Il ne faut cependant pas oublier que ces derniers ont les revenus parmi les plus bas au pays, qu’ils vivent dans une situation de grande précarité et que beaucoup parmi eux doivent exercer un second métier. Il aurait alors été particulièrement dommageable de couper dans le petit budget qui leur est consacré. Celui de la culture reste insignifiant comparé à celui de la santé ou de l’éducation.
De plus, le refus d’indexer les budgets de la culture équivaut en réalité à d’importantes pertes. Les demandes d’aide financière des artistes, dont le nombre est en hausse constante, sont toujours plus nombreuses, les besoins plus grands, alors que sous l’effet de l’inflation, les revenus diminuent en réalité. La culture subit ainsi à sa manière les effets affligeants de l’austérité budgétaire.
Depuis des années, le Mouvement des arts et des lettres (MAL) a revendiqué un meilleur financement du Conseil des arts et des lettres du Québec, à coup de mémoires, manifestations, lettres au ministre et autres moyens de pression, sans que des résultats tangibles ne soient au rendez-vous.
Cette année, le milieu culturel a revu sa stratégie. Il a formé une nouvelle coalition, la Coalition la culture, le cœur du Québec, plus large que le MAL, qui base ses interventions sur un mémoire qu’elle vient de rendre public. Devant les difficultés économiques, elle a choisi de répondre par un argumentaire très économique, comme s’il s’agissait du seul langage que notre gouvernement parvient à comprendre.
Pour rédiger le mémoire, on a fait appel, en plus de l’économiste québécois Pierre Emmanuel Paradis, à la Française Audrey Azoulay, une personnalité prestigieuse, ex-conseillère du gouvernement de François Hollande dans le domaine de la culture, et aujourd’hui directrice générale de l’UNESCO.
Ce mémoire rappelle que si on veut avoir une vie culturelle digne de ce nom, il faut lui accorder un financement adéquat. Ce qui est d’autant plus nécessaire que l’étroitesse de notre marché permet difficilement aux artistes et aux entreprises culturelles de trouver suffisamment de débouchés, même si leur travail est d’une grande qualité.
Le mémoire vise très juste en rappelant l’importance de soutenir la création : « il faut inciter la création autant que possible, même si cela n’est pas toujours rentable financièrement, pour permettre aux meilleurs talents d’aller jusqu’au bout de leur démarche et contribuer au capital artistique du Québec. »
La première demande consiste à « augmenter progressivement la part du financement public en culture vers une cible fixe de 2% d’ici 3 ans. » Plusieurs pays le font, comme les Pays-Bas, le Danemark, la Roumanie, l’Estonie. Pourquoi pas le Québec ? Cette demande n’est pas sans risque : elle se fait indirectement aux dépens d’autres postes budgétaires, et peut être limitée si le gouvernement choisit de recommencer d’importantes compressions budgétaires, comme il l’a déjà fait. Ce qui peut bien arriver encore, si les libéraux ou la CAQ baissent les impôts, comme ils l’ont promis. Mais le chiffre est frappant et cette hausse importante sera une grande bouffée d’air frais pour le milieu de la culture tellement habitué à se serrer la ceinture.
À force de vouloir parler le langage de l’économie, le mémoire n’évite pas toujours la langue de bois et des formulations difficiles à entendre pour les artistes. Comme cette idée selon laquelle « les artistes sont des entrepreneurs en puissance ».
De plus, même si l’argent du privé est souvent apprécié par des artistes, l’idée de favoriser les investissements de ce côté paraît plus douteuse tant pour ses conséquences sur l’indépendance des créateurs que par son inefficacité et ses effets pervers (omniprésence de la commandite, multiplication des demandes de subventions, difficulté pour les artistes moins en vue et pour les formes d’art moins commerciales d’aller chercher des revenus, etc.)
Il n’en reste pas moins que les demandes de cette nouvelle coalition du milieu de la culture sont essentielles et que son mémoire est riche de nombreuses informations nécessaires pour bien comprendre les difficultés vécues par le milieu culturel.
Et ses revendications vont, à juste titre, au-delà d’un meilleur financement. Alors que le Canada renégocie l’ALÉNA, qu’Internet rend accessible et omniprésente une production essentiellement étatsunienne et très commerciale, la survie de la culture québécoise devient un enjeu capital. Si nos gouvernements refusent de la soutenir de façon ferme et significative, c’est aussi notre survie en tant que nation qui est menacée.
Claude Vaillancourt