Il y avait, dans les années quarante, « ceux qui ne savaient pas ». Il y a aujourd’hui ceux qui savaient et qui s’attachent à organiser la meute. Car, ne nous y trompons pas, il y a des règlements de compte dans l’air, du pur lynchage.
Les corbeaux se sont modernisés : ils ne se cachent plus. Ils ne pensent pas, ils jugent à coups de serpe tout en se couvrant d’une vertu faite d’oripeaux.
Ils ne nous disent pas que les témoignages gravissimes qui accusent aujourd’hui Ramadan, s’ils sont avérés, changent et chargent lourdement l’approche même de l’homme et de ses dires, le frappant non seulement de duplicité chronique mais de crimes infâmes, de manipulation, d’abus de pouvoir et d’exploitation de la détresse d’autrui. Non, ils ne nous le disent pas ! C’est pourtant bien différent de la seule accusation de double langage systématique qui a couru mais qu’ils sont malheureusement trop nombreux – notamment en politique – à pratiquer.
Si nous refusons l’angélisme, nous refusons tout autant la censure préalable, le « je vous l’avais bien dit » qui hystérise les débats et l’accusation sans preuve tangible qui cloue au pilori. Tout comme nous nous insurgeons contre les défenseurs de Ramadan qui hurlent au « complot sioniste » dans un autre « prêt-à-penser » criminogène.
« Jugements de grossistes »
Il y a une marge, voire un gouffre, entre ce qui est supposé et ce qui s’impose. Ils semblent pourtant nombreux aujourd’hui à avoir toujours tout su sur Tariq Ramadan, à avoir tout compris avant tout le monde ! Mais alors pourquoi, diantre, ne nous ont-ils pas mis au parfum, se contentant de nous asséner des « jugements de grossistes », des délits de sale pensée.
Distillateurs de la culture du soupçon érigée en vérité, que n’ont-ils agi ? Il y a pourtant parmi eux des « qui ne sont pas sans pouvoir », du « beau linge » quoi !
À la vérité, il est assez sidérant de voir celles et ceux qui se revendiquent à juste titre de la liberté d’expression, qui ont défendu Charlie Hebdo bec et ongles comme nous en avons ressenti avec tant d’autres l’impératif besoin, se faire aujourd’hui accusateurs publics, chantres de la police des mots et du crime de débat.
Pour avoir consacré quelques pages de son ouvrage Fragments mécréants à Tariq Ramadan, Daniel Bensaïd devrait aujourd’hui être sommé de renaître de ses cendres afin de comparaître devant tous ces « je savais », petits juges sans vergogne qui condamnent Médiapart et Edwy Plenel du haut de leur Olympe, quitte à dévoiler aux yeux de tous leur mépris des faits avérés… pour ne pas parler de leur culture bazooka où « expliquer, c’est déjà vouloir un peu excuser [1] ».
La pensée de « ces gens-là » n’est jamais que celle de l’exploitation éhontée de l’instantané et de la tripe, du « hashtag » et du « twitt » appelés à régner en maître, en lieu et place de la confrontation d’idées aussi honnête qu’intransigeante.
En lieu et place de la pensée… quitte à se tromper.
Daniel ne te réveille pas, ils sont devenus fous.
Sophie Bensaïd, 16 novembre 2017