Avec une victoire du oui à plus de 92% en faveur de l’indépendance et une participation atteignant les 72%, les résultats du référendum sont sans appel et ont confirmé l’engouement populaire de la grande majorité de la population kurde vu les semaines avant le vote.
Des scènes de liesse populaires ont également eu lieu chez les populations kurdes dans les pays voisins pour fêter la victoire du oui. Les habitants d’un certain nombre de villes en majorité peuplée de kurdes dans le nord-ouest de l’Iran, notamment Marivan et Baneh, ont bravé les menaces de répressions par les autorités iraniennes, et on célébré la victoire en dansant dans les rues et chantant des slogans faisant l’éloge des mouvements nationalistes kurdes. Des affrontements entre les manifestants et les forces de sécurité se sont néanmoins déroulés dans les villes de Mahabad et de Sanandaj. À Sanandaj, la foule a agité le drapeau du Kurdistan interdit en Iran. Pour rappel, les régions peuplés en majorité kurde ont été sévèrement réprimé ces dernières décennies par la République Islamique d’Iran, et de nombreux militant-es kurdes croupissent en prison, très souvent condamnés à de longues peines d’emprisonnement et de mort.
De manière similaire n Syrie, dans les territoires contrôlées par le PYD, la branche syrienne du PKK, de nombreuses manifestations populaires ont fêté la victoire du oui dans plusieurs villes comme Qamishli, Amouda, Derik (Malakiyya).
Menaces et actes d’hostilités contre le référendum
Cependant les pressions et menaces régionales et internationales se sont multipliées contre les autorités du Gouvernement Régional du Kurdistan (GRK), avec à leur tête Massoud Barzani. Dans une tentative d’amadouer le gouvernement iraquien et les pays voisins et calmer les pressions contre la région autonome, Barzani a pourtant affirmé que le référendum ne signifiait pas une annonce immédiate d’indépendance ou l’imposition d’un statu quo à quiconque. Mais, écrit-il « nous sommes prêts à attendre deux années durant lesquelles nous pouvons communiquer à travers un dialogue approfondi et constructif pour discuter de tous les problèmes et de tous les sujets qui peuvent faire de nous deux partenaires dans la construction d’un avenir pour nos deux nations, sans imposition de facto dans aucune zone ». Cela n’a pas été suffisant pour rassurer les autorités de Bagdad et des états voisins.
Depuis l’annonce de la victoire du oui au référendum, le gouvernement iraquien a multiplié les menaces et actes hostiles contres les autorités autonomes kurdes. Le Premier ministre iraquien Haider al-Abadi a posé comme condition à toute négociation l’annulation des résultats. Le Grand Ayatollah Ali al-Sistani a également déclaré son opposition à la sécession du Kurdistan iraquien.
Les députés du parlement iraquien ont voté en faveur de la fermeture des postes-frontières se trouvant hors de l’autorité de l’état iraquien et ont demandé au Premier ministre, en tant que chef des forces armées, de prendre toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’unité de l’Iraq. Ils ont en outre réitéré leur exigence d’un envoi des forces de sécurité dans les zones disputées, dont la ville multi-ethnique et riche en pétrole de Kirkouk. Ces zones disputées comprennent la province de Kirkouk (nord), mais aussi des secteurs des provinces de Ninive (nord), Dyala et Salaheddine (nord de Bagdad). Il La plupart avaient été conquises par les combattants peshmergas kurdes en 2014, à la faveur du chaos après l’offensive du groupe djihadiste État islamique (EI). [1]
Dans la ville de Kirkouk, la tension ne cesse de monter. Des membres des milices fondamentalistes chiites des Forces de la Mobilisation populaire, Hashd al-Sha’bi, se seraient déjà positionnés « en civil » mais lourdement armés. Ils sont également présents dans certaines localités du gouvernorat de Ninive.
Les autorités de Bagdad ont imposé le 29 septembre un blocus aérien au Kurdistan autonome iraquien pour l’obliger à renoncer au contrôle de ses aéroports et à annuler le résultat de son référendum sur l’indépendance, ce que le GRK refuse. Les liaisons aériennes entre le Kurdistan iraquien et l’étranger ont dès lors cessé.
La Turquie et la République Islamique d’Iran réagissent violemment
La Turquie, la Syrie et l’Iran, trois pays voisins comptant des minorités kurdes ont tous condamnés le referendum et appellent au maintien de l’unité de l’Iraq.
La Turquie et l’Iran sont les plus véhéments dans leur refus de l’indépendance du Kurdistan iraquien et les actes d’intimidations de ces gouvernements ont proliféré contre Erbil. Le Parlement turc avait déjà avant la tenue du referendum, le 23 septembre, prolongé d’un an le mandat autorisant le déploiement de troupes militaires turques en Iraq et en Syrie. Une menace à peine voilée contre les autorités kurdes d’Erbil. Ankara avait déjà menacé de mesures militaires et économiques en représailles au maintien du référendum.
A la suite de l’annonce de la victoire massif du oui au referendum, le gouvernement turc a réitéré ses menaces contre le GRK, tout en annonçant l’arrêt des entraînements militaires des forces peshmerga dans le nord de l’Iraq. Le président turc Erdogan a également déclaré que les Kurdes iraquien paieraient cher leurs décisions et manqueraient bientôt de tout, y compris de nourriture, si son pays fermait les frontières et dès lors le trafic de camions et de pétrole. Des centaines de milliers de barils de pétrole chaque jour sont vendus à travers des pipelines du nord de l’Iraq en Turquie, reliant la région aux marchés mondiaux du pétrole.
Téhéran a promis de son côté de se tenir aux côtés de Bagdad et d’Ankara contre le résultat du référendum sur l’indépendance du Kurdistan Iraquien. Ali Akbar Velayati, le principal conseiller du leader suprême de l’Iran Ayatollah Ali Khamenei, a affirmé dans la presse que “les nations musulmanes ne permettront pas la création d’un deuxième Israël”. La presse conservatrice en Iran a décrit le référendum comme un « complot sioniste » pour déstabiliser la région.
De même le Hezbollah, mouvement islamique fondamentaliste chiite au Liban, par la voix de son leader Hassan Nasrallah a déclaré que le vote d’indépendance du Kurdistan Iraquien marquait un premier pas vers la partition du Moyen-Orient et conduirait à des guerres régionales et qu’il fallait s’y opposer. Il a décrit le référendum comme un complot américano-israélien pour semer le chaos dans la région.
La collaboration entre Bagdad, Ankara et Téhéran s’est d’ailleurs intensifiée contre le GRK ces derniers jours.
Une délégation militaire iraquienne a visité la frontière du Kurdistan du côté iranien et des exercices militaires conjoints entre les armées des deux pays étaient prévu dans un proche avenir, peut être même prochains jours, sur les frontières de l’Iran avec la région du Kurdistan iraquien. Des exercices militaires conjoints entre l’armée turque et iraquienne avaient de leur côté déjà été menés à la frontière entre la Turquie et le Kurdistan Iraquien les jours suivants la tenue du référendum.
Les autorités iraquiennes prévoient également de prendre le contrôle des frontières de la région autonome du Kurdistan en coordination avec l’Iran et la Turquie, a déclaré le 29 septembre le ministère iraquien de la Défense. Dans cette même direction, le Premier ministre iraquien Haider al-Abadi a laissé entendre que son gouvernement prendrait le contrôle des revenus générés par les exportations de pétrole kurdes en collaboration avec le gouvernement turc.
Les Etats Unis et la Russie, ou le maintien de la stabilité à tout prix
Le secrétaire d’Etat américain Rex Tillerson a déclaré de son côté que les Etats-Unis ne reconnaissent pas le référendum d’indépendance du Kurdistan iraquien et réclament l’arrêt des “menaces d’actions réciproques”. Les pays occidentaux avaient réitéré à plusieurs reprise leur opposition à la tenue du référendum craignant qu’une victoire du oui au référendum conduise à plus d’instabilité régionale, affaiblisse la « guerre » contre l’EI et entraîne des troubles dans des zones contestées comme la ville multi-ethnique et riche de Kirkouk.
La Russie, qui vient de conclure des contrats économiques importantes avec le GRK et notamment son géant pétrolier Rosneft, s’est montrée plus réservée, disant considérer “avec respect les aspiration nationales kurdes”. Moscou considère toutefois “que les disputes entre Bagdad et Erbil doivent être résolues par le dialogue avec l’objectif de trouver une formule de coexistence au sein de l’Etat iraquien”.
Israel est le seul état de la région à avoir soutenu l’indépendance du Kurdistan Iraquien pour les raisons invoquées dans le précédent article. [2]
Les problèmes internes du GRK
La région autonome du Kurdistan traverse la pire crise économique depuis 2003. Il est clair, comme évoqué dans le précédent article [3], que le référendum a été orchestré par le leader Massoud Barzani pour rester au pouvoir et détourner les classes populaires des problèmes économiques et sociaux de la région. Aucune illusion ne doit exister sur le leadership bourgeois et autoritaire du clan Barzani au pouvoir.
De même il faut dénoncer toutes les mesures visant à créer une nouvelle forme d’oppression contre les minorités ethniques et confessionnelles au Kurdistan Iraquien. Depuis 2003, les forces des peshmergas kurdes se seraient appuyées sur « l’intimidation, des menaces, des arrestations et des détentions arbitraires » pour s’assurer le soutien des communautés minoritaires et établir leur contrôle sur des territoires disputés, estime un rapport publié en novembre 2009 par l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW). Certains ont parlé de processus de « kurdification », en tentant de créer une forme d’allégeance de la part des minorités. Dans ces régions. Par exemple, en ouvrant des écoles ou l’on apprend le kurde et en recrutant des fonctionnaires pour des administrations nouvellement créées par le GRK.
Dans le gouvernorat de Ninive par exemple, le Parti Démocratique du Kurdistan (PDK) contrôlé par la famille Barzani à remplacer de manière non démocratique les maires de deux villes chrétiennes importantes dans la plaine de Ninive, Faiez Abed Jahwareh d’Alqosh et Basim Bello de Tel Keppe (Tal Kayf), opposés à la tenue du referendum dans leurs localités. Des membres du PDK ont pris leurs places. De nombreuses manifestations populaires ont été organisées dans ces localités pour dénoncer ces mesures.
Les structures officielles et conseils du gouvernorat de Ninive et de la région du Sinjar ont progressivement été dominés par des membres du PDK à travers différentes politiques clientélistes et quelques pratiques d’intimidations contre les membres critiques des politiques du GRK.
Human Rights Watch avait révélé plus récemment que pendant la guerre contre l’EI, les combattants kurdes peshmergas avaient également rasé au bulldozer des villages arabes sunnites situés dans des zones contestées des gouvernorats de Kirkouk et de Ninive.
Rien ne peut justifier ses actes, même si bien sûr il faut reconnaître et dénoncer les campagnes d’« arabisation » dans le passé menées par des régimes iraquiens successifs, particulièrement sous le dictateur iraquien Saddam Hussein, dans les territoires disputés. Cette politique de changements démographiques avait entraîné l’expulsion de centaines de milliers d’habitants de leur foyer, particulièrement des populations kurdes, en vue d’y installer des arabes sunnites, raison pour laquelle les autorités du GRK, et de larges secteurs de la société kurde en Iraq disent avoir une légitimité historique sur ces terres.
Mais dans ces zones disputées, d’autres populations ethniques et confessionnelles existent également, notamment des Turkmènes, des chrétiens assyriens et chaldéens, des yazidis, des Kakais et des Shabaks.
L’autoritarisme du clan Barzani ne s’est d’ailleurs pas arrêté durant et après le référendum contre les autres groupes politiques kurdes. Pendant la campagne durant le référendum, le PDK a dénoncé tout questionnement et interrogations sur la manière et la date fixée du vote comme un signe de trahison de la part de ses rivaux politiques. Le mouvement Gorran (Mouvement du Changement), Groupe Islamique du Kurdistan (connu sous le nom de Komal) et une partie de l’ Union Patriotique du Kurdistan (UPK) initialement avant de changer de position, en plus d’activistes kurdes, avaient dénoncé les objectifs du clan Barzani à travers ce référendum à cette date, notamment la volonté de détourner les populations kurdes des problèmes socio-économique, de la monopolisation du pouvoir par la PDK, et de la fermeture du parlement. Ces partis et activistes avaient en effet une longue histoire de lutte pour le droit à l’auto-détermination du peuple kurde en Iraq, mais voulaient créer les meilleures conditions pour tenir ce référendum et préparer le processus d’indépendance par exemple réunir à nouveau le parlement, améliorer les conditions de vie socio-économique des citoyens et parvenir à un consensus politique sur ce processus d’indépendance. Komal a finalement exprimé son soutien ou « oui » à la veille du scrutin, tandis que le mouvement Gorran, n’a pas donné de position officielle, mais son leader, Omar Said Ali, a annoncé qu’il avait voté « oui ».
Le parlement du GRK a tenu sa première session le 15 septembre dernier, après presque deux ans de fermetures, [4] tout en continué d’être boycotté par les mouvements Gorran et Komal. Le parlement avait approuvé le projet de loi qui autorisait et appelait au référendum. Cette session parlementaire a également élu Begard Talabani, de l’UPK, en tant que secrétaire intérimaire du parlement, démontrant la retour de l’alliance entre le clan Barzani et l’UPK pour dominer la scène politique kurde du GRK. Le 30 Septembre, le député membre du mouvement Komal et secrétaire du parlement du GRK a d’ailleurs présenté sa démission, citant l’affaiblissement des pouvoirs du parlement depuis deux ans. Il a reçu le soutien de nombreux membres de Gorran.
Conclusion
La large victoire du oui au Kurdistan Iraquien prend ses sources dans une longue volonté historique du peuple kurde d’établir un état et également des conséquence d’une histoire violente d’oppression des populations kurdes en Iraq par les différents régimes autoritaires nationalistes précédents. Le massacre à l’arme chimique contre la population kurde de Halabja par les forces du régime Baathiste est particulièrement resté dans les mémoires. Environ 5 000 Kurdes périrent dans ce massacre. Cette attaque faisait partie de l’opération Anfal des autorités de Bagdad, qui provoqua la mort de 182 000 personnes et la destruction de plus de 90 % des villages kurdes.
Le référendum iraquien démontre également, à nouveau, la faillite des modèles des états nations capitalistes, chauvins et centralisés de la région qui n’ont cessé de réprimer, effacer et ou nier la pluralité de leurs sociétés en affirmant la suprématie et ou domination d’une ethnie sur les autres, d’une confession sur les autres ou les deux à la fois.
C’est pourquoi il faut soutenir le droit à l’auto-détermination du peuple kurde en Iraq et ailleurs et dénoncer les pressions étrangères régionales et internationales qui veulent empêcher les populations kurdes d’Iraq de leur droit à l’auto-détermination.
Ce soutien doit passer également par une opposition claire au clan Barzani qui n’amènera rien de bon aux classes populaires kurdes au niveau des droits démocratiques et sociaux. De même il faut dénoncer les tentatives du gouvernement du GRK d’imposer une nouvelle domination ethnique et laisser aux populations des zones disputées le droit de choisir de quel état elles veulent faire partie, de la manière dont elles veulent s’organiser et choisir leurs représentant-es politiques en toute liberté.
La volonté du clan Barzani de convaincre jusqu’à aujourd’hui les états impérialistes occidentaux de l’utilité d’un Kurdistan iraquien sur la scène politique régionale, sans oublier liens histoires avec Israel et la famille Barzani, doivent être également combattus. Cependant, ces éléments ne peuvent être utilisés pour justifier le refus du droit à l’auto-détermination au peuple kurde, comme l’a fait une certaine gauche chauvine das la région. Comme le disait le révolutionnaire Russe Vladimir Lénine :
“Le fait que la lutte contre une puissance impérialiste pour la liberté nationale peut, dans certaines conditions, être exploitée par une autre “grande” puissance dans ses propres buts également impérialistes, ne peut pas plus obliger la social-démocratie à renoncer au droit des nations à disposer d’elles-mêmes, que les nombreux exemples d’utilisation par la bourgeoisie des mots d’ordre républicains dans un but de duperie politique et de pillage financier, par exemple dans les pays latins, ne peuvent obliger les social-démocrates à renier leur républicanisme” [5].
Cette articulation entre deux différents objectifs principaux (soutien au droit à l’auto-détermination au peuple kurde et opposition au clan Barzani) est une nécessité pour combiner les droits démocratiques et sociaux au Kurdistan Iraquien. Soutenons les secteurs les plus révolutionnaires et démocratiques du Kurdistan Iraquien pour construire une alternative progressiste.
Joe Daher