Uraz Aydin
Quelques jours avant que le procès ne reprenne, Deutsche Welle (DW) a rencontré Uraz Aydin, âgé de 41 ans, dans un café d’Istanbul. Il y a près d’un an, il faisait partie d’un groupe d’universitaires qui avaient signé une pétition de paix. Peu après, comme bien d’autres de ce groupe, il a perdu son emploi de chercheur associé à la faculté de communication de l’Université de Marmara. Une nouvelle loi, prise dans le cadre de l’état d’urgence entré en vigueur en février 2017, fournit les motifs de son licenciement.
Cela représente un dur coup pour Aydin. Il appréciait son emploi à l’université et tout ce qu’il a dû laisser derrière lui après huit ans de recherches lui manque. Il a étudié les sciences de la communication à l’Université de Marmara avant de rédiger sa thèse de doctorat à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris.
Sa thèse étudiait comment les idées libérales de gauche sont diffusées par les chroniqueurs turcs. « Je suis actif dans le syndicat et je n’ai jamais dissimulé mon identité de gauche. Mais j’ai bel et bien senti les conséquences que cela comportait. Alors que certains de mes étudiants ont obtenu des postes d’enseignement à l’université, cela n’a pas été mon cas. »
Une signature qui change une vie
Aydin n’aurait jamais pu imaginer à quel point la signature de la pétition de paix aurait un impact sur sa vie. Il a signé l’appel à une époque où lui et d’autres universitaires étaient convaincus qu’ils ne pouvaient plus accepter les conditions existantes. « Mes amis et moi-même nous sommes demandé si nos signatures allaient participer à la politique répressive actuelle. De fait, nos protestations sont devenues un des éléments invoqués pour fixer l’agenda du pays. Il a donc pris le contrôle de nos vies. »
L’année dernière, après plusieurs années de travail en tant qu’assistant de recherche, Aydin a postulé pour un poste de professeur et une place lui avait été promise. Le jour suivant, toutefois, il a découvert que les noms des universitaires qui avaient signé la pétition avaient été communiqués au conseil de l’université. « Mon bonheur n’aura donc duré qu’un seul jour. »
Depuis cet instant, il a attendu la publication d’une liste de noms réunis sous le régime de la loi d’urgence. Lorsqu’il a vu son nom sur la liste, il a été soulagé. « Il était clair pour nous que la communication de nos noms au conseil de l’université signifiait notre licenciement. L’attente a été pénible. Cela conduit à penser, “advienne que pourra”. »
Trouver la force dans la solidarité
Les yeux d’Aydin s’illuminent lorsqu’il se rappelle du jour où il est allé à son bureau rassembler ses affaires. Les marques de solidarité qu’il a reçues le rendent émotionnel. Il n’a pas pu prendre tous les livres qu’il a accumulés au cours des 29 dernières années. Entré désormais dans la quarantaine, il a été profondément choqué de devoir quitter l’université dans laquelle il est entré à l’âge de 19 ans.
« L’Etat t’accuse de propagande terroriste et tu reçois une solidarité extraordinaire. Cela te donne la force de poursuivre. Mais, parfois, tu as le sentiment d’être la victime d’une grande injustice. Qui m’arrache d’un endroit où j’ai passé tant d’années, et de quel droit ? »
Le procès d’Uraz Aydin a débuté immédiatement après son licenciement de l’université. L’accusation affirme que la pétition publiée constitue un acte de propagande terroriste. Une déclaration de Bese Hozat, coprésidente de l’Union des communautés du Kurdistan (KCK), en date du 27 décembre 2015, est aussi utilisée comme preuve. Le KCK est considéré comme une émanation du PKK, classé par la Turquie sur la liste des organisations terroristes.
Pas de nouveau départ à l’étranger
Uraz Aydin n’a pas envisagé le commencement d’une nouvelle vie à l’étranger. Il ne veut pas contraindre son jeune fils à revivre l’expérience qu’il a traversée. Aydin a grandi à Paris, après que son père a dû quitter la Turquie dans le sillage du coup d’Etat militaire du 12 septembre 1980. Ce n’est que grâce à l’amnistie de 1991 que la famille d’Aydin a pu rentrer en Turquie.
Il affirme sa conviction, bien que les temps sont durs pour les universitaires en Turquie, d’être du bon côté. Puis, subitement, il tire un livre : la traduction turque de Nuriye Gulmen des Lettres de Hesse et Mann, un échange entre les prix Nobel de littérature Thomas Mann et Hermann Hesse. La traductrice, qui a également perdu son emploi pour avoir signé la pétition, est engagée dans une grève de la faim. La citation qu’Aydin lit à haute voix résume son appréciation du procès : « Nous faisons face à la méchanceté dans toute son horreur. Cette expérience, que nous sommes contraints d’accepter, nous amène à découvrir ce qu’il y a de bon dans nos vies. »