La Birmanie rongée par l’intolérance religieuse
Ko Ni, conseiller juridique musulman d’Aung San Suu Kyi, a été tué par balle à l’aéroport de Rangoun, reflet des tensions interconfessionnelles qui minent le pays, à majorité bouddhiste.
Il était une figure connue et respectée de Birmanie. Dimanche, Ko Ni, célèbre avocat défenseur des droits de l’homme, a été tué par balle à l’aéroport de Rangoun, alors qu’il revenait d’un déplacement en Indonésie, au côté d’une vingtaine de responsables civils et gouvernementaux, pour débattre de la démocratie et de la résolution de conflit. The Myanmar Times, The Irrawaddy
Agé de 63 ans et de confession musulmane, ce proche de la première ministre de facto, Aung San Suu Kyi, officiait comme conseiller juridique de la Dame et de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD). Il était aussi très impliqué dans le rapprochement intercommunautaire, à l’heure où le Myanmar, majoritairement bouddhiste, est menacé de balkanisation.
Depuis le lancement de la transition démocratique, il y a six ans, après des décennies d’hégémonie militaire, il s’était élevé contre une fracture sectaire grandissante. De fait, le sentiment antimusulman n’a cessé de se développer, alimentant un cycle de violences pernicieux dans l’Etat Rakhine (ouest), où vivent près d’un million de Rohingya, des apatrides privés de tout droit à la citoyenneté. The Wall Street Journal
L’assassin de Ko Ni, un homme originaire de Mandalay – la deuxième plus grande ville du pays – et identifié comme étant Kyi Lin, n’a pour l’heure pas justifié son geste. D’après des témoins, il aurait crié « Vous ne pouvez pas vous comporter comme ça ! », avant d’ouvrir le feu sur sa victime, à bout portant.
Win Htein, l’un des porte-parole de la NLD, a déploré ce meurtre qui, selon lui, « porte un coup sévère [au parti] ». « Il sera très difficile pour nous de le remplacer. Nous avons perdu un héros. La situation ici est mauvaise », a-t-il ajouté. The New York Times
De son côté, l’ONG Amnesty International, qui avait travaillé avec Ko Ni – dont les funérailles ont eu lieu lundi, en présence de plusieurs milliers de personnes –, a vilipendé ce qu’elle considère comme un « acte épouvantable » qui « porte toutes les marques d’un assassinat politique ». Elle a appelé les autorités à ouvrir sans délai une enquête « approfondie, indépendante et impartiale » sur les circonstances de sa mort.
Pour la BBC, en voulant défendre les droits de ses compatriotes musulmans, il s’est sans doute attiré de puissants ennemis. Sa disparition, en tout cas, reflète une triste réalité : malgré la victoire historique de la NLD, en novembre 2015, le Myanmar demeure un « terrain miné par la peur », où la perspective d’une réconciliation est plus que jamais illusoire. The Diplomat
Aymeric Janier
* LE MONDE | 31.01.2017 à 07h36 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/01/31/la-birmanie-rongee-par-l-intolerance-religieuse_5071973_3216.html
La guérilla des Rohingya passe à l’offensive
Les rebelles musulmans ont attaqué une vingtaine de postes de police dans l’ouest du pays.
C’est peut-être un tournant dans ce qui était jusqu’à présent une guérilla de basse intensité dans les zones de l’ouest de la Birmanie où vivent les musulmans rohingya, une minorité ethnique réprimée de longue date. L’attaque du vendredi 25 août, menée – et revendiquée – par l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) contre les forces de sécurité birmanes, a fait au moins 104 morts, la plupart dans les rangs des assaillants, mais aussi une douzaine de policiers birmans.
A l’aube de vendredi, environ 150 rebelles ont attaqué au couteau, à la machette et au fusil une vingtaine de postes de police situés dans les cantons de Maungdaw, Buthidaung et Rathedaung, à majorité musulmane. Samedi, des escarmouches se poursuivaient dans les environs de Maungdaw, l’une des principales agglomérations de cette région située à la frontière avec le Bangladesh.
En octobre 2016, des assauts similaires menés par des rebelles musulmans contre trois postes-frontières le long de la rivière Naf, qui sépare Birmanie et Bangladesh, avaient fait neuf morts chez les gardes-frontières. La violence de la réaction des policiers et des militaires du Myanmar – nom officiel de la Birmanie – avait alors été sans précédent dans la longue histoire de la répression d’Etat contre ces musulmans pour la plupart dépourvus de toute citoyenneté et que les autorités s’obstinent à traiter de « Bengalis », en raison de leur origine ethnique. Exécutions sommaires, viols des femmes et incendies des villages musulmans avaient marqué les représailles consécutives à ces attaques.
« Foutez le camp, salauds de Bengalis ! »
Environ 4 000 bouddhistes arakanais, qui sont une minorité dans les cantons rohingya, ont été évacués depuis la fin de semaine en raison des combats, tandis que 3 000 musulmans se sont enfuis au Bangladesh – où ils ne sont pas les bienvenus, en dépit de leurs origines ethniques et de leur confession islamique : plusieurs dizaines ont été refoulés par les gardes-frontières bangladais. Des réfugiés ont raconté s’être fait tirer dessus par des soldats birmans alors qu’ils s’enfuyaient ; d’autres ont décrit des scènes d’horreur durant lesquelles des villageois bouddhistes les battaient à coups de barres de fer en leur criant : « Foutez le camp, salauds de Bengalis ! »
Depuis le début de la répression policière et militaire de l’automne 2016, des guérilleros rohingya entretenaient un climat d’insécurité permanente, menant des attaques contre les forces de l’ordre et procédant à des assassinats ciblés contre certains de leurs coreligionnaires considérés par eux comme « collaborateurs » des Birmans.
L’attaque de vendredi marque une inquiétante escalade du conflit. Selon Anthony Davis, expert des questions militaires en Asie du Sud-Est, il est possible que les rebelles rohingya disposent désormais d’approvisionnement en armes légères en provenance du Bangladesh. « Des photos prises récemment au téléphone portable montrent des jeunes gens vêtus de longyi [longs pagnes birmans] avec des fusils d’assaut chinois de 5,67 mm », raconte-t-il en évoquant des camps où seraient entraînés les rebelles. « Il est difficile de savoir si ces photos ont été prises au Bangladesh ou dans l’Etat [birman] de l’Arakan », précise-t-il dans un article publié sur le site d’information Asia Times.
Environ 80 000 musulmans de Birmanie ont fui au Bangladesh depuis l’automne 2016. Ce chiffre s’ajoute à celui de centaines de milliers de personnes de même origine qui se sont réfugiées dans ce pays depuis les vagues de répression anti-rohingya au temps de la junte militaire birmane dans les années 1990. Il est donc vraisemblable que les rebelles de Birmanie puissent disposer de solides relais chez leur voisin à la population majoritairement musulmane.
« Organisation idéologiquement modérée »
Les combattants rohingya pourraient-ils, un jour prochain, revendiquer le djihad face à la soldatesque birmane, connue pour sa brutalité dans un pays généralement très islamophobe ? Ce n’est sans doute pas encore le cas. L’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan « s’efforce de se décrire comme une organisation idéologiquement modérée dont le but est de défendre les droits légitimes d’un groupe ethnique de 1 100 000 individus dont les droits ont été bafoués par les différents gouvernements birmans », soutient Anthony Davis.
Une commission internationale dirigée par Kofi Annan avait rendu jeudi 24 août ses conclusions sur la situation dans l’Etat d’Arakan, appelant la Birmanie à donner plus de droits à la minorité rohingya, faute de quoi elle risquait de « se radicaliser ». « Si le mécontentement de la population est ignoré, ils seront plus faciles à recruter pour les extrémistes », a mis en garde la commission Annan.
Deux leçons sont à tirer de la dégradation de la situation : l’arrivée au pouvoir de l’ex-dissidente Aung San Suu Kyi, dont le parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), a remporté haut la main les premières élections libres à l’automne 2015, a coïncidé avec une répression militaire contre les Rohingya dont l’« icône de la démocratie » nie la brutalité. Le gouvernement d’Aung San Suu Kyi a d’ailleurs suscité les craintes des agences humanitaires internationales en les accusant d’aider les « terroristes ». A l’appui : une photo d’un sachet de biscuits du Programme alimentaire mondial trouvé par l’armée dans un village où se sont abrités les assaillants. En conséquence, les Nations unies ont annoncé dimanche l’évacuation de leurs personnels non indispensables de la zone.
L’attaque de vendredi indique par ailleurs que les rebelles musulmans de l’Arakan, même encore peu armés, sont désormais passés à la vitesse supérieure. Selon un expert des guérillas birmanes qui requiert l’anonymat, « les combattants rohingya sont capables de tendre des embuscades, de coordonner des opérations militairement complexes et de manier des “engins explosifs improvisés” [IED], comme ils l’ont montré vendredi lors du passage de convois de l’armée venus en renfort ». Une évolution significative dans ce conflit qui remonte à l’indépendance de la Birmanie, en 1948, et s’est envenimé depuis les graves émeutes entre musulmans et bouddhistes de 2012, qui avaient fait près d’une centaine de morts dans les districts du nord-ouest de l’Arakan.
Bruno Philip (Bangkok, correspondant en Asie du Sud-Est)
* LE MONDE | 28.08.2017 à 11h12 • Mis à jour le 28.08.2017 à 13h07 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/08/28/en-birmanie-la-guerilla-des-rohingya-passe-a-l-offensive_5177488_3216.html
Exode des Rohingya : les Occidentaux hésitent à critiquer le gouvernement birman
Plus de 123 000 personnes se sont réfugiées au Bangladesh en un peu moins de deux semaines. Mais, de peur de déstabiliser la démocratisation du pays, les Européens restent discrets.
Le flot de familles rohingya quittant l’Etat de Rakhine (Arakan), dans l’Extrême-Ouest birman, est ininterrompu. Plus de 123 000 personnes se sont réfugiées au Bangladesh voisin en un peu moins de deux semaines, selon l’estimation donnée mardi 5 septembre par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). « La plupart ont marché pendant des jours depuis leur village – se cachant dans la jungle, franchissant montagnes et rivières avec ce qu’ils ont pu sauver dans leurs maisons. Ils ont faim, sont faibles et malades », a précisé la porte-parole du HCR, Duniya Aslam Khan.
Ils fuient la répression de grande ampleur de l’armée birmane qui sévit depuis que des assaillants d’un groupe d’insurgés se revendiquant de la cause de cette minorité musulmane ont attaqué, à la machette et au fusil, plusieurs postes de police, le 25 août. Selon la Tatmadaw, les forces armées birmanes, environ 400 personnes sont mortes depuis, essentiellement parmi les assaillants.
Villages incendiés
Toutefois, des humanitaires opérant en Birmanie estiment ce bilan peu fiable au regard du nombre de réfugiés et des récits et images aériennes de villages incendiés par les forces armées et les éventuels civils qui les accompagnent dans le nord de l’Etat de Rakhine, qualifié « zone d’opération », c’est-à-dire bouclé par le commandement. Les organisations non gouvernementales (ONG) et les agences des Nations unies qui travaillaient dans le secteur concerné, autour de la ville de Maungdaw, en ont été expulsées.
« Il est incroyable que, durant une telle crise, il n’y ait pas d’accès pour les ONG et l’ONU, peste un responsable humanitaire, sous le couvert de l’anonymat, car travaillant dans le pays. L’armée ne veut pas que nous soyons témoins de sa politique de la terre brûlée. » L’armée ne distribue pas d’aide aux Rohingya, mais en donne aux bouddhistes de l’Etat de Rakhine.
Par ailleurs, l’administration ne semble pas distinguer entre civils et possibles rebelles. Dans un entretien au site Frontier Myanmar, mardi 5 septembre, le porte-parole du gouvernement, Zaw Htay, a assumé : « Ceux qui ont fui peuvent être de deux types : ceux qui ont réalisé les attaques terroristes et se sont enfuis, et les autres qui sont des femmes et des enfants. »
Cette répression suscite une vive colère des gouvernements de pays musulmans de par le monde. Le président indonésien, Joko Widodo, a envoyé sa ministre des affaires étrangères, Retno Marsudi, rencontrer la conseillère d’Etat, Aung San Suu Kyi, et le commandant des forces armées, Min Aung Hlaing, lundi, tandis qu’à Djakarta des centaines de personnes manifestaient devant l’ambassade de Birmanie.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, n’a pas hésité à qualifier la situation de « génocide », lundi, puis s’est entretenu mercredi avec la Prix Nobel de la paix 1991. L’ancienne opposante lui a affirmé que le gouvernement soutenait déjà tous les individus dans l’Etat de Rakhine et a rappelé qu’elle savait mieux que quiconque ce qu’être privé de droits et de protections démocratiques signifie. Elle a dénoncé un « iceberg de désinformation » après que le vice-premier ministre turc a publié sur Twitter des photos ne provenant pas de Birmanie. Le Pakistan s’est dit « fortement angoissé », l’Iran « profondément inquiet », et l’Arabie saoudite a également exprimé sa crainte. Pour les critiques d’Aung San Suu Kyi, son retrait actuel est indigne au regard de la gravité de la situation.
Il a pourtant du sens sur le plan politique. « Il y a un accord tacite dans la population sur le fait que la question des Rohingya ne sera réglée que par l’expulsion pure et simple de cette communauté ou sa mise à l’écart, sa marginalisation », relève le chercheur Renaud Egreteau, spécialiste de la Birmanie et auteur de Caretaking Democratization : The Military and Political Change in Myanmar (« Protéger la démocratisation : l’armée et le changement politique en Birmanie », 2016, non traduit). « Une grande partie des élites politiques, y compris démocrates, sont d’accord sur ce point, donc il est difficile d’aller à l’encontre de sa propre base. Le gouvernement et Aung San Suu Kyi le savent », ajoute-t-il.
Les Occidentaux, de leur côté, ne sont pas non plus restés muets sur le sujet. L’Union européenne a demandé la réouverture de l’accès humanitaire et souligné la « grande souffrance » actuelle des Rohingya. Le Quai d’Orsay s’est dit « préoccupé » par l’aggravation de la situation dans l’Etat de Rakhine.
Dans les chancelleries occidentales, on dénonce les exactions de l’armée birmane. Elle « doit être tenue pour responsable », considère une source diplomatique à Paris, qui fait le constat d’une « crise extrêmement grave ». Mais on reste très mesuré quant au gouvernement civil et l’on préfère souligner qu’Aung San Suu Kyi n’a pas de pouvoir sur les questions sécuritaires et qu’elle a franchi des pas, dans sa marge de manœuvre restreinte, entre une armée et une opinion birmane chauffée à blanc contre cette ethnie musulmane qu’elle considère étrangère.
Aung San Suu Kyi a nommé une commission consultative, conduite par l’ex-secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, qui a rendu un rapport soulignant la volatilité de la situation fin août, quelques heures seulement avant le nouvel embrasement.
« Le pari du temps long »
« Il y a une nécessité d’apporter un soutien à Aung San Suu Kyi, car il n’y a aucune alternative », fait valoir cette même source diplomatique pour laquelle la « Dame » « risque son crédit politique ». Selon cette analyse, l’armée et les groupes nationalistes et bouddhistes aux vues les plus extrêmes – à l’image du moine U Wirathu, crachant son discours de haine contre les musulmans – attendent la Ligue nationale pour la démocratie (le parti d’Aung San Suu Kyi) et ses modérés au tournant, c’est-à-dire dès que se sera affaissée la popularité historique du mouvement démocrate.
Conséquence de ce raisonnement, il faudrait appuyer Aung San Suu Kyi malgré son silence, à l’heure où Human Rights Watch n’hésite plus à souligner qu’elle « fait partie du problème » et où le haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, la juge « hautement irresponsable ».
« Les diplomates en poste à Rangoun ont tout misé sur Aung San Suu Kyi depuis des années et sont peu enclins à véritablement la condamner, parce qu’ils ne voient pas de plan B », constate M. Egreteau. « Ce n’est pas un discours absurde, juge-t-il encore, il faut certes faire le pari du temps long, mais si l’on regarde la situation des Rohingya ou la poursuite de la guerre civile dans le nord du pays, c’est dans l’immédiat qu’il faut agir. »
Harold Thibault
* LE MONDE | 06.09.2017 à 06h44 • Mis à jour le 06.09.2017 à 09h21 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/06/exode-des-rohingya-les-occidentaux-hesitent-a-critiquer-le-gouvernement-birman_5181520_3216.html
Répression des Rohingya : pourquoi Aung San Suu Kyi ne s’oppose pas à l’armée birmane
Face à la répression de la minorité rohingya, l’inaction de la Prix Nobel de la paix est révélatrice des relations compliquées qu’elle entretient avec l’armée.
ANALYSE. Que cherche au juste Aung San Suu Kyi, ancienne « icône » démocratique, qui, en tant que – de facto – chef du gouvernement birman, a choisi l’option politique de la compromission avec une armée en train de se livrer à une vaste opération de purification ethnique – certains osent le mot de génocide – à l’encontre des Rohingya, cette minorité persécutée de l’ouest du pays ?
Depuis la victoire de son parti, la Ligue nationale pour la démocratie (NLD), aux élections de novembre 2015, la question de la pertinence et de l’efficacité de sa stratégie a été maintes fois posée. En deux ans, le bilan de son action est maigre ; et, même si elle occupe le double poste de conseillère d’Etat et de ministre des affaires étrangères, c’est encore et toujours l’armée qui a le dernier mot dans cet étrange pays dirigé durant près d’un demi-siècle (1962-2011) par des militaires.
L’interrogation d’ordre moral et politique à propos de l’ex-Dame de Rangoun prend désormais encore plus d’acuité avec la répression à huis clos, la deuxième en un an, qui est en train de frapper des dizaines de milliers de villageois musulmans. Une répression visant aussi les civils, et qui est consécutive à de violentes actions contre la police et les gardes frontières que vient de mener une guérilla rohingya en train de se constituer et de s’organiser.
Hémorragie sans précédent
Depuis le 25 août, date de la spectaculaire attaque des hommes de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA) – l’Arakan est l’ancien nom de l’actuel Etat Rakhine, où vit la minorité musulmane en question –, environ 400 personnes sont mortes, en majorité rohingya. Des centaines de maisons ont été brûlées par les forces de sécurité et environ 130 000 musulmans ont fui au Bangladesh voisin. Une hémorragie sans précédent dans la longue et douloureuse histoire des Rohingya.
Il s’agit donc d’une crise humanitaire et politique majeure. Que dit Aung San Suu Kyi ? Non contente de justifier les opérations de « nettoyage » contre le « terrorisme » dans les zones de peuplement musulmanes jouxtant le Bangladesh, l’ancienne dissidente accuse le Programme alimentaire mondial (PAM) d’aider les combattants en distribuant des rations de survie aux réfugiés rohingya de l’intérieur ! Lors d’un échange téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan, publié par son service de presse, mercredi 6 septembre, Aung San Suu Kyi a dénoncé « un iceberg de désinformation » à propos des violences commises contre les musulmans rohingya dans son pays.
La réaction de celle dont le prix Nobel de la paix 1991 avait récompensé le courage, quand Suu Kyi l’« Antigone » était assignée à résidence par les prédécesseurs des chefs actuels d’une armée avec laquelle elle pactise, est pour le moins saisissante.
Ce qui amène à poser une simple question sur la Birmanie compliquée : « Daw Suu », comme on l’appelle en Birmanie, est-elle à ce point persuadée que la nécessité de composer avec la puissante Tatmadaw – l’armée – justifie tous les reniements ? Convaincue qu’elle est, à juste titre, que rien ne pourra changer dans le pays si l’armée n’est pas associée au processus de transition démocratique…
Arrogante fille à papa
Mais s’il n’y a d’autre alternative que de s’entendre avec une institution toute-puissante, qui détient automatiquement un quart des sièges « non élus » dans les deux chambres du Parlement et contrôle les ministères de la défense, de l’intérieur et des frontières, encore faudrait-il que les résultats soient au rendez-vous.
Or ce n’est pas le cas. Même si personne ne se faisait d’illusions quant à un changement rapide dans un pays ruiné par des décennies de tyrannie bottée, la collaboration de Mme Suu Kyi avec les militaires n’a pour l’instant pas permis au gouvernement d’engranger des résultats économiques et sociaux significatifs.
Dans un pays ravagé par soixante-dix années de guerres ethniques, la situation a en outre empiré dans les Etats bordant la Chine, où les combats menés par différentes guérillas se sont intensifiés. Si Aung San Suu Kyi ne cesse de répéter qu’un accord de paix avec les minorités (30 % de la population) est vital pour mener à bien le processus de développement, les décisions qu’elle a prises n’ont rien fait pour rehausser sa réputation chez les ethnies minoritaires.
Descendante du « père de l’indépendance », le général Aung San, membre de l’ethnie bamar majoritaire et diplômée d’Oxford, la chef du gouvernement birman a une réputation d’arrogante fille à papa chez les représentants des petits peuples dont est composée la Birmanie…
Personnage énigmatique et insondable
La tragédie des Rohingya est en train de susciter une condamnation internationale, notamment dans les pays musulmans. Même si l’Europe – dont la France – reste pour le moins mesurée dans ses réactions. Parmi les voix qui s’élèvent, celle de Malala Yousafzai, cette jeune Pakistanaise victime des Talibans et corécipiendaire du prix Nobel de la paix en 2014 : « Ces dernières années, je n’ai cessé de condamner le traitement tragique et honteux infligé aux Rohingya. J’attends que ma collègue Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi fasse de même », vient de déclarer la jeune femme de 20 ans. Pour le moment, silence radio côté Suu Kyi.
Mais les critiques à l’égard de la dirigeante birmane viennent aussi de ses propres rangs. Elles émanent de dissidents qui ont passé des années dans les geôles birmanes. Il est reproché à la Lady son mauvais caractère, son incapacité à déléguer et le fait qu’elle se soit montrée incapable de préparer le terrain à sa relève politique.
A 72 ans, Aung San Suu Kyi offre plus que jamais le visage d’un personnage énigmatique et insondable. Comme si les quinze années passées en résidence surveillée lui avaient donné à la fois la force de ses convictions et une infinité capacité à l’entêtement contre-productif. Certains parmi ceux qui furent ses plus ardents supporteurs commencent à se demander si l’échec possible de sa politique ne risque pas de ramener, pour de bon, les généraux au pouvoir. Les plus cyniques diront qu’en réalité ces derniers ne l’ont jamais perdu.
Aung San Suu Kyi dénonce « un iceberg de désinformation » sur le drame des Rohingya
Très critiquée, la dirigeante birmane s’est exprimée pour la première fois depuis le début des attaques, fin août, contre cette ethnie musulmane persécutée en Birmanie.
Aung San Suu Kyi est sortie de son silence. La chef du gouvernement birman et Prix Nobel de la paix a dénoncé, mercredi 6 septembre, « un iceberg de désinformation » à propos des violences commises contre les musulmans rohingya dans son pays. « Ce genre de fausse information est seulement la partie émergée d’un énorme iceberg de désinformation créé pour générer des problèmes entre les différentes communautés et promouvoir les intérêts des terroristes », a déclaré Mme Suu Kyi, lors d’un échange téléphonique avec le président turc Recep Tayyip Erdogan publié par son service de presse.
Aung San Suu Kyi se référait à la publication de photos à l’authenticité douteuse publiées fin août par le vice-premier ministre turc Mehmet Simsek, qui dénonçait un « nettoyage ethnique ». Il avait retiré les photos, mais l’affaire fait scandale en Birmanie, où la majorité bouddhiste, dont fait partie Aung San Suu Kyi, accuse la communauté internationale, notamment les médias étrangers, d’avoir un parti pris pro-rohingya.
La déclaration de la Prix Nobel de la paix est son premier commentaire officiel sur le sort des Rohingya depuis le début des troubles fin août. La dirigeante birmane avait été très critiquée à l’étranger pour son silence sur le sort de cette minorité musulmane vivant dans l’ouest de la Birmanie et persécutée par le pouvoir. Et notamment par la jeune Pakistanaise Malala Yousafzai. La jeune Pakistanaise, également Prix Nobel de la paix, avait notamment imploré son homologue de condamner les exactions commises par l’armée.
« Inquiétudes » d’Erdogan
En onze jours, près de 125 000 personnes, pour la plupart des musulmans rohingya, ont fui les violences en Birmanie pour se réfugier au Bangladesh voisin, selon les derniers chiffres de l’ONU. Les combats entre rebelles musulmans et forces birmanes ont fait, depuis le 25 août, au moins 400 morts, quasiment tous musulmans. Mercredi, cinq enfants ont péri noyés dans le naufrage de leur bateau à l’embouchure du fleuve Naf, qui marque une frontière naturelle entre la Birmanie et la pointe sud-est du Bangladesh.
Lors de son entretien avec Recep Tayyip Erdogan, Aung San Suu Kyi a cherché à répondre « aux inquiétudes » du président turc, qui a, à plusieurs reprises, condamné la réponse du gouvernement birman à cette crise, parlant de « génocide » : « Nous savons bien mieux que d’autres ce que c’est que d’être privés de droits et de protection démocratique », dans une allusion à ses années de lutte contre la junte militaire et d’assignation à résidence.
« Nous ferons en sorte que tous les habitants de notre pays voient leurs droits protégés », s’est engagée l’ex-égérie des droits humains. La dirigeante assure que le gouvernement « a déjà entamé la protection de toute la population de Rakhine [nom officiel de l’Etat de l’Arakan, où vivent la plupart des Rohingya] de la meilleure manière possible ».
Mardi, des dirigeants de pays à majorité musulmane, dont le Bangladesh, l’Indonésie, la Turquie et le Pakistan, avaient exhorté Mme Suu Kyi à mettre fin aux violences contre les Rohingya en Birmanie.
* LE MONDE | 06.09.2017 à 09h17 • Mis à jour le 06.09.2017 à 11h35 :
http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/09/06/birmanie-aung-san-suu-kyi-denonce-un-iceberg-de-desinformation-sur-le-drame-des-rohingya_5181595_3216.html
L’exode des Rohingya se poursuit, l’ONU s’alarme
Près de 300 000 personnes, la plupart des musulmans rohingya, se sont réfugiées au Bangladesh pour fuir les violences qui sévissent dans le nord-ouest de la Birmanie, selon un décompte de l’ONU, alarmée par l’ampleur de l’exode.
Le nombre de musulmans rohingya ayant fui les violences en Birmanie ne cesse d’augmenter. Selon le dernier décompte de l’Organisation des Nations unies (ONU), annoncé samedi 9 septembre, près de 300 000 personnes, pour la plupart des musulmans rohingya, se sont réfugiées au Bangladesh pour fuir les troubles du nord-ouest de la Birmanie.
En une journée, le nombre de réfugiés a encore bondi de 20 000 après le recensement de nouvelles zones et villages investis par les nouveaux venus, d’après l’ONU, alarmée par l’ampleur de l’exode.
« Quelque 290 000 Rohingya sont arrivés au Bangladesh depuis le 25 août », a déclaré Joseph Tripura, porte-parole du Haut-Commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR). La plupart arrivent à pied ou en bateau. Les deux pays ont une frontière longue de 278 km, et un quart de celle-ci est constituée par la rivière Naf.
« Situation très volatile »
Le HCR estime que sur la seule journée de mercredi, plus de 300 bateaux sont arrivés. Une traversée dangereuse en cette période de mousson qui a coûté la vie à de nombreuses personnes depuis quinze jours.
Les civils rohingya fuient les violences dans leur région depuis que l’armée a lancé une vaste opération à la suite d’attaques à la fin du mois d’août contre des postes de police par les rebelles de l’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan (ARSA), qui dit vouloir défendre les droits bafoués de cette minorité musulmane.
Au Bangladesh, Dipayan Bhattacharyya, du Programme alimentaire mondial (PAM), s’inquiète de la « situation très volatile ». « Nous avions prévu pour 120 000 nouveaux arrivants. Puis pour 300 000. Nous avons atteint ce chiffre et allons donc peut-être devoir prévoir davantage si cela se poursuit sans relâche », estime-t-il.
Le tiers des Rohingya désormais au Bangladesh
Epuisés, affamés, les nouveaux arrivés se précipitaient samedi en courant vers les distributions alimentaires du PAM. La plupart des familles ont dû marcher pendant plusieurs jours pour atteindre le Bangladesh, survivant sous la pluie avec très peu de vivres et d’eau.
« Les gens sont complètement désespérés. Ils ont besoin de nourriture, d’eau et d’un abri. Ils sont privés de tout », raconte Dipayan Bhattacharyya.
Au total, on estime qu’entre les violences d’octobre, qui avaient poussé 87 000 personnes à fuir, et les troubles actuels, près du tiers des Rohingya de Birmanie (estimés à un million) sont désormais au Bangladesh.
« Nous avons identifié un terrain pour le camp qui pourra accueillir 250 000 à 300 000 personnes », a déclaré Mofazzal Hossain Chowdhury, le ministre de la gestion des catastrophes et des secouristes. Ce camp devrait être installé près d’un camp de réfugiés rohingya existant et géré par l’ONU.
La Birmanie va mettre en place des camps
La Birmanie a annoncé samedi qu’elle allait mettre en place des camps pour accueillir les musulmans rohingya déplacés, une première, après un nouvel appel de l’ONU, qui a enjoint vendredi à la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi de « se mobiliser ».
Lire aussi : Répression des Rohingya : pourquoi Aung San Suu Kyi ne s’oppose pas à l’armée birmane
La pression monte pour Mme Suu Kyi – lauréate du prix Nobel de la paix 1991 – qui pour l’heure s’en est tenue à un communiqué dénonçant la « désinformation » des médias internationaux et à une interview jeudi à la télévision indienne. « Nous devons prendre soin de tous ceux qui vivent dans notre pays, qu’ils soient citoyens ou pas », y dit-elle aussi, dans des premiers mots de compassion depuis le début de la crise.
Environ 27 000 bouddhistes et hindous ont également fui leurs villages et ont trouvé refuge dans les monastères et les écoles du sud de la région.
Les rebelles rohingya proclament un cessez-le-feu
Ils avaient attaqué des postes de police à la fin d’août, provoquant une campagne de répression de l’armée et l’exode de près 300 000 membres de cette minorité musulmane.
Les rebelles rohingya qui avaient attaqué fin août des postes de police dans l’Etat de Rakhine, en Birmanie, déclenchant une campagne de répression de l’armée et l’exode de près de 300 000 membres de cette minorité musulmane, ont déclaré dimanche 10 septembre un cessez-le-feu unilatéral d’un mois.
« L’Armée du salut des Rohingya de l’Arakan [ARSA] déclare l’arrêt temporaire de ses opérations militaires offensives », a déclaré le groupe rebelle dans un communiqué publié sur Twitter.
L’ARSA, qui dit avoir pris les armes pour défendre les droits bafoués de la minorité musulmane rohingya, ajoute vouloir ainsi favoriser l’arrivée de l’aide humanitaire.
Les rebelles avaient coordonné des attaques contre plusieurs dizaines de postes-frontières birmans depuis le 25 août, équipés de simples machettes et couteaux.
Exil massif
Depuis des décennies, cette minorité, qui compte environ un million de personnes, est victime de discriminations en Birmanie, pays à majorité bouddhiste. Des centaines de villages du nord de l’Etat de Rakhine se sont vidés de leurs habitants, déterminés à fuir l’opération de l’armée birmane.
La plupart arrivent au Bangladesh à pied ou en bateau après des jours de marche sous la pluie. Les deux pays ont une frontière commune longue de 278 kilomètres, et un quart de celle-ci est constitué par la rivière Naf. Après un long périple sous la pluie sans vivres, les nouveaux arrivés sont souvent malades, affamés et très affaiblis. Certains arrivent également avec des blessures par balle. Et au bout du chemin, ils trouvent des camps déjà saturés et doivent souvent défricher pour se trouver un abri.
Au total, on estime qu’entre les violences d’octobre qui avaient poussé 87 000 personnes à fuir et les troubles actuels, près du tiers des Rohingya de Birmanie (estimés à un million) sont désormais au Bangladesh.
La pression monte pour Aung San Suu Kyi
La pression monte pour la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi – lauréate du prix Nobel de la paix 1991 – qui pour l’heure s’en est tenue à un communiqué dénonçant la « désinformation » des médias internationaux dans une interview jeudi à la télévision indienne. « Nous devons prendre soin de tous ceux qui vivent dans notre pays, qu’ils soient citoyens ou pas », y dit-elle aussi – ses premiers mots de compassion depuis le début de la crise.
La Birmanie a annoncé samedi qu’elle allait mettre en place des camps pour accueillir les musulmans rohingya déplacés, une première, après un nouvel appel de l’ONU, qui a enjoint de Mme Suu Kyi de « se mobiliser ».
Environ 27 000 bouddhistes et hindous ont également fui leurs villages et ont trouvé refuge dans les monastères et les écoles dans le sud de la région.
Le Monde.fr avec AFP
* Le Monde.fr | 10.09.2017 à 05h23 • Mis à jour le 10.09.2017 à 13h23 :
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