Depuis quelques mois, les études se multiplient au sujet de la relation Chine-Afrique. Mais leurs conclusions divergent. Le cabinet américain McKinsey a ainsi réveillé l’intérêt de nombreux observateurs sur cette relation. Poétiquement intitulée « La danse des lions et des dragons », l’étude menée par trois économistes met en avant l’importance des investissements chinois sur le continent et leur potentiel.
Selon leur rapport, les entreprises chinoises généreraient déjà 12 % de la production industrielle africaine estimée à 500 milliards de dollars (430 milliards d’euros). Dans le secteur des infrastructures, la part de marché des entreprises chinoises atteindrait déjà 50 %. Plus de dix mille entreprises chinoises opèrent sur le continent et 90 % d’entre elles sont privées. De quoi briser certaines idées reçues. Leurs revenus générés en Afrique pourraient croître de 144 % et atteindre 440 milliards de dollars d’ici à 2025, selon les économistes de McKinsey qui classent les bons et les mauvais élèves : Afrique du Sud et Ethiopie en tête, Zambie et Angola en queue de peloton.
Le continent le plus dépendant de la Chine
Mais ce qui ressort surtout de cette étude pour le moins optimiste, ce sont les profondes inégalités de la relation Chine-Afrique. Le cabinet américain ne s’est penché que sur les cas de huit pays parmi les plus emblématiques, interrogeant un millier d’entreprises. Difficile donc de généraliser à partir de cette seule étude à l’ensemble du continent. C’est la raison pour laquelle la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur (Coface) a pour sa part jeté un pavé dans la mare.
Que disent cette fois ses économistes ? « Les investisseurs chinois restent d’abord motivés par la quête des matières premières, explique Ruben Nizard, économiste et coauteur du rapport. Depuis des années, on parle de diversification des économies africaines, mais la réalité, c’est que nous en sommes encore très loin. C’est intéressant de voir que seuls les pays relativement pauvres en matières premières comme l’Ethiopie ont une relation plus équilibrée avec la Chine. Pour les autres, nous dressons un constat de forte dépendance autour du pétrole, des matières premières brutes minérales et des métaux. Ils représentent 90 % du total des exportations africaines vers la Chine. »
L’Afrique est ainsi le continent le plus dépendant de la Chine. En 2016, l’Afrique subsaharienne affiche un coefficient de dépendance (sur une échelle allant de 0 à 1) aux exportations bien plus élevé que les autres pays émergents : 0,24, contre 0,16 par exemple pour l’Asie du Sud-Est et 0,19 pour le trio Russie, Brésil, Inde. Le différentiel est encore plus important avec l’Union européenne (0,07) et les Etats-Unis (0,12).
La forte volatilité des cours des matières premières, on l’a vu lors de la crise de 2014-2015 et la baisse de près de moitié en quelques mois des exportations vers la Chine, fragilise considérablement les économies africaines. Le Soudan, l’Angola, le Congo-Brazzaville et la Mauritanie sont les plus dépendants de la Chine, et donc les plus fragiles.
« Des pistes de diversification »
« Le mariage de raison va-t-il durer ? », s’interroge la Coface de façon beaucoup plus pessimiste que ses confrères américains. « On s’attend à une baisse de l’activité en Chine et les économies africaines vont devoir s’y adapter. Si la demande chinoise diminue, c’est d’abord parce que la structure de l’économie chinoise change rapidement, explique Julien Marcilly, économiste en chef de la Coface. Non seulement la croissance chinoise va ralentir, mais, surtout, les secteurs qui sont liés aux infrastructures et aux matières premières sont davantage pénalisés en Chine que les secteurs liés à l’émergence de la classe moyenne et donc à la consommation des ménages. Tout le défi pour les pays émergents d’Afrique subsaharienne, c’est d’arriver à restructurer et à changer leurs exportations pour davantage bénéficier de ces secteurs porteurs en Chine. »
Afin d’atténuer les chocs, les pays africains doivent trouver d’autres produits que le pétrole et les minerais à exporter vers la Chine. Plusieurs pistes sont évoquées : d’abord les industries de transformation des matières premières. « Au Congo-Kinshasa, par exemple, le cuivre est de plus en plus transformé localement, mais essentiellement encore via des entreprises chinoises implantées sur place. Au Congo-Brazzaville, une nouvelle loi oblige ces entreprises à n’employer que 20 % de main-d’œuvre chinoise. Ces deux mouvements sont des pistes à creuser afin de permettre aux économies africaines de se diversifier et ainsi de trouver d’autres clients que la Chine et stimuler l’emploi local. »
Les pistes concernant d’autres secteurs que les métaux et les minerais sont aujourd’hui encore relativement marginales. Il s’agit de l’agriculture (bois de rose, tabac, sésame et oranges d’Afrique du Sud) et de la production d’articles manufacturés. « Ce sont des pistes de diversification, mais il ne faut pas perdre de vue que les matières premières sont de très loin la priorité des entreprises chinoises en Afrique. » Certains, comme l’économiste Irène Yuan Sun, elle aussi consultante chez McKinsey, prédisent que l’Afrique deviendra à son tour « l’usine du monde », mais la production d’articles manufacturés représente moins de 1 % des exportations africaines (quelques centaines de millions de dollars seulement à l’échelle du continent). « C’est encore très anecdotique. La main-d’œuvre africaine est plus chère qu’en Asie et elle souffre d’un grave déficit d’éducation. » Résoudre ces problèmes ne se fera pas en quelques années.
Il est toujours difficile d’imposer ses conditions à son principal client, mais le prochain forum Chine-Afrique, le Focac 2018, qui aura lieu cette fois à Pékin, doit être l’occasion de revoir les termes de cette relation si particulière. Et, pour l’Afrique, de trouver enfin un modèle de croissance équilibrée en prenant en compte le poids des matières premières.
Sébastien Le Belzic (chroniqueur Le Monde Afrique, Pékin)
* « La relation Chine-Afrique entre croissance et dépendance ». LE MONDE Le 13.11.2017 à 14h52 • Mis à jour le 14.11.2017 à 09h27 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/11/13/la-relation-chine-afrique-entre-croissance-et-dependance_5214150_3212.html
« La Chine s’aide plus qu’elle n’aide l’Afrique en lui accordant des milliards de dollars »
Seule une petite partie des sommes déversées sur le continent Pékin « pour le développement » profite à la population, décrypte notre chroniqueur.
En matière de Chinafrique, les chiffres sont opaques. Pékin avance des « montants historiques », 60 milliards de dollars (50 milliards d’euros) par exemple en décembre 2015 pour le continent, mais la réalité est plus complexe. La Chine a distribué 354,4 milliards de dollars (300 milliards d’euros) d’aides à travers le monde entre 2000 et 2014. Un peu moins que les Etats-Unis, 394,6 milliards de dollars (334 milliards d’euros), sur la même période. Pékin se concentre en priorité sur l’Afrique et aide des pays comme l’Angola, le Soudan ou le Zimbabwe, généralement délaissés par l’Occident.
Cependant, « entre 2000 et 2015, 23 % seulement des sommes présentées par la Chine comme étant de l’aide publique au développement répondait effectivement à ces critères tels que définis par la Banque mondiale et l’OCDE », explique Bradley Parks, directeur d’Aid Data, un programme de recherche américain.
« Motivations économiques et commerciales »
Leur dernière étude publiée en octobre montre ainsi un tableau en demi-teinte grâce à un travail de cinq années réalisé par une équipe d’une centaine de chercheurs et couvrant 4 400 projets. D’un côté, pour ce qui concerne les aides à proprement parler, Aid Data montre que les aides chinoises sont aussi efficaces que les aides occidentales, contrairement aux idées reçues. Elles amènent à chaque doublement de l’aide une moyenne de 0,4 % de croissance économique supplémentaire les deux premières années de financement des projets.
Mais, pour le reste, la Chine joue avec les chiffres. « Aux Etats-Unis par exemple, 93 % de l’aide au développement servent effectivement le bien-être des populations. Mais, en Chine, c’est l’inverse, explique Bradley Parks, puisqu’il s’agit essentiellement de motivations économiques et commerciales. Ce sont souvent des prêts concessionnels avec de faibles taux d’intérêts et pour objectif de servir uniquement les intérêts économiques chinois. »
« Imaginez que nous arrivions à 50 % des montants versés par la Chine qui répondraient aux critères de l’aide au développement tels que la Banque mondiale l’entend, ce serait alors pour l’Afrique véritablement bénéfique », précise Bradley Parks. Aux gouvernements africains de peser dans la balance au moment des négociations en distinguant clairement aides et investissements.
La Chine mélange volontairement les deux aspects afin d’apparaître comme le véritable allié du continent. Les équipes d’Aid Data s’appuient sur des données objectives. Un travail de collecte à grande échelle allié à une méthodologie de triangulation et de géolocalisation. On voit ainsi que la Chine aide en priorité les pays qui la soutiennent politiquement et investit dans les pays plus solvables et riches en matières premières.
« Une hausse importante de la corruption »
Les aides de la Chine dans le secteur énergétique sont ainsi quarante fois plus importantes en Afrique que ceux dans l’éducation. On comprend mieux le discours officiel chinois qui vise à faire des investissements dans les infrastructures le pilier de la croissance économique en Afrique. Un mélange des genres qui peut brouiller les cartes au moment de comparer l’aide chinoise et occidentale.
Aid Data relève ainsi que, sur les dix pays les plus aidés par la Chine dans le monde entre 2000 et 2014, sept se trouvent en Afrique. Il s’agit de la Côte d’Ivoire avec 4 milliards de dollars d’aide en 2014 (juste derrière Cuba), de l’Ethiopie (3,7 milliards), du Zimbabwe, du Cameroun, du Nigeria, de la Tanzanie et du Ghana.
Autre aspect étudié par ces chercheurs, la corruption. Et là les choses apparaissent très clairement : « Nous voyons une hausse importante de la corruption au niveau local autour des projets initiés par la Chine en Afrique », explique Bradley Parks.
Que ce soit pour l’obtention des permis de construire, des relations avec la police ou des autorisations de travail, l’aide chinoise attire son lot de requins. Les chiffres montrent clairement une hausse des pots-de-vin sur un périmètre de 50 km autour des projets développés par la Chine !
Un autre aspect est plus politique. Lorsque, en 2010, le ministre chinois des affaires étrangères, Yang Jiechi, visitait un petit village de Sierra Leone inaugurant une école au milieu de nulle part, certains se sont demandé pourquoi ici ? Il apparaît que ce village de Yoni était aussi le village natal du président Ernest Bai Koroma… C’est l’un des très nombreux exemples révélés par ces études : « Les études montrent un triplement des aides aux régions natales des dirigeants africains lorsqu’ils arrivent au pouvoir. »
Une diplomatie du portefeuille
En 2014, pourtant, un livre blanc stipulait clairement que le gouvernement chinois ne peut imposer aucune « condition politique » à ses aides au développement. Mais la réalité est bien différente : « La Chine aide uniquement ses alliés et leur gouvernement », assure Aid Data.
Les pays africains qui votent pour la République populaire de Chine à l’ONU connaissent une hausse de 86 % des aides de Pékin. Une diplomatie du portefeuille qui explique en partie que seuls deux pays seulement reconnaissent encore Taïwan en Afrique (le Swaziland et le Burkina Faso), contre treize en 1995.
Les choses pourraient changer. « On peut imaginer que la Chine va devenir plus regardante pour ses investissements, estime Bradley Parks. Sur le plan économique, on constate une baisse des aides dans les pays qui présentent des risques de défaut, comme l’Angola, et sans doute une meilleure prise de conscience des conséquences sociales et environnementales en Afrique. »
Mais, dans le même temps, l’afflux massif des aides chinoises a provoqué une compétition accrue entre pays donateurs. « Les pays qui reçoivent de l’aide peuvent ainsi faire jouer la concurrence et négocier les termes du soutien entre les pays occidentaux et la Chine, souvent moins regardante. Cela amène une baisse des critères d’attribution de ces aides publiques au développement », selon les chercheurs. On voit ainsi qu’entre 1980 et 2013, les pays africains ont 15 % de conditions en moins à respecter pour bénéficier d’une aide de la Banque mondiale à chaque fois que la Chine augmente de 1 % ses investissements. A la Chine d’imposer des conditions plus strictes pour ses aides et faire enfin la part des choses entre aide public au développement et investissements commerciaux.
Sébastien Le Belzic