Une nouvelle banque chinoise pour financer les infrastructures de l’Afrique
L’établissement asiatique commence à s’ouvrir au continent africain et se veut une alternative à la Banque mondiale, explique notre chroniqueur.
Son nom n’est pas forcément explicite, mais la nouvelle Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII) s’ouvre au continent africain. L’Ethiopie et le Soudan sont les nouveaux membres africains de cette banque. Après l’Egypte et l’Afrique du Sud, leur arrivée porte à quatre le nombre de pays africains représentés dans cette nouvelle institution dirigée par la Chine. L’annonce officielle est attendue en juin, mais cet élargissement a été confirmé ces dernières semaines par le président de la BAII, le Chinois Jin Liqun. D’autres pays africains suivront en 2018, dont l’Algérie, la Libye, le Nigeria et le Sénégal.
Cinquante-sept pays composent actuellement cette institution créée en décembre 2015 comme une alternative à la Banque mondiale. Ils seront dans les prochains mois quatre-vingt-deux membres avec pour vocation de financer des projets d’infrastructures partout dans le monde, et notamment en Afrique. Pour l’instant, seuls six chantiers au Pakistan, au Tadjikistan et en Indonésie ont été financés pour un montant de 829 millions de dollars (779 millions d’euros).
Prêteur international
Jin Liqun a annoncé vouloir placer l’Afrique au cœur de la stratégie de la BAII. « Le A de notre institution signifie autant Asie, qu’Afrique ou Amériques, a annoncé cet ancien fonctionnaire de la Banque mondiale et vice-ministre chinois des finances. Nous souhaitons développer des projets en Afrique, en coopération avec la Banque mondiale et la Banque africaine de développement afin de soutenir le processus d’industrialisation du continent. »
La BAII marque symboliquement le rôle de la Chine en tant que prêteur international. En Afrique, l’Exim Bank, la banque chinoise d’import-export, est déjà en pointe avec le secteur bancaire de développement. Elles concentrent à elles deux plus de 90 % des prêts chinois accordés aux Etats africains.
Dans un entretien au Financial Times, Carlos Lopes, ancien directeur de la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, a salué ce mouvement d’ouverture de la BAII à l’Afrique. « L’arrivée de pays africains est très importante. L’Ethiopie, par exemple, devrait profiter pleinement des prêts de la BAII. C’est une façon pour l’Afrique de montrer qu’elle n’est pas juste un récipiendaire de l’aide chinoise, mais qu’elle participe et soutient la politique chinoise sur le continent. Avec l’élection de Donald Trump, il faut s’attendre à ce que davantage de pays africains se tournent vers la Chine. »
Domination chinoise
Les Etats-Unis de Donald Trump se placent en retrait de ce mouvement. Le nouveau président américain, trop occupé à protéger ses frontières, est opposé à toute forme de financement multilatéral. Déjà, sous la présidence Obama, les Etats-Unis se sont mis à l’écart de la BAII qui est, selon eux, est un instrument de domination chinoise.
Symbole de cette ouverture au continent africain, l’AIIB vient d’offrir un poste de conseiller stratégique à Ngozi Okonjo-Iweala, l’ancienne ministre des finances du Nigeria. Mais un débat reste encore à trancher à Pékin : avec l’ouverture de la BAII à ces nouveaux membres, la place de la Chine sera forcément diluée. Actuellement, le pays bénéficie d’un droit de veto de facto avec 26 % des sièges, mais il pourra remettre en cause sa place à mesure que de nouveaux pays viendront s’asseoir à la table de la nouvelle banque qui siège à Pékin.
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
* LE MONDE Le 15.03.2017 à 17h04 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/03/15/une-nouvelle-banque-chinoise-pour-financer-les-infrastructures-de-l-afrique_5095026_3212.html
La Chine investit dans la finance islamique
Notre chroniqueur fait le point sur la montée en puissance des fonds chinois qui respectent les principes de la charia, notamment en Afrique.
La banque islamique Faisal, à Khartoum, au Soudan, en janvier 2016.
Pour permettre aux pays africains de régler leurs contrats de constructions de nouvelles infrastructures, qui chaque année représentent 54 milliards de dollars (51 milliards d’euros), il faut sans cesse trouver de nouveaux modes de financement. Les institutions internationales couvrent les deux tiers des projets (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement, etc.), mais d’autres formes se développent, notamment à l’initiative de la Chine.
Car les besoins sont immenses, la Banque mondiale estime en effet que « pour combler ce déficit en infrastructures, le continent devra débourser 93 milliards de dollars par an au cours de la prochaine décennie ».
Un véhicule d’investissement a le vent en poupe : la finance islamique. Mi-novembre, le Sichuan Development Financial Leasing Co a annoncé qu’il allait vendre 300 millions de dollars de sukuk via Silk Routes Capital. Un fonds créé sur mesure à Singapour, piloté par des Chinois et une équipe de financiers internationaux. Mais qu’est-ce que les sukuk ? Le terme désigne dans le droit musulman un certificat d’investissement conforme à la charia et donc des produits financiers et des transactions qui respectent les principes d’interdiction de l’usure et de la spéculation.
Au total, ce fonds devrait à terme proposer un milliard de dollars de ces obligations islamiques et servira de véhicule financier pour la Chine dans les pays musulmans où le sukuk est privilégié. C’est le cas notamment au Moyen-Orient et en Afrique. Une première pour la Chine dans ce domaine.
Nouvelle route de la soie
« La Chine, via Hongkong et Singapour, cherche à se positionner comme une place financière de premier choix pour la finance islamique et à capitaliser ainsi sur la croissance des liens commerciaux entre la Chine, le Moyen-Orient et le continent africain. Les Etats asiatiques et africains veulent attirer les investisseurs musulmans extérieurs qui avaient plutôt tendance jusqu’à présent à investir en Europe ou aux Etats-Unis », nous explique le consultant Philippe Djemis, spécialiste de la Chine-Afrique.
Ce nouveau projet chinois s’inscrit dans le dessein plus vaste de cette nouvelle route de la soie qui traverse l’Asie du Sud, l’Eurasie et descend vers le continent africain. Les fonds chinois autorisés à investir à l’étranger ont le vent en poupe depuis la naissance de ce projet pharaonique et les sommes investies ont plus que quadruplé entre janvier et fin septembre 2016 pour atteindre 2,6 milliards de dollars.
« Les investisseurs des pays du Golfe et les banques islamiques ont beaucoup d’argent et veulent acheter des sukuk libellés en dollars en attirant des fonds chinois », détaille Philippe Djemis. Les sommes investies dans les fonds respectant la loi islamique ont augmenté de 28 % cette année entre janvier et novembre et la Chine s’y intéresse de plus en plus. Selon les projections du cabinet Ernst & Young, les émissions de sukuk pourraient tripler d’ici à 2017, pour atteindre 720 milliards de dollars. Au total, le marché de la finance islamique pèse 2 100 milliards de dollars, selon la dernière note publiée par l’agence de notation américaine Standard & Poor’s.
« Un vent nouveau se lève »
Sur le continent, le Nigeria, le Sénégal ou encore le Soudan font de plus en plus appel à la finance islamique pour boucler les financements de projets ferroviaires et de gros équipements urbains.
« En 2014, le Sénégal a émis un fonds souverain sukuk d’un montant de 100 milliards de francs CFA (152 millions d’euros), précise Philippe Djemis. Dans toute l’Afrique, un vent nouveau se lève qui pourra permettre de développer l’économie africaine. Le problème reste cependant le manque de structuration de la finance en Afrique. »
Le Fonds de développement Chine-Afrique (CADFund) et la Banque islamique de développement (IDB) ont signé cette année à Pékin un premier accord qui permettra à la Chine d’investir plus massivement dans ce domaine. Les banques chinoises, telles ICBC et Bank of China, sont déjà en embuscade, mais le principal vecteur d’investissement sera la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (AIIB). Cette structure, initiée par la Chine, suscite une vive méfiance des Etats-Unis. La BAII, dont les statuts fondateurs ont été signés en juin 2015, vise à financer des projets d’infrastructures dont les investissements font cruellement défaut. Sur ses 57 membres fondateurs, une vingtaine sont des pays occidentaux, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, et on compte pour l’instant deux pays africains, l’Egypte et l’Afrique du Sud. L’Arabie saoudite et l’AIIB sont actuellement en train de négocier la mise en place de financements islamiques.
La Chine n’est pas le seul pays asiatique à jeter son dévolu sur les obligations islamiques. La Malaisie et l’Indonésie, en tant que pays musulmans, sont déjà en pointe dans ce secteur. Mais il faut aussi compter sur le Japon, dont la filiale dans le Golfe de la banque Tokyo Mitsubishi propose déjà des services financiers respectant la charia.
« Avec 23 millions de musulmans en Chine et une place prépondérante de l’Afrique dans sa diplomatie et son commerce extérieur, Pékin a donc les atouts pour devenir un acteur de premier choix dans la finance islamique », souligne le professeur Yi Ren Thng, de l’université Stellenbosch en Afrique du Sud, dans son rapport.
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
* LE MONDE Le 22.11.2016 à 17h30 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/11/22/la-chine-investit-dans-la-finance-islamique_5036029_3212.html
Les nouveaux arbitres de la Chinafrique
Avec la multiplication des contrats entre la Chine et l’Afrique, les conflits augmentent. Plusieurs tribunaux se disputent ce juteux marché, décrypte notre chroniqueur.
Les projets d’investissement chinois en Afrique ont doublé en 2016 alors que les investissements américains stagnaient et que les britanniques reculaient de moitié. La Chinafrique se porte bien et, pour que cela continue, Pékin a décidé de créer des tribunaux d’arbitrage sur mesure. Pour la première fois, les pays du Sud vont donc pouvoir régler leurs différends commerciaux « en famille » et à proximité des lieux d’exécution des contrats.
Cette année verra en effet l’ouverture de trois nouvelles cours d’arbitrage dans le cadre du China-Africa Joint Arbitration Center (Cajac). Créée en novembre 2015, cette nouvelle institution avait jusque-là deux bureaux, encore peu actifs, à Johannesburg et à Shanghaï.
L’ouverture de ces trois nouveaux centres à Nairobi, à Pékin et à Shenzhen doit permettre de simplifier la signature des contrats en proposant une cour d’arbitrage spécifique. C’est en tout cas une première qui permet aux entreprises chinoises et africaines de ne plus passer systématiquement par une médiation européenne lointaine, souvent lente et très chère.
Intervenir en cas de litige commercial
« Au Kenya, une cinquantaine d’entreprises chinoises travaille sur des projets d’infrastructures, explique Xin Xiuming, représentant de l’Association internationale des entreprises chinoises. Pour elles, il était urgent d’avoir accès à une cour d’arbitrage à Nairobi. »
Qu’est-ce que qu’un tribunal arbitral ? Il s’agit d’un organisme privé, indépendant, censé intervenir en cas de litige commercial entre deux parties : problèmes dans l’exécution des contrats, défaut de paiement ou violation des engagements contractuels… Les conflits sont nombreux et l’arbitrage peut prendre plusieurs années en coûtant des millions de dollars aux différentes parties.
L’affaire la plus célèbre concerne Addax Petroleum au Gabon. Cette filiale du pétrolier chinois Sinopec a dû verser 400 millions de dollars (355 millions d’euros) pour des obligations contractuelles fiscales. Elle avait sollicité l’arbitrage de la Chambre internationale de commerce de Paris dans ce bras de fer l’opposant au gouvernement gabonais.
D’autres affaires similaires existent au Tchad, au Ghana ou au Nigeria… Le Cajac doit permettre d’accélérer les procédures en créant des tribunaux indépendants mais représentant toutes les parties. Cinquante pays africains soutiennent le Cajac, qui servira également de plate-forme de conseils.
« Des centres d’arbitrage »
« La désignation d’un lieu d’arbitrage n’est jamais décidée à la légère », explique l’avocat français Grégory Louvel, du cabinet Leaf. Pour celui qui traite de nombreux contrats entre la Chine et l’Afrique, « cette question est liée aux luttes d’influence ». Les pays francophones d’Afrique de l’Ouest voulant souvent dépendre de Paris ou de Genève en cas d’arbitrage, tandis que les pays d’Afrique de l’Est, où domine la Common Law d’inspiration britannique, préfèrent Londres, Hongkong ou Singapour.
Il y a une dizaine d’années, la Chinafrique se limitait essentiellement à des contrats d’Etat à Etat où les conflits se réglaient au niveau ministériel. Actuellement, de plus en plus d’entreprises privées chinoises et de consortiums africains sont concernés et les contrats connaissent parfois – c’est la loi du genre – des contentieux qu’il faut bien régler.
« Dans la pratique, les grandes sociétés chinoises qui interviennent dans les constructions d’infrastructures ou l’exploitation des ressources naturelles en Afrique ont assez de poids économique sur le contrat pour imposer leur centre d’arbitrage, explique l’avocat français Franck Desevedavy, du cabinet Asiallians. La Chine essaie d’imposer des centres d’arbitrage à Shanghai, Pékin ou Shenzhen, ce qui n’est pas toujours apprécié par les gros contractants africains qui tiennent à la neutralité de la procédure arbitrale. »
Régler une partie des conflits
C’est la raison pour laquelle la création de tribunaux dédiés et indépendants en Afrique et en Chine doit permettre de régler une partie des conflits. L’avocat français basé à Pékin intervient lui-même comme arbitre auprès de plusieurs chambres de commerce international. « La sécurité juridique est un point important, donc j’insiste souvent pour que Paris soit le lieu de l’arbitrage dans les contrats Chine-Afrique qui concernent la partie francophone du continent. »
D’autres tribunaux tentent également de s’imposer sur ce créneau : la CACI à Abidjan et, plus récemment, à l’île Maurice. Cette dernière est le pays qui compte le plus de traités commerciaux bilatéraux en Afrique. L’île profite d’une fiscalité privilégiée essayant d’attirer les sièges régionaux d’entreprises chinoises en échange de taux d’imposition particulièrement conciliants. La banque de Chine a même déjà obtenu une licence pour opérer à Maurice.
« Le centre d’arbitrage de l’île Maurice est affilié à la chambre d’arbitrage international de Londres, mais il fonctionne de manière indépendante et travaille beaucoup pour promouvoir le règlement des contentieux entre la Chine et l’Afrique », note Franck Desevedavy.
Mais une bataille se joue également en Afrique pour savoir qui du droit continental d’inspiration française ou de la Common Law britannique prendra le dessus. « Choisir l’Afrique du Sud et le Kenya n’est donc pas innocent, et devrait surtout plaire aux cabinets anglo-saxons », conclut avec malice ces avocats français.
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
* LE MONDE Le 22.05.2017 à 16h38 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/05/22/les-nouveaux-arbitres-de-la-chinafrique_5131921_3212.html