INTRODUCTION
Lors des « Assises de l’entreprise » tenues en février 2017, le Premier ministre du Sénégal déclarait : « Nous importons des clous. Quelle est la technologie qu’il y a dans un clou ? ». Avec des importations en lait pour une valeur de 60 milliards de franc CFA chaque année au Sénégal il est tout aussi légitime de se demander : quelle est la technologie qu’il y a dans le lait ?
Les commémorations de la Journée mondiale du lait (1er juin) et de la Journée nationale de l’élevage se suivent et se ressemblent avec les mêmes contraintes notées par les différents acteurs de la filière laitière sénégalaise. Parmi celles-ci : la forte concurrence de la poudre de lait importée avec un droit de douane très faible de 5%. Avec les APE (Accords de partenariat économique) le droit de douane de la poudre de lait importée sera nul dès sa première année d’application.
Il n’y a aucune technologie dans le lait qui nous contraigne à en importer. Mais il y a une « technologie » dans la tactique commerciale et politique de l’Union Européenne (UE) au service des intérêts et préoccupations des groupes européens qui maintient et renforcera l’Afrique de l’Ouest comme marché consommateur des produits laitiers européens – et pas comme producteur, du moins producteur marginal.
Pour comprendre la logique des APE et les conséquences qu’ils peuvent avoir en Afrique de l’Ouest, la filière laitière au Sénégal est un exemple probant.
LA PRODUCTION DU LAIT AU SENEGAL
Le Sénégal a « (…) un gros cheptel, environ 3 millions de bovins pour une population de 14 millions d’habitants. Un ratio qui montre que le Sénégal est un grand pays d’élevage. Comparé à la France qui a environ 18 millions de bovins pour 66 millions d’habitants, c’est à peu près le même ratio. Pourtant, la France est un grand pays exportateur de productions animales en général et de lait en particulier. Si on a 3 millions de bovins, on ne doit pas importer du lait. On devrait être exportateur. (…). On n’a pas d’industries capables de se structurer, d’être un vrai maillon qui relie les 3 millions de vaches avec les 14 millions d’habitants ». 21 C’est pourquoi le Sénégal est obligé d’importer pour plus de 60 milliards de francs CFA de produits laitiers chaque année. C’est cette situation que l’Accord de partenariat économique (APE) va aggraver au profit de l’Union Européenne (UE) dans un Sénégal où le monde rural et particulièrement les personnes qui s’adonnent à l’agriculture, sont les plus touchées par la pauvreté avec un taux de 57%.3
La faiblisse de la production laitière au Sénégal
Malgré le gros cheptel bovin dont dispose le Sénégal (trois millions de bovins), il convient de souligner qu’environ un million de bovins est consacré à la production laitière ; le reste concerne les abats et la production de viande. Par conséquent, le potentiel de production de lait du Sénégal est très intéressant mais n’arrive pas à faire face au phénomène de l’importation. Par ailleurs, la productivité du lait locale est donc confrontée à des contraintes réelles, notamment la faiblesse de la production (environ 300 litres/bête/an), des coûts de production élevés, des difficultés de conservation et transport des prix très peu compétitifs mais aussi la faiblesse du pouvoir d’achat des consommateurs. Il convient aussi de souligner que le lait local est plus taxé que le lait importé.
GUERRE COMMERCIALE, CRISE ECONOMIQUE, MALAISE RURAL EN EUROPE
Le lait en France est plus cher qu’en Allemagne ou en Espagne qui sont d’autres grands producteurs européens de lait. Le prix du lait à la production était en 2015 à 280 euros pour les 1000 litres en Allemagne contre 320 euros en France. En 2014, l’Allemagne collectait 30,6 milliards de litres de lait contre 24,6 milliards pour la France. Premier exportateur mondial de lait, la Nouvelle-Zélande, avec le groupe Fonterra, a fourni en 2014 75% de la poudre de lait entier exportée. Les coûts de production de 1000 litres de lait en NouvelleZélande tournent autour de 200 euros. Sans commune mesure avec les 280 euros allemands et les 320 euros français. La guerre commerciale fait rage entre groupes mondiaux.
L’agriculteur français produit le litre de lait à 0,334 euros le litre alors qu’il est acheté par les industriels français à 0,308 euros. La production de la tonne de lait s’établit au minimum entre 300 et 320 euros la tonne alors que les industriels l’achetaient à 257 euros en juillet 2016. L’agriculteur français travaille à perte. Alors que la Confédération paysanne estime que l’éleveur français ne survit pas « à moins de 340 euros la tonne de lait », la Coordination rurale continue de demander un tarif minimum de 350 euros pour les 1000 litres de lait « hors rémunération du travail ». De telles conditions économiques justifient sans doute les 600 suicides d’agriculteurs français par an. Il est estimé que les 60.000 exploitations françaises employant 110.000 éleveurs auront un taux de cessation d’activités d’environ 9%. Un éleveur génèrerait « six à sept emplois » allant du vétérinaire au chauffeur qui vient collecter le lait. C’est cela que l’UE cherche à protéger au détriment des pays ACP à travers les APE. Cela veut dire qu’avec au moins 200.000 éleveurs, le Sénégal pourrait potentiellement créer entre 1.200.000 et 1.400.000 emplois.
Pendant ce temps, le Sénégal a une production laitière estimée en 2015 à 226,5 millions de litres soit 59% de la demande nationale annuelle. Ce qui fait du Sénégal le premier importateur de lait de la zone UEMOA. Comment peut-on mettre sur un même ring les 226,5 millions de litres de lait sénégalais et les 25 milliards de litres de lait français ou 30,6 milliards de litres allemands ?
Au Sénégal « 80 % des importations de poudre de lait proviennent de l’Union Européenne. La France est le principal exportateur avec 42% du total des importations entre 2000 et 2008, soit 14 471 tonnes. En tout, l’Union Européenne contribue à hauteur de 79 % aux importations de lait en poudre avec 7 pays parmi les 10 premiers fournisseurs du Sénégal. Le lait liquide provient à 90% de la France avec près de 4 500 tonnes par an. » 4 Mais ça ne suffit pas ! Cette crise du lait préfigure ce qui va arriver au secteur agricole et à l’économie. Cette surproduction qui dure depuis deux ans au moins trouve ses origines dans la fin des quotas laitiers le 1er avril 2015, la baisse des importations chinoises et l’embargo russe, décrétée mi-2014. On ne sait plus que faire de l’or blanc qui ne trouve pas acheteur.
Le Maroc – un modèle ?
A titre comparatif avec le Maroc, grâce aux efforts déployés dans le domaine de l’amélioration génétique, la production laitière marocaine a connu une progression annuelle moyenne de 5% au cours des cinq dernières années pour atteindre 2,4 milliards de litres en 2014. Les fermes d’élevage intensif et moderne utilisent des races laitières comme la Holstein, la Montbéliarde et la Fleckvieh. La production annuelle de lait par vache se situe entre 4 000 et 7 500 litres selon les régions et les types de fermes.
Mais il faut trouver une solution car : « Les produits laitiers constituent le second secteur de production agricole de l’UE en 2015, avec 14,1% de la valeur de la production agricole totale, après les fruits et légumes (23,8%) et devant les céréales et semences (13,3%). Ils ont contribué en 2016 pour 15,6 milliards d’euros (Md€) aux exportations soit à 11,8% des exportations agricoles extra-UE, au 2è rang après les céréales (22,8%) mais devant es fruits et légumes (9%), les vins (7,8%) et la viande porcine (6%). »
L’« ACCORD AU PROFIT DE L’EUROPE » (APE)
La surproduction de lait est telle que l’UE met à la disposition des agriculteurs 500 millions d’euros pour les inciter à réduire leur production de lait. Ainsi, l’éleveur recevra 24 centimes par litre de lait non produit. Réguler est la solution d’urgence. Mais cette solution n’est pas durable. Le salut pour l’UE libérale, au service des groupes laitiers européens et des autres groupes dans les autres secteurs économiques, ce sont des accords de libre-échange (ALE) avec les pays ACP : les accords de partenariat économique (APE). Déjà au début des années 1990 l’UE prévoyant une augmentation de la demande mondiale en produits laitiers, réfléchissait aux moyens de rendre les entreprises laitières européennes plus compétitives et cherchait des débouchés hors UE principalement pour le Danemark, la France, le Royaume-Uni, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Allemagne qui entretemps allait produire l’essentiel des plus de 6 milliards de litres de lait prévus.
La suppression des quotas laitiers en Europe a été décidée en 2008. 2008, c’est au lendemain de la date du premier APE qui n’a finalement pas été conclu en 2007. L’échéance du 31 décembre 2007 pour conclure l’APE Union européenne-Afrique de l’Ouest (UE-AO) n’a généralement pas été respectée. Mais l’UE n’abdique pas. La mise en œuvre des quotas laitiers a démarré en 2015. En abandonnant les quotas laitiers « on a augmenté la production et on n’avait pas en face, les débouchés. » explique le ministre français de l’agriculture Stéphane Le Foll. Inutile d’être un devin pour savoir que les pays ACP sont les débouchés que les APE devaient rendre disponibles depuis 2007 grâce à l’APE comme mesure d’accompagnement de l’abandon des quotas laitiers décidé par l’UE. Cette dernière avait vendu la peau du lion notamment ouestafricain assuré de son profond sommeil. Mais les choses ne se sont pas passées exactement comme prévues. Ni en 2007 ni en 20015. Pas encore en 2016. Si les pays ACP non PMA n’adoptent pas l’APE avant le 1er octobre 2014 le libre accès de leurs marchandises au marché européen leur sera retiré avait menacé l’UE. Résultat : paraphe de l’APE de l’Afrique de l’Ouest le 30 juin 2014. La suite on la connaît : sur les 16 pays, seuls le Nigéria et la Gambie refusent de signer. La coïncidence de ces deux dates (date de mise en œuvre de l’abandon des quotas laitiers et date d’exécution de l’APE) n’est pas un hasard. L’UE et ses Le Foll des 28 ne sont pas fous. Pourquoi les ACP et l’Afrique de l’Ouest des 16 devraient-ils l’être ?
ÉLEVEURS, ENTREPRISES ET CONSOMMATEURS SENEGALAIS FACE AUX APE
Pour l’APE de l’Afrique de l’Ouest il s’agit d’une libéralisation de 75% des lignes tarifaires sur 15 ans. Mais il s’agit selon le Centre Sud, si on se base sur la valeur des marchandises européennes exportées correspondant à ces lignes tarifaires, d’une libéralisation de 82% en moyenne : 75% pour la Côte d’Ivoire, 82% pour le Sénégal, 92% pour le Togo. Pour la poudre de lait européenne qui fait partie des marchandises à libéraliser, son droit passera avec l’APE de 5% (actuellement) à zéro droit de douane à payer pour entrer dans les 16 pays de l’Afrique de l’Ouest, dès la première année de mise en œuvre de l’APE. Première conséquence, des pertes de recettes douanières sur le lait qui cumulées aux autres recettes douanières à perdre s’élèveront à 75 milliards de francs CFA par an à partir de la première année d’application de l’APE et 240 milliards de francs CFA à partir de la 20e année. Autrement dit, le Sénégal, parmi les pays les moins avancés (PMA), 25e pays le plus pauvre de la planète, va permettre aux entreprises européennes d’économiser 75 milliards de francs CFA par an dès la première année.
Deuxième conséquence, la poudre de lait européenne, coûtant moins chère qu’elle ne l’est actuellement, incitera davantage les entreprises sénégalaises à importer et reconditionner la poudre de lait et à se détourner du lait frais local, et donc de tout projet de sortie des éleveurs ouest-africains de la pauvreté. Des emplois vont être supprimés et des revenus réduits. Rappelons qu’en 2016 il y a eu près de 500 mille sénégalais en situation d’insécurité alimentaire. Ils étaient un million cinq cent sénégalais dans la même situation en 2015 dont la majorité vit en zone rurale. Le programme de l’Etat sénégalais des bourses de sécurité familiale de 100.000 FCFA par an ne pourra jamais remplacer la protection et le soutien de la filière laitière nationale qui peut notamment générer des revenus additionnels non négligeables pour les éleveurs. Et pourtant, en 2009, la présidente du Directoire Nationale des femmes en élevage du Sénégal plaidait pour « des prix et une fiscalité plus favorables à la production locale (les taxes, notamment pour les industriels ne les incitent pas à utiliser le lait local, les prix aux producteurs ne favorisent guère l’intensification). »
Et M. Bathily, à la tête de la Laiterie du Berger (LDB avec la marque Dolima) d’ajouter en 2013 : « L’environnement réglementaire n’est pas favorable à l’émergence d’une filière locale car il n’y a pas d’incitation, on n’y gagne rien. Acheter du lait local, c’est beaucoup plus compliqué. Parce qu’il faut aller dans les zones de production, travailler avec une centaine d’éleveurs, les organiser, les accompagner, il faut leur apporte des intrants. C’est toute une activité alors que c’est mille fois plus simple d’importer des containers de poudre. Si on a une usine à Dakar, on fait des commandes et on dispose de notre approvisionnement. C’est pourquoi tous les industriels travaillent comme ça. Ils ne sont pas contre le lait local mais l’approvisionnement, on le gère plus facilement si on importe du lait en poudre que si on achète du lait frais ». 6 Si dans les années 70, au Sénégal, il y a eu une libéralisation complète du régime des importations des produits laitiers pour combler le déficit de la production locale alors occasionné par la grande sécheresse, impossible de comprendre aujourd’hui l’option gouvernementale d’annuler les droits de douane sur la poudre de lait importée.
L’APE va inciter davantage encore Nestlé (marque « Nido »), SATREC (marque « Vitalait », « Roilait », « Best lait »..), SENELAC, SENICO (marque « Halib sunulait » et « Bonlait »), SOCIDIG, SONIA, SOSEPAL (marque Baralait), UCODIS (marque Laicran) à importer de la poudre de lait de l’UE et Sofiex, Patisen et Spca à représenter « Président », « Elle & Vire », « Bridel », etc. et donc à importer des produits laitiers. L’APE va renforcer le statut de comptoir commercial du Sénégal.
Troisième conséquence, la facture laitière va augmenter. Le gouvernement sénégalais ainsi que les autres acteurs de la filière laitière se plaignent en permanence de cette facture laitière qui s’élève à plus de 60 milliards de francs CFA. Comment expliquer dès lors la position pro APE du gouvernement du Sénégal ? Pire, la stratégie des entreprises laitières européennes ne se limite plus à exporter du lait en Afrique de l’Ouest. Mais à venir s’implanter pour faire le boulot elles-mêmes. La baisse tendancielle du taux de profit qui affecte la filière laitière les pousse à vouloir s’accaparer de secteur laissé auparavant à des nationaux africains.
L’UE et ses entreprises laitières ont lu les analyses de l’OCDE/FAO contenues dans Agricultural Outlook 2012-2021. Avec une demande de produits laitiers qui augmente deux fois plus vite que l’offre, à très court terme, les régions les plus intéressantes pour l’UE et ses laiteries sont l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. La laiterie danoise Arla prévoit qu’après l’abolition des quotas de production de lait « les producteurs de lait d’Arla produiront chaque année au moins un milliard de kilos de lait de plus qu’aujourd’hui ». Lors d’un atelier sur les opportunités dans le secteur laitier en Afrique de l’Est tenu en octobre 2012 la Confédération danoise des industries (DCI) affirme que « l’Afrique de l’Est, en particulier, offre des conditions favorables aux entreprises danoises puisque le secteur laitier (…) a augmenté sa consommation de lait et est en train de moderniser ses canaux de commercialisation ». Le président du conseil d’administration d’Arla d’ajouter qu’augmenter la vente de produits laitiers aux nouveaux consommateurs dans les marchés émergents « aidera à maintenir une industrie laitière viable en Europe du Nord ». Mais c’est en Côte d’Ivoire qu’Arla a créé en septembre 2013 une entreprise capable de conditionner et vendre 2000 tonnes de poudre de lait et 8 millions de litres de lait produits au Danemark. Le 17 mai 2016, une usine du groupe Arla avec une capacité de conditionnement de 5.000 tonnes de poudre de lait par an démarre ses activités au Sénégal. Les objectifs du groupe danois :
– faire passer son chiffre d’affaires réalisé en Afrique de €90 millions actuellement à environ €460 millions en 2020.
– renforcer sa présence sur le marché régional ouest africain en allant au Mali et en Mauritanie Le même processus est en cours au Nigéria, en Afrique australe, en Afrique de l’Est…avec Friesland Campina, Danone…
LA POLITIQUE DE L’UNION EUROPEENNE EST RESOLUMENT OFFENSIVE EN MATIERE D’EXPORTATION DE LAIT. SES PROJECTIONS SUR UNE DECENNIE L’ATTESTENT (VOIR TABLEAU CIDESSOUS).
Si les 16 pays de l’Afrique de l’Ouest, terrain de guerre des groupes mondiaux produisant du lait, veulent faire le choix de la défaite et de l’insécurité alimentaire, enrobé du fallacieux souci de ménager le portefeuille de leurs habitants, pourquoi ne signent-ils pas, par exemple, sur le lait un accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande qui a un prix beaucoup moins cher plutôt qu’avec l’Union Européenne ? Pourquoi l’UE n’applique pas l’option d’être consommatrice de lait par une politique d’importation du lait néo-zélandais beaucoup moins cher que le sien ?
Que faire ?
Au niveau global, la suspension des APE est une nécessité. Dans cette perspective, l’évaluation de l’Accord de Cotonou doit aboutir en cas de renégociation à refuser l’intégration des APE dans tout accord entre l’UE et l’Afrique. Les marchandises de chaque bloc peuvent payer des droits de douane pour pénétrer un autre bloc.
Au niveau national, il s’agit d’évaluer la politique laitière du Sénégal. De cette évaluation avec les différents acteurs, devrait également sortir un Plan Sénégal Souverain en Lait (PSS/L) en maximum cinq ans. Ce plan répondra à différentes questions parmi lesquelles :
1- Sans attendre l’autosuffisance en lait, quelles incitations directes aux entreprises sénégalaises qui collectent et transforment le lait local ? Quel soutien pour que ces entreprises puissent soutenir la concurrence avec un droit de douane déjà très faible (5%) ?
De la même manière que la Laiterie du Berger (LDB) travaille avec les éleveurs du département de Dagana, de la même manière l’Etat doit inciter les autres entreprises de la filière laitière à travailler dans d’autres départements, ce qui permettra sinon d’édifier du moins de renforcer une ceinture laitière sénégalaise. Les laiteries à dimension régionale ou départementale devront également être soutenues car elles contribueront sans aucun doute à l’objectif d’autosuffisance en lait. C’est pourquoi l’État du Sénégal peut et doit subventionner davantage encore la filière laitière.
Cela devra s’accompagner d’une politique des quotas appliquée aux importations laitières pour que l’offre laitière nationale qui augmentera progressivement puisse être écoulée. Dans cette perspective, l’Etat a déjà des modèles dont il pourra s’inspirer avec notamment les filières oignon et riz qui pratiquent cette politique.
2- Quelle politique pour l’autosuffisance en lait de collecte ? Comment augmenter la production locale en lait ? Comment se doter de différentes technologies, notamment celle permettant la transformation au Sénégal en poudre de lait ?
L’atteinte de l’autosuffisance en lait, pour être durable et profitable aux paysans, passera par les exploitations familiales paysannes. Dans cette perspective, évaluer avec ces dernières la politique de croisement des races et d’insémination artificielle de l’Etat du Sénégal.
L’amélioration du potentiel génétique des vaches sénégalaises est à renforcer - les vaches sénégalaises étant moins productives que les vaches européennes – sans que cela ne conduise à un productivisme qui ne serait pas soutenable. Nos vaches produisent entre 1,5 et 3 litres de lait par jours (dans les conditions villageoises) alors que les races améliorées en font 15. En Europe, elles produisent entre 2.000 et 8.000 litres/an allant même à 12.000 litres dans certains pays (France, Pays-Bas,…).
La politique laitière au Sénégal et dans les autres pays de l’Afrique de l’Ouest devrait
préserver les exploitations agricoles familiales pour bénéficier aux populations et non pour la transformation de celles-ci en ouvriers agricoles ou en chômeurs. Justement, c’est dans le renforcement des capacités des exploitations paysannes, en complément à l’arrêt des APE par exemple, que l’Union Européenne pourrait réorienter les budgets mobilisés à travers les instruments de gestion des effets de la pauvreté comme Frontex.
3- Quel plan pour encourager la consommation par les populations du lait local ? Une politique pour la souveraineté en lait s’inspirera assurément de ce qui se fait pour l’autosuffisance en riz, en oignons…
Les APE seraient des accords visant à aider les ACP à sortir du sous-développement ? Rien n’est plus opposé à la réalité. C’est ce que nous avons montré à travers l’exemple de la filière laitière au Sénégal. Illustration qui pourrait être multipliée par exemple avec les céréales africaines qui vont être laminées notamment avec le blé (550.000 tonnes de blé, pour une valeur de 90 milliards de francs CFA, importées chaque année au Sénégal) qui comme le lait aura des droits de douane nuls dès la première année d’application de l’APE.
Le scandale des œufs contaminés à la Fipronil en Europe qui avait touché au moins 16 pays de l’UE devrait attirer l’attention de ceux qui veulent confier l’alimentation des populations africaines à l’UE.
La commercialisation du lait en poudre contaminé de Lactalis dans plusieurs pays dont le Sénégal est une raison supplémentaire pour ne pas exposer durablement les pays africains aux marchandises en provenance de l’UE en général du lait en particulier avec l’APE. Cet énième scandale sonne l’heure de la souveraineté laitière.
Pour tenter de stopper les traversées périlleuses de la Méditerranée, l’UE a noué un partenariat privilégié avec le Sénégal, le Mali, le Nigéria, l’Ethiopie et le Niger en 2016. Avec l’APE, c’est peine perdue. 12.000 sénégalais ont tenté de traverser de manière irrégulière la mer Méditerranée pour entrer en Europe ces deux dernières années, soit 16 par jour. Cette mer Méditerranée où ont été dénombrés 20 morts par jour en 2016.
La lutte contre les APE doit se prolonger dans l’évaluation de l’Accord de Cotonou, qui doit expirer dans deux ans. Sortir de l’Accord de Cotonou pour stopper les APE, tel est aujourd’hui le défi à relever par les peuples.
Guy Marius Sagna
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