Monsieur le Président,
Le 19 décembre 2016 prenait fin le second et dernier mandat du président Joseph Kabila autorisé par la Constitution congolaise. Quelques jours plus tard, grâce à l’intermédiation de la Conférence épiscopale nationale du Congo, un accord dit « de la Saint-Sylvestre » ouvrait une voie de sortie de crise et de transition démocratique en prévoyant à nouveau un scrutin présidentiel, sous un an, qu’on ne voit toujours pas venir. Excédés face à cette Arlésienne électorale, les Congolais sont descendus dans la rue, de plus en plus nombreux, pour exiger le respect de l’accord.
Le pouvoir a répondu par une brutale répression : les 31 décembre 2017 et 21 janvier 2018, la police et les forces armées de RDC ont tiré à balles réelles sur les manifestants. Le bilan de ces deux journées, volontairement sous-estimé et dissimulé par les autorités, s’établit en dizaines de morts. Aujourd’hui encore, plus d’une dizaine de jeunes militants pro-démocratie sont détenus, pour certains au secret. Plusieurs ont été torturés en détention.
Face aux crimes du pouvoir, les Congolais appellent à la solidarité internationale et à la condamnation de leurs bourreaux. En janvier, la Belgique a ainsi décidé de suspendre son programme bilatéral de coopération avec la RDC, tandis que le Parlement européen demandait à l’Union européenne (UE) et à ses États membres de « donner la priorité au respect des droits de l’homme », saluait « le recours ciblé à des sanctions » et invitait l’UE à « envisager d’utiliser des moyens supplémentaires ».
Notre pays, pour sa part, devenait sur les réseaux sociaux la cible de la colère des Congolais, la France étant accusée d’avoir retardé voire bloqué certaines sanctions européennes. A la suite de la répression du 21 janvier 2018, le ministère français des affaires étrangères a indiqué que « la France condamn[ait] fermement les violences commises par les forces de sécurité ». Mais notre pays peut-il condamner les violences commises par l’Etat congolais sur sa population tout en continuant, dans la plus grande opacité, à apporter un soutien – via sa coopération militaire et policière – aux auteurs de ces mêmes violences ?
Une double urgence démocratique
Monsieur le Président, alors qu’une nouvelle manifestation est prévue ce dimanche 25 février, vous avez la possibilité d’entendre enfin l’appel des démocrates congolais : pour fragiliser l’appareil répressif auquel ils font face et isoler politiquement le régime qui ordonne de les réprimer violemment, vous pouvez annoncer la suspension immédiate de toute coopération policière et militaire française avec ce pays.
La politique ambiguë de la France en RDC est perçue comme un soutien au pouvoir en place, tant par les manifestants que par les barons du régime, à l’instar de son ministre de la défense qui se vantait en avril 2017 de la coopération militaire « très étroite » entre son pays et la France. Aujourd’hui, à cause du manque criant de transparence à ce sujet, nul ne sait réellement ce que recouvre cette coopération.
Combien de coopérants militaires et policiers sont dépêchés ? À quel poste ? Les officiers militaires ou de police congolais qui participent aux formations prodiguées ou appuyées par la France (par exemple au sein des formations de l’entreprise française Themiis) sont-ils ceux qui ordonnent de réprimer toute manifestation ? Les matériels utilisés dans cette répression brutale proviennent-ils de fournisseurs français soutenus dans le cadre de cette coopération ?
Que ce soit pour la RDC ou d’autres pays où sévissent régulièrement certains des pires appareils répressifs africains (Cameroun, Congo-Brazzaville, Djibouti, Gabon, Mauritanie, Togo, Tchad, etc.), les parlementaires et les citoyens français ne disposent pas de telles informations. Il y a donc une double urgence démocratique : en France, rendre enfin transparents ces programmes de coopération militaire et policière ; en RDC, la suspendre immédiatement pour cesser de soutenir un régime criminel.
Clément Boursin, responsable des programmes Afrique à l’ACAT-France, Julien Moisan, coordinateur des campagnes de l’association Survie, Tony Fortin, chargé d’études de l’Observatoire des armements, et Laurent Duarte, coordinateur international de la campagne « Tournons la page », Secours catholique Caritas France.