L’offensive néolibérale dans le secteur hospitalier a trouvé un puissant levier dans le principe de la concurrence introduit par la LAMal, dès 1996. Depuis une dizaine d’années, les assureurs de santésuisse, la faîtière des hôpitaux H+ et les partis de droite, souvent avec l’appui d’élu-e-s socialistes et verts convertis au libéralisme, cherchent à introduire les mécanismes marchands dans la gestion des hôpitaux.
Cette orientation se traduit par un retrait des pouvoirs publics dans le financement de la santé, par des mesures de réduction de l’offre, par l’introduction de nouveaux mécanismes de financement des hôpitaux, par la volonté de mise sur un pied d’égalité du secteur public avec le secteur privé, par la dégradation des conditions de travail dans le secteur public, enfin par la mise en cause des statuts de la fonction publique.
Désengagement des pouvoirs publics
Selon les données les plus récentes de l’OFS (2006), les ménages ont payé 4,9% de plus en 2004 que l’année précédente, alors que la progression des coûts n’a été que de 3,7%. l’Etat a réduit sa part, et le financement de la santé reste le plus privatisé en comparaison internationale : dans la plupart des pays de l’OCDE, les financements publics par les prélèvements fiscaux représentaient en moyenne 73% des dépenses en 2004 contre 17% en Suisse (Eco-Santé 2006) !
Avec la LAMal, la planification hospitalière obligatoire a trouvé une base légale. La droite l’utilise pour réduire le nombre de lits, bien que sur ce plan, la Suisse soit dans la moyenne européenne. Dans plusieurs cantons, les mesures de planification hospitalière ont principalement visé le secteur public. Les divisions privées du secteur public et les services semi-privés ou privés des hôpitaux ou cliniques privées ne sont pas soumis à la planification.
A Neuchâtel, malgré le référendum lancé par les syndicats et la gauche combative, l’établissement hospitalier multisite (EHM) a passé la rampe avec le soutien des socialistes et des verts. Cela signifie entre autres, qu’avec ce statut indépendant, la politique hospitalière échappe aux autorités et que la convention collective pour le personnel ne sera plus négociée avec le Conseil d’Etat mais avec les administrateurs de l’EHM. Dans le canton de Berne, une nouvelle loi sur les soins hospitaliers prévoyait l’ouverture aux prestataires privés des soins hospitaliers publics et n’assurait plus au personnel la protection de ses conditions d’emploi. Après le succès du référendum, la population bernoise a rejeté ce projet.
Réduire l’offre, accroître la rentabilité
Dans d’autres cantons, des luttes contre la fermeture de tel ou tel établissement hospitalier ont vu le jour, comme à Zurich, en Valais, à Fribourg, ou à Genève, mais globalement, par rapport à l’accroissement de la population, le nombre de lits est en relative diminution. Une première enquête de l’OFS (oct. 2006) donne une vue d’ensemble des établissements hospitaliers en Suisse en 2005 : 208 sont publics ou subventionnés, 129 privés. Selon l’observatoire de la santé (Obsan), depuis 2003 le nombre de journées/lits hospitaliers par hab. est en diminution, de même que les effectifs du personnel qui ont globalement baissé pour la 1re fois en 2004. En résumé, la planification sanitaire, en baissant l’offre de lits dans le secteur public, favorise clairement le secteur privé.
Depuis la mise en place de Medicare aux USA dans les années 80, un système de tarification hospitalière par groupe de pathologies est issu de modèles du secteur industriel marchand. Fetter a créé le DRG (diagnosis related groups) pour évaluer la « production hospitalière » sur des standards homogènes avec une recherche du coût moyen par groupe (cost-weight). En donnant la priorité aux dimensions économiques, cette évaluation des prestations fait l’impasse sur la complexité des pathologies, sur la complexité des systèmes hospitaliers et sur les soins infirmiers dont il n’est pas tenu compte dans ce modèle. Ainsi, la« chaîne de production » hospitalière est analysée sur le mode industriel au sens strict, avec pour objectif la mise en concurrence des services offrant des prestations analogues.
Les hôpitaux suisses vont devoir se soumettre à ce nouveau système de financement, appelé APDRG (all patients DRG), mis en œuvre depuis quelques années à Zurich, à la SUVA et au CHUV, sous la pression de santésuisse. L’objectif est de mettre les services sous pression afin de réduire les coûts par patient. Les critères classiques comme la durée des séjours ont été constitutifs de cette nouvelle approche, sans tenir compte ni des ré-hospitalisations ni des complications après un séjour hôspitalier. De plus, ce système pousse au surcodage afin de justifier des séjours prolongés, sans rapport à la réalité clinique. A défaut de pouvoir introduire de façon plus directe la concurrence entre les prestataires de soins, cet outil va permettre aux assureurs de choisir leurs partenaires si la suppression de l’obligation de contracter leur laisse le champ libre. A Genève, ce changement est introduit aux HUG pour 2007.
Attaques aux prestations et aux conditions de travail
Cette mesure fait partie du menu de la révision en cours de la LAMal. Elle vise a donner aux seuls assureurs le contrôle du financement des prestations hospitalières, les subventions cantonales leur étant « confiées ». Les débats sont en cours au niveau parlementaire où se négocie une introduction progressive de ce nouveau système, avec le palier dit « dual fixe » pour le financement (répartition égale de 50% entre pouvoirs publics et assureurs). A terme, santésuisse revendique le pilotage de tout le système, avec la mise en place de contrats de prestations avec les différentes institutions choisies.
A Genève, les récentes mesures annoncées par la direction des HUG et de M. Unger, chef du département de la santé, visent une réduction de 80 à 130 millions des dépenses hospitalières d’ici 2009, répartie entre les différents départements. Suite à un audit de Boston Consulting Group, l’opération « Victoria » a vu le jour, soit une réduction équivalente à 1000 postes de travail (10% des effectifs) ! Une première coupe de 30 millions est prévue au budget 2007 !
Alors que les restrictions budgétaires successives conduisent à un réel déficit en personnel dans les hôpitaux, le taux d’activité lui n’a cessé d’augmenter : entre 2000 et 2005, 11% d’augmentation du volume d’activités, contre 7% de croissance des effectifs, soit un déficit de 4%. Le Forum Santé vient de publier une brochure sur les HUG : « L’hôpital malade de la gestion ou l’obsession des coûts contre la qualité des soins », document qui analyse cette situation, avec témoignages à l’appui.
Ces réductions budgétaires sont à l’ordre du jour dans plusieurs cantons et nécessitent d’autant plus des réponses coordonnées et concertées du personnel et des usager-e-s. La défense du secteur public est en jeu.