380 000 personnes sont actuellement piégées dans une nasse infernale en Syrie, dans la région de la Ghouta orientale, à l’est de Damas. Leur survie physique et politique s’organise grâce à des structures civiles et administratives qui, créées il y a cinq ans, résistent à la fois au régime officiel de Bachar Al-Assad et aux brigades et groupes islamistes.
Mais elles comptent déjà un grand nombre de victimes et si elles ne bénéficient pas au plus vite d’un accès humanitaire, accès que la France s’est engagée à faire respecter par la voix de son président, elles sont condamnées à périr de la plus terrible des façons, du fait de la guerre d’extermination menée encore aujourd’hui par le régime contre son propre peuple. Autant de souffrances et de courage dans l’organisation d’une survie collective dans des conditions de siège méritent autre chose que l’indifférence des démocraties.
Il convient d’y insister, pour mémoire : dans ce contexte épouvantable et malgré une répression féroce depuis que cette zone a été libérée du régime fin octobre 2012, de véritables institutions citoyennes ont été mises en place, créant des espaces de liberté et d’égalité inconnus sous les Assad depuis presque cinquante ans : des élections locales ont eu lieu, des espaces communs ont été organisés, des écoles, des centres de soins et des organismes d’aide sociale et professionnelle, des centres de documentation des violations des droits de l’homme et de préservation du patrimoine culturel ont été créés.
Un régime coupable de crimes de guerre
Tout cela depuis cinq ans malgré un régime qui se rend coupable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en utilisant des moyens de destruction interdits par les conventions internationales : les bombardements dévastateurs qui non seulement blessent et tuent, mais obligent à tout reconstruire sans cesse, l’usage répété des armes chimiques, dont celui d’août 2013 dans cette même région, la famine organisée comme arme de guerre, sans compter le détournement systématique de l’aide humanitaire.
La population ne peut non seulement plus se nourrir, mais plus se soigner. Sur les 572 personnes atteintes de maladies graves et dont la plupart ont fait l’objet de demandes d’évacuation urgente à Damas, adressées à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et au Croissant-Rouge, dix-sept viennent de décéder. On ne peut pas laisser faire cette ignominie d’une mort de masse à petit feu.
En face d’un régime exterminateur et sous la chape stupéfiante d’un système international bloqué, qui en arrive à accompagner dans les faits ce contre quoi il a été créé au milieu du XXe siècle – empêcher les crimes contre l’humanité –, un savoir-faire-société concret et humain est parvenu à durer. Cette résilience et cette résistance sont d’une immense force historique. Les nations démocratiques se doivent de les soutenir, non seulement pour ce qu’elles représentent, mais en vue d’une transition politique pour la Syrie future. Mais il nous faut faire plus.
« Le lit du chaos sur lequel Daech a émergé »
En décembre 2016, Alep-Est tombait sous les bombes. En décembre 2017, c’est toute une région qui, soumise à l’arme de la famine, est menacée d’écrasement délibéré par un pouvoir délégitimé, qui a réussi à vider son pays du quart de sa population et n’a échappé à la défaite militaire et à la justice que grâce aux soutiens étrangers de la Russie et de l’Iran.
Le Comité Syrie Europe, après Alep, qui s’est créé il y a un an en solidarité avec les associations syriennes démocratiques, demande instamment que la France prenne enfin acte des crimes contre l’humanité commis par le régime de Bachar Al-Assad depuis maintenant sept ans, conformément aux annonces du président Emmanuel Macron qui, en avril 2017, déclarait : « L’obstination du régime dans une logique de guerre totale a fait le lit du chaos sur lequel Daech a émergé. Nous continuerons d’aider tous ceux qui, sur le terrain, se battent contre les terroristes. La France accompagnera l’opposition syrienne dans la transition politique qui conduira à l’installation d’un nouveau régime politique en Syrie et au départ de Bachar Al-Assad ».
Nous demandons que ces engagements soient respectés, que la France refuse clairement le crédit insensé fait en matière de paix et de reconstruction à un chef d’Etat qui s’est rendu coupable de crimes imprescriptibles, et qu’elle agisse immédiatement pour que des corridors humanitaires soient créés en direction des centaines de milliers de civils qui risquent de mourir de faim et de froid cet hiver.
La demande politique rejoint ici l’urgence humanitaire : sauver ces personnes condamnées, c’est sauver un monde, notre monde commun.
Par : Hala Alabdalla (cinéaste), Jonathan Chalier (Secrétaire de rédaction, revue « Esprit »), Catherine Coquio (Professeure de littérature, université Paris-Diderot), Frédérik Detue (Maître de conférences, université de Poitiers), Marc Hakim (Médecin hospitalier santé publique), Joël Hubrecht (Juriste), Salam Kawakibi (Politologue), Sarah Kilani (Médecin anesthésiste-réanimateur hospitalier et auteure d’articles sur le conflit syrien), Véronique Nahoum-Grappe (Anthropologue, EHESS), Majd Al-Dik (Activiste syrien), Nadine Vasseur (Auteure) et les membres du Comité Syrie-Europe, après Alep
(Liste complète des signataires : www.scribd.com/document/368079023/Appel-de-Ghouta-Autres-Signataires).