos (Companhia das Letras, 2016, non traduit), dans la revue Piaui, en septembre 2016. L’ancien militaire s’attelle, de fait, à peindre le pays déboussolé sous son angle le plus noir.
Claire Gatinois (Sao Paulo, correspondante)