C’est la rentrée universitaire pour près de 50 000 étudiants africains cette année en Chine. Un record. Ils sont vingt fois plus nombreux qu’il y a dix ans et la plupart bénéficient d’une bourse du gouvernement chinois. Maria Belgica Catalina Nvo Acaba promène son large sourire et ne passe pas inaperçue avec son pagne coloré dans les rues de Pékin. Arrivée il y a deux ans en Chine, elle converse déjà dans un chinois quasi parfait avec les petits vendeurs du quartier.
« Je suis arrivée sans parler un mot de mandarin, explique cette jeune femme de 24 ans. Aujourd’hui, je me débrouille parfaitement. » Comme un poisson dans l’eau, Maria nous explique n’avoir eu aucun souci d’adaptation. Elle est pourtant la seule Equato-Guinéenne à étudier dans la prestigieuse Académie du film de Pékin. Une formation facturée plus de 10 000 euros annuels par les Chinois mais qui ne lui coûtera absolument rien grâce à sa bourse.
Une augmentation de plus de 35 % par an
Des cours intégralement donnés en mandarin et une plongée dans le cinéma asiatique. « Quand je suis arrivée, c’était vraiment un choc, se souvient-elle. Le monde, le bruit, toute cette agitation autour de moi. Il m’a fallu un peu de temps pour m’habituer et apprendre la langue. Mais les autres étudiantes chinoises m’ont toujours beaucoup soutenue. »
Ils sont soixante-trois étudiants équato-guinéens cette année à Pékin et six cent quarante dans toute la Chine où les quelque trois mille universités de l’Empire du milieu ont largement ouvert leurs portes aux étudiants étrangers ces dernières années. Dans la capitale, ils se retrouvent souvent le week-end dans les clubs de salsa ou autour d’un plat traditionnel concocté par l’un d’entre eux à tour de rôle.
Selon les chiffres du ministère chinois de l’éducation, le nombre d’étudiants étrangers en Chine augmente de plus de 35 % par an et un étudiant étranger sur dix vient du continent africain. En 2005, la Chine comptait 2 757 étudiants africains. Cette année, ils sont donc près de 50 000… La Chine se place ainsi juste derrière la France comme destination privilégiée des étudiants du continent.
Plus de 80 000 étudiants africains en 2018
A l’origine de cette ruée vers l’Est : la distribution généreuse de bourses aux étudiants étrangers avec, en tête, les étudiants venus du continent. En dix ans, le nombre de bourses accordés aux Africains a été multiplié par plus de 300 !
Maria touche ainsi l’équivalent de 330 euros par mois, est logée gratuitement à l’université et ne paie aucun frais de scolarité. « J’ai simplement déposé ma demande de bourse à l’ambassade de Chine en Guinée équatoriale, explique-t-elle. J’ai dû répondre à deux questions : “Que connaissez-vous de la Chine ?” et “Pourquoi souhaitez-vous étudier en Chine ?” » Facile. Quelques semaines plus tard, Maria était dans l’avion. « Je suis très fière d’être la première femme de mon pays à étudier le cinéma en Chine », confie celle qui se rêve déjà réalisatrice dans quelques années.
Lors du Forum sino-africain de 2015, la Chine s’est ainsi engagée à fournir 30 000 bourses supplémentaires aux étudiants du continent d’ici à 2018. Il devrait être alors plus de 80 000 à venir étudier dans le pays. Il ne s’agit pas seulement de tendre la main au premier partenaire commercial de la Chine, Pékin veut aussi tisser des liens étroits entre les élites chinoises et africaines.
Programme prestigieux
Les fonctionnaires sont ainsi la priorité du gouvernement chinois. Le programme de bourses géré par le tout puissant Mofcom, le ministère chinois du commerce, et lancé il y a deux ans, est ainsi réservé aux employés des secteurs publics africains. Dix mille personnes sont concernées. Une bourse de 400 euros par mois, un logement gratuit et l’opportunité de suivre un programme sur-mesure et en anglais pendant un ou deux ans.
Rukiya Pazi est arrivée de Tanzanie il y a un mois à peine pour suivre le programme master international en administration publique. Au menu : des cours de sciences politiques, mais aussi de politique tout court. « Nous avons des cours prévus sur la théorie politique en Chine, le maoïsme et le communisme », explique-t-elle.
Cette universitaire découvre la Chine avec les yeux d’un enfant : « Je me suis toujours demandé quel était le secret de la croissance économique chinoise et si nous pouvions appliquer ces recettes à l’Afrique », explique-t-elle, avec la curiosité des nouveaux arrivants. Quarante-deux Africains, dont trois Tanzaniens, débutent ainsi cette année ce programme prestigieux à l’université de Tsinghua, symbole du succès de cette « diplomatie douce » mise en place par Pékin à destination des futures élites africaines.
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)