Après la fièvre acheteuse, le coup de froid. En 2013, le géant Sinopec annonçait un ambitieux plan de développement en Afrique : 20 milliards de dollars (près de 17 milliards d’euros) investis sur cinq ans. Une stratégie suivie par les deux autres groupes pétroliers chinois, CNOOC et CNPC, profitant alors de prêts à très bas coûts des banques d’Etat et des incitations gouvernementales généreuses.
La tendance était alors à l’ouverture internationale, et notamment à l’Afrique : 22 % du pétrole importé en Chine vient d’Afrique et 52 % du Moyen-Orient. Le rouleau compresseur chinois investissait à tour de bras dans une quête effrénée de carburant, de pétrole et matières premières pour faire tourner l’usine du monde.
Cette année-là, le groupe rachetait au Français Total, pour 2,5 milliards de dollars, le gisement d’Usan au large du Nigeria. Un investissement économiquement douteux lorsque l’on sait que chaque baril exploité coûtait alors 22 dollars à Pékin, soit deux fois plus que le prix payé par les autres pétroliers à l’époque. Mais la deuxième économie du monde avait alors besoin de carburant et la stratégie de ces grands pétroliers chinois soutenus par l’Etat était d’investir en masse à l’étranger. Dans le seul secteur de l’exploitation pétrolière, la moitié des investissements directs étrangers (IDE) a été réalisée en Afrique et au Moyen-Orient, dans des zones particulièrement instables et donc coûteuses en Libye, en Syrie, au Soudan du Sud ou au Nigeria.
Sinopec rachetait également en 2009, pour 7,24 milliards de dollars, le Suisse Addax Petroleum, sa plus grosse acquisition à l’étranger. Un rachat qui lui ouvrait les portes de nouveaux gisements au Nigeria, au Gabon, au Cameroun et en Irak.
Retournement complet de situation
Mais le vent a tourné. Le baril de brut est tombé à 27 dollars en 2016 contre 100 dollars à l’époque. Aujourd’hui il navigue autour des 60 dollars mais la volatilité des cours incite Sinopec à revoir en profondeur ses investissements en Afrique et à couper les branches mortes.
Le pétrolier chinois aurait en effet mandaté BNP Paribas, selon plusieurs sources, pour vendre ses actifs au Nigeria et au Gabon. Les sites d’Addax « onshore » et « offshore » pourraient se vendre moins d’un milliard de dollars, une toute petite fraction des sommes investies. Le Cameroun resterait alors le seul site exploité en Afrique par le géant pétrolier chinois.
Ce retournement complet de situation n’étonne pas les analystes. L’agence Reuters cite un proche du dossier qui explique que « beaucoup d’entreprises chinoises sont en train de revoir leurs investissements en Afrique pour les diversifier. Le prix actuel du pétrole sur les marchés rend de nombreuses exploitations non rentables pour les entreprises chinoises ».
Une autre raison pousse Pékin à se séparer d’Addax : les enquêtes diligentées en Suisse pour des affaires de corruption au Nigeria. Pékin avait accepté de verser une compensation de 26,7 millions d’euros à l’issue d’une procédure d’arbitrage complexe et de mauvaises publicités.
La production de Sinopec au Nigeria est passée de 140 000 à 87 000 barils par jour seulement et le groupe perd au moins 60 millions de dollars par mois dans le pays. Une débâcle qui en dit long sur les stratégies parfois douteuses des grandes entreprises chinoises en Afrique prises entre corruption, problèmes sécuritaires et volatilité des cours. Le Franco-britannique Perenco, qui a déjà racheté les actifs de Total au Gabon pour 350 millions de dollars, pourrait récupérer la mise. Un coup dur pour le Nigeria, en proie à une insécurité croissante dans le Delta et à une baisse des cours qui a plongé l’économie nationale dans la récession pour la première fois depuis vingt-cinq ans au deuxième trimestre 2016.
Réorientation vers les services et les produits transformés
Mais Sinopec, qui est le troisième plus gros groupe pétrolier mondial, n’a pas dit son dernier mot. En perte de revenus sur l’exploitation, le groupe veut investir désormais dans le raffinage et les services à l’étranger, des secteurs beaucoup plus lucratifs. Le groupe Sinopec a ainsi cherché à acquérir pour près d’un milliard de dollars 75 % des actifs de Chevron en Afrique du Sud et de sa filiale au Botswana. Cet accord prévoyait le contrôle d’une raffinerie, sa première d’envergure en Afrique, d’une capacité de 100000 barils par jour au Cap, d’une usine de lubrifiants à Durban, de 820 stations-service de la marque Caltex et des entrepôts. A cela s‘ajoutaient 220 commerces en Afrique du Sud et dans le Botswana voisin. Glencore a finalement remporté la mise mais ce n’est que partie remise.
Cette recherche de nouveaux investissements marque un retournement dans la stratégie d’internationalisation de ces grandes entreprises, passées de l’exploitation des matières premières brutes à la recherche de profits sur les marchés internationaux avec les services et les produits transformés. « Ce n’est que le début de ce processus, analyse le professeur Lin Boqiang, de l’Institut chinois des études énergétiques. Comme toutes les grandes entreprises, les groupes pétroliers chinois doivent continuer de se développer et générer des profits. Le marché domestique n’offre plus de perspectives importantes de croissance. »
C’est donc à l’étranger que ces groupes cherchent leur salut. Les profits de Sinopec ont ainsi retrouvé des couleurs, en hausse de 12,77 % en un an grâce à ses nouveaux revenus générés dans les services pétroliers. La fin, pour le géant, de l’âge de l’or noir africain, ou le début d’une nouvelle ère ?
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)