Il y a les mots. Ceux de Donald Trump, réfutant, vendredi 26 janvier, devant les élites mondiales réunies à Davos en Suisse, que son credo de l’« America first » soit synonyme d’un isolement des Etats-Unis, puis ceux d’une interview diffusée sur la chaîne britannique ITV, deux jours plus tard, dans laquelle le président américain menace à demi-mot l’Europe de représailles commerciales. Il y a, enfin, la réalité. Celle d’une libéralisation commerciale qui se poursuit à travers le monde, envers et contre Washington.
Mardi 30 janvier, les discussions devaient ainsi reprendre entre l’Union européenne (UE) et quatre pays du Mercosur, l’union douanière d’Amérique du Sud (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay). La commission de Bruxelles espère tout haut pouvoir signer un traité rapidement avec ces marchés encore très fermés. « Notre objectif est de conclure en février un accord qui tienne compte des possibilités énormes qu’offre le Mercosur, mais aussi de nos sensibilités », explique au Monde la commissaire au commerce, la Suédoise Cecilia Malmström.
Ces derniers mois, l’UE s’est démarquée par son engagement commercial productif : accord d’envergure avec le Japon finalisé en décembre 2017, modernisation de traités existants avec le Mexique ou le Chili… Un dynamisme étroitement lié au virage protectionniste opéré par les Etats-Unis de Donald Trump.
« Avec le discours très négatif des Etats-Unis sur le commerce, nous les Européens, nous voulons montrer que l’on peut continuer à avancer de façon responsable, explique Mme Malmström. Nous essayons de créer un cercle d’amis avec ceux qui croient que le commerce est une bonne chose et qu’il ne consiste pas à se punir les uns les autres. »
Camouflet
L’UE se voit volontiers en porte-étendard de l’ouverture des échanges, mais elle n’est pas seule à mener la danse. Le 23 janvier, onze pays de la zone Asie-Pacifique ont annoncé s’être entendus pour signer, dès le 8 mars, le partenariat de libre-échange transpacifique (TPP).
Il s’agit d’un accord promu par l’ancien président Barack Obama, dont Donald Trump s’était retiré il y a un an, le taxant de « catastrophe en puissance » pour les emplois américains. A l’époque, cet abandon avait semblé signer l’acte de décès de ce pacte très ambitieux, rassemblant 40 % de l’économie mondiale.
Passé le choc initial, les autres pays participants ont décidé d’aller de l’avant. Un camouflet pour les Etats-Unis qui voient se coaliser sans eux certains de leurs plus proches partenaires, dont le Japon, allié historique en Asie. Mais aussi le Canada et le Mexique, engagés, avec Washington, sur un autre front : la renégociation, très tendue, de l’accord de libre-échange nord-américain (Alena). Une nouvelle ronde de discussions, ces derniers jours à Montréal (Canada), n’a pas abouti. Ni dissuadé Donald Trump de continuer à brandir ses menaces de retrait unilatéral.
« Instinct de survie »
« Toute cette rhétorique a poussé un certain nombre de pays à diversifier leurs alliances, par opportunisme ou instinct de survie », décrypte Julien Marcilly, économiste de l’assureur-crédit Coface. En plus de négocier avec l’UE et la zone Pacifique, le Mexique explore ainsi le moyen d’accroître ses importations de maïs en provenance de l’Argentine et du Brésil. Au détriment des Etats-Unis, son principal fournisseur.
Au demeurant, malgré les coups de menton du locataire de la Maison Blanche, la menace protectionniste s’estompe au niveau planétaire. Moins de cinq cents mesures discriminatoires vis-à-vis du commerce ont été prises dans le monde en 2017, selon le site Global Trade Alert, un outil américain de suivi des échanges. Deux fois moins qu’en 2013 et en nette baisse par rapport à 2016 (716 mesures). Ce mouvement coïncide avec l’élan retrouvé du commerce mondial : ce dernier a nettement rebondi l’an dernier après un creux historique des échanges en 2016.
Aux Etats-Unis, en revanche, les mesures protectionnistes se sont accrues en 2017. Et ce pourrait n’être qu’un début, comme en témoigne la mise en place de droits de douane sur les machines à laver le linge et les panneaux solaires, annoncée le 22 janvier par M. Trump. L’administration américaine affirme pourtant vouloir coopérer avec le reste du monde. Et être « fan des accords bilatéraux de libre-échange », comme l’a répété à Davos le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin.
Mais force est de constater que les Etats-Unis sont absents du grand jeu planétaire des négociations commerciales. Celles engagées avec l’UE, le fameux TTIP (ou Tafta, le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement) est au point mort. La mise en œuvre d’un accord avec le Royaume-Uni semble reportée aux calendes grecques ou, à tout le moins, après le Brexit. Et les appels du pied en direction de pays asiatiques, notamment du Japon, ont été poliment ignorés.
Opportunités manquées
« C’est un désaveu pour l’administration américaine qui prétend pouvoir conclure des accords de façon différente, estime Sébastien Jean, directeur du Centre d’études prospectives et d’informations internationales. Tant que le style de négociation de Trump consistera à arriver et à poser son pistolet sur la table, personne n’aura vraiment envie de s’y confronter. »
Même sans Washington, les négociations connaissent leur lot de frictions. La conclusion de l’accord UE-Mercosur se heurte aux résistances des éleveurs français et irlandais. Quant au partenariat transpacifique (TPP), le Canada a hésité à monter à bord jusqu’à la dernière minute.
Quoi qu’il en soit, note M. Jean, les Etats-Unis risquent de se retrouver désavantagés si l’histoire continue à s’écrire sans eux. Ainsi, dans le secteur agricole américain, on s’effraie de la fin possible de l’Alena. Et l’on s’agace des occasions manquées avec le TPP, dans lequel d’autres pays vont profiter de la levée de barrières tarifaires que les Etats-Unis d’Obama avaient eux-mêmes négociée.
En outre, des poids lourds tels que l’UE et le Japon pourront utiliser leurs nouveaux accords pour s’entendre sur les normes de demain : celles régissant, par exemple, l’industrie automobile ou les données numériques. Faute d’être engagés dans l’un de ces grands « deals », les Etats-Unis risquent de n’avoir d’autre choix que de s’aligner.
Marie de Vergès