La Chine limite les investissements de ses entreprises à l’étranger
Les autorités souhaitent que les sociétés chinoises se recentrent sur leur pays. Le groupe immobilier Wanda a renoncé à un projet à Londres.
Il y a quelques mois, Wang Jianlin était l’homme le plus riche de Chine. Son groupe immobilier, Wanda, s’achetait des studios hollywoodiens. Mais, mardi 22 août, Wanda a annoncé qu’il renonçait à acquérir un terrain de quatre hectares au bord de la Tamise, à moins d’un kilomètre de Buckingham Palace. A la place, le groupe immobilier investira au… Gansu, l’une des provinces les moins développées de Chine, dans l’ouest du pays. Autrefois l’un des plus agressifs à l’international, Wanda a été rappelé à l’ordre par les autorités chinoises, comme l’assureur Anbang, ou les groupes multicartes HNA et Fosun.
La campagne de Pékin contre les investissements à l’étranger fait partie d’un effort plus large de réduction des risques pour l’économie chinoise. Le surendettement des entreprises est l’un des principaux sujets d’inquiétude pour les autorités, à quelques semaines d’un congrès décisif pour l’exécutif chinois. Les entreprises de l’empire du Milieu étaient endettées à hauteur de 170 % du produit intérieur brut, fin 2016. C’est beaucoup pour un pays en développement.
Si le principal problème reste celui des entreprises d’Etat peu productives, l’appétit des grands groupes privés pour les acquisitions a poussé Pékin à agir : ces entreprises deviennent tellement vastes qu’une crise pour l’une d’elle aurait de graves conséquences pour l’économie chinoise. A eux quatre, HNA, Fosun, Wanda et Anbang ont dépensé 83 milliards de dollars (70,4 milliards d’euros) dans des fusions-acquisitions à l’étranger depuis 2013, selon des chiffres de la société Dealogic obtenus par l’AFP. Dans un éditorial, fin juillet, Le Quotidien du peuple, porte-voix du Parti communiste, comparait ces entreprises à des « rhinocéros gris ». Comme ces animaux d’ordinaire tranquilles, mais dont la charge peut être aussi soudaine que dévastatrice, les grands groupes chinois devaient être mis au pas.
« Maintenir l’ordre dans le système »
« Ces géants se sont mis à acquérir des actifs dans tous les sens, souvent hors de leur zone d’expertise. Les autorités ont commencé à douter qu’ils soient un jour capables de rentrer dans leurs frais et de rembourser les banques chinoises, explique Shaun Rein, fondateur de la société de conseil China Market Research Group et auteur de livres sur l’économie chinoise. Wanda en est l’exemple parfait, poursuit-il. Leurs activités immobilières n’ont jamais paru très bonnes. Et, tout à coup, ils se lancent dans le cinéma, en Chine. Puis ils construisent des parcs à thème, qui ne fonctionnent pas non plus. Puis ils rachètent une chaîne de cinémas, aux Etats-Unis, AMC, dont le cours en Bourse s’est effondré ces six derniers mois. Les autorités s’inquiétaient des risques systémiques. »
Autre source d’inquiétude pour Pékin, la chute du yuan qui s’accélérait en fin d’année dernière, poussant les Chinois, patrons ou simple particuliers, à faire sortir, par tous les moyens, leur argent de Chine. Investir dans des actifs étrangers sûrs, comme dans l’immobilier, paraissait un bon moyen pour se soustraire à la baisse du yuan. Après avoir mis en garde, fin 2016, contre les investissements « irrationnels », les autorités chinoises ont simplement coupé les fonds à certaines entreprises, interdisant aux banques de financer leurs acquisitions. « Pour moi, il ne s’agit pas seulement de désendettement. Il s’agit de maintenir l’ordre dans le système. Clairement, Wanda et Anbang étaient engagés dans des acquisitions à l’étranger surpayées », commente Hao Hong, directeur de la recherche à la Bank of Communications International.
Depuis le début de 2017, Wanda a ainsi dû se retirer de plusieurs négociations en cours, parfois au prix d’importantes pénalités. Anbang, dont le patron, Wu Xiaohui, a été arrêté le 9 juin, aurait, selon Bloomberg, reçu l’ordre de vendre l’hôtel new-yorkais Waldorf Astoria, acheté pour 1,95 milliard de dollars en février 2015. Début juillet, Wanda a dévoilé la cession de 77 hôtels et de participations dans 13 projets touristiques pour 7,7 milliards d’euros. Paradoxalement, les marchés ont apprécié la vente, présentée par Wanda comme une transition vers une structure à actifs faibles (« asset-light structure »). Wanda assurera la gestion de ces hôtels et parcs d’attractions, désormais détenus par d’autres.
« Wanda et Anbang auront du mal à se relever »
Le 18 août, le Conseil des affaires d’Etat, qui joue le rôle de gouvernement chargé d’appliquer la politique décidée par les dirigeants, a clarifié les règles jusqu’ici tacites au sujet des investissements à l’étranger. Sont interdits : les investissements dans les jeux d’argent, les casinos, la pornographie, ou ceux qui pourraient nuire aux intérêts de la Chine. Le sport, l’immobilier, le divertissement doivent recevoir l’approbation des autorités. En revanche, les investissements dans le cadre de la « nouvelle route de la soie » ou dans les secteurs des hautes technologies, de l’agriculture et des ressources naturelles sont encouragés.
Pour Wanda et les autres, le message est clair : il faut se recentrer sur la Chine, et investir en fonction des intérêts de l’Etat. Le 18 août, le Quotidien de Lanzhou rapportait que Wang Jianlin avait rencontré le chef du parti de la province du Gansu, pour discuter d’un projet touristique qui « participerait activement à l’effort de lutte contre la pauvreté ».
Ce changement de cap, accompagné de ventes en urgence, devrait coûter cher aux groupes concernés. « Pendant un moment, j’étais contacté au moins deux fois par mois par des patrons d’entreprises occidentales, qui voulaient de l’aide pour rencontrer quelqu’un de chez Wanda, raconte Shaun Rein. C’est fini. Je pense que Wanda aura du mal à se relever. Idem pour Anbang, qu’on ne connaissait pas il y a cinq ans. HNA et Fosun, en revanche, ont de meilleurs fondamentaux, et sont beaucoup mieux gérés. »
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 25.08.2017 à 09h56 • Mis à jour le 26.08.2017 à 06h36 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/08/25/la-chine-limite-les-investissements-des-entreprises-a-l-etranger_5176377_3234.html
L’envolée de la dette chinoise inquiète le FMI
Le pays pourrait payer cher sa croissance financée par l’endettement, à moins de réformes radicales, estime l’institution internationale.
Les bons chiffres des deux premiers trimestres (6,9 % à chaque fois) rassurent les Bourses et les investisseurs, mais inquiètent les économistes qui s’intéressent aux fondamentaux de l’économie chinoise.
Bien que la Chine affiche une croissance meilleure que prévu, l’état de son économie inquiète le Fonds monétaire international (FMI). L’organisation internationale estime que le pays ne fait pas assez d’efforts et continue à s’endetter alors qu’il devrait assainir ses finances. « Les perspectives de la croissance chinoise à court terme se sont renforcées, mais c’est au prix de risques accrus à moyen terme », mettent en garde les experts du FMI, dans une note publiée mardi 15 août.
C’est le paradoxe de la croissance chinoise : les bons chiffres des deux premiers trimestres 2017 (6,9 % à chaque fois) rassurent les Bourses et les investisseurs, mais inquiètent les économistes qui s’intéressent aux fondamentaux de son économie. C’est là que le bât blesse. Selon le Fonds, ce sont toujours les investissements dans les infrastructures et l’immobilier qui font tourner la « vieille économie » chinoise : l’industrie lourde, la production d’acier, de ciment, etc. D’après l’agence Bloomberg, les investissements d’infrastructures représentent 22 % du total des investissements en actifs fixes en Chine, soit plus qu’en 2009, au moment du lancement d’un vaste plan de relance destiné à surmonter la crise.
Des efforts pour limiter le surendettement et les surcapacités
La Chine, toutefois, est parvenue à stabiliser son économie et fait des efforts pour limiter le surendettement et les surcapacités dans certains domaines très touchés, comme l’acier et le charbon. « D’importantes mesures de régulation et de supervision ont été prises contre les risques du secteur financier, et la dette des entreprises progresse moins vite, reflétant des initiatives de restructuration et de réduction des surcapacités », souligne le rapport. Depuis le début de l’année, les autorités se sont attaquées à la finance de l’ombre (« shadow banking »), en particulier aux produits de gestion de fortune proposés par les banques et les assureurs chinois, qui représentent des milliards d’euros.
La croissance au premier semestre 2017 a dépassé les attentes des économistes, notamment grâce aux retombées de l’envolée de l’immobilier. Dans certaines grandes villes, les prix ont augmenté de plus de 30 % en 2016, faisant les affaires des grands promoteurs. « Si on regarde la structure de l’endettement en Chine, il y a du progrès : les nouvelles dettes accumulées cette année l’ont surtout été par les promoteurs et par les ménages. Avant, elles étaient le fait d’entreprises qui ne survivent que grâce au crédit », analyse Hao Hong, directeur de la recherche à la Bank of Communications International.
Libérer la consommation des ménages
En revanche, la transition vers une économie reposant davantage sur la consommation intérieure et les services tarde à se concrétiser. Pour accélérer le processus, le FMI recommande à Pékin de mettre en œuvre davantage de réformes structurelles visant à libéraliser l’économie. De nombreux secteurs d’activité (industrie lourde, banque, télécoms, énergie…) restent dominés par des grandes entreprises d’Etat. Or, ces dernières, malgré les promesses de l’exécutif de laisser plus de place au marché, restent peu soumises à la concurrence et très peu productives. Pire, les « entreprises zombies », maintenues en vie seulement grâce à des crédits quasi illimités, ont capté 14 % des prêts distribués à l’industrie en 2016, contre 4 % en 2011.
Le Fonds exhorte aussi Pékin à augmenter ses dépenses sociales, pour libérer la consommation des ménages, qui mettent de l’argent de côté pour pourvoir à d’éventuelles dépenses de santé. Si la nouvelle économie ne prend pas assez vite le relais, la Chine en paiera les conséquences. Selon le FMI, en effet, « le principal coût [de la croissance actuelle], c’est un accroissement plus important de l’endettement privé et public », un phénomène « souvent associé à des crises financières ». Le réveil pourrait arriver vite : « L’immobilier commence à ralentir, les investissements baissent. La situation pourrait être bien pire à partir de mi-2018 », estime Hao Hong.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 16.08.2017 à 09h44 • Mis à jour le 16.08.2017 à 09h59 | :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2017/08/16/l-envolee-de-la-dette-chinoise-inquiete-le-fmi_5172809_3234.html
La Chine peine à réduire ses gigantesques surcapacités dans l’acier
Un rapport de Greenpeace estime que Pékin a augmentéses capacités de production de 36,5 millions de tonnes en 2016.
En Chine, un nuage de pollution en dit parfois autant, sinon plus, que les statistiques économiques officielles. Fin 2016, toute une zone du nord du pays s’est retrouvée enveloppée dans un épais brouillard toxique. Une nuisance atmosphérique qui, à en croire l’ONG Greenpeace, a beaucoup à voir avec le rebond de la très polluante industrie sidérurgique dont Pékin assure pourtant vouloir réduire les surplus.
Dans un rapport publié lundi 13 février, et réalisé en collaboration avec le cabinet d’études chinois Custeel, l’organisation environnementale affirme qu’en 2016 la Chine a accru ses capacités de production d’acier de 36,5 millions de tonnes. Soit l’équivalent de la production annuelle du Brésil.
L’information n’est pas de nature à rassurer les producteurs mondiaux d’une industrie qui croule sous les surcapacités. Ces dernières années, les pays émergents, et notamment la Chine, ont multiplié les lignes de production pour accompagner l’expansion de leurs économies. Mais la consommation n’a pas suivi. Résultat : depuis deux ans, la première économie mondiale, qui produit environ la moitié de l’acier de la planète, s’est attirée les foudres de ses partenaires commerciaux en écoulant à bas coût, sur les marchés étrangers, une bonne partie de ses surplus.
Certains sites ont rouvert
Visé par des mesures de rétorsion commerciale de la part de l’Europe et des Etats-Unis, Pékin s’est engagé à réduire ses capacités de 100 à 150 millions de tonnes – sur un total d’environ 1,2 milliard – d’ici à 2020. Selon les chiffres officiels, des sites permettant de produire 85 millions de tonnes d’acier ont d’ailleurs été fermés l’an passé. Mais dans leur rapport, Greenpeace et Custeel soulignent que plus des trois quarts de ces aciéries étaient déjà en veilleuse.
Dans le même temps, certaines usines à l’arrêt ont redémarré leur production et d’autres lignes ont même été ajoutées. « Aussi impressionnants soient-ils, les objectifs chinois de réduction de capacités ne suffiront pas à limiter les excès tant que les autorités locales manœuvreront pour protéger les aciéries zombies », a analysé Lauri Myllyvirta, chez Greenpeace.
C’est là le nœud du problème. « Les fermetures sont des décisions difficiles à prendre pour les gouvernements des régions, soucieux de protéger leurs bassins d’emploi », explique Gaëtan Michel, de l’agence de notation Standard & Poor’s. Ceux-là y répugnent d’autant plus que l’envolée de l’immobilier chinois a stimulé la demande d’acier et contribué à la remontée des cours en 2016. De nouveau rentables, certains sites ont donc rouvert. Pour éviter ces effets d’aubaine, Greenpeace préconise de « démolir » les installations qui ont été fermées.
En attendant, les Etats-Unis et l’Europe ne risquent pas de baisser la garde. En janvier, les exportations chinoises d’acier ont certes baissé de 24 % sur un an. Mais fin janvier, Bruxelles a annoncé de nouvelles mesures antidumping contre certains aciers chinois, portant à dix-sept le nombre de surtaxes visant le premier producteur mondial dans le secteur de la sidérurgie.
Marie de Vergès
* LE MONDE ECONOMIE | 14.02.2017 à 12h03 :
http://abonnes.lemonde.fr/economie/article/2017/02/14/la-chine-peine-a-reduire-ses-gigantesques-surcapacites-dans-l-acier_5079489_3234.html
La douloureuse et difficile réforme de la sidérurgie en Chine
Pékin a fixé un but ambitieux de baisse de la production de charbon et d’acier, mais les provinces peinent à le respecter.
Pour les régions de Chine où dominent encore les vieilles industries du charbon et de l’acier, c’est une saignée douloureuse. Le gouvernement central chinois leur impose de réduire le nombre de mines et de hauts-fourneaux en activité, car ils noient les performances de l’économie nationale, coûtent cher en subventions étatiques pour leur éviter de mettre la clé sous la porte et sont responsables de la lourde pollution qui étouffe les villes de l’empire du Milieu.
Le groupe Dongbei Special Steel est devenu l’un des emblèmes de cette pénible transition. Le Dongbei désigne le nord-est de la Chine, l’ancienne Mandchourie, terre d’industries lourdes. Dongbei Special Steel, qui a son siège à Dalian, grand port sur le golfe de Bohai, est détenu majoritairement par le gouvernement du Liaoning. Le 26 septembre, il manquait, pour la neuvième fois de l’année, une échéance de paiement sur ses dettes.
« Zombies »
Six mois plus tôt, le 24 mars, le président du groupe Dongbei Special Steel, Yang Hua, qui était également le secrétaire de sa cellule du Parti communiste, se pendait. Son suicide avait soulevé des inquiétudes sur le marché obligataire chinois, où les industries soutenues par l’Etat ne sont plus le gage absolu de stabilité qu’elles ont longtemps été.
Ce cas n’est pas isolé. Les défauts de remboursement s’élevaient à 26,8 milliards de yuans (3,6 milliards d’euros), entre janvier et septembre 2016, soit plus du double des 12 milliards d’échéances obligataires non honorées sur l’ensemble de l’année 2015, selon le cabinet de statistiques chinois Wind.
Le gouvernement chinois a promis de ne plus soutenir à tout prix des entreprises étatiques non performantes qualifiées de « zombies ». Des restructurations doivent permettre de se rapprocher de la réalité du marché. La fin des années de croissance économique fulgurante s’est traduite par une chute de la demande d’acier pour les projets immobiliers. La demande a baissé de 5,4 % en 2015, après des reculs de 4 % en 2013 et en 2014. Elle devrait encore diminuer de 4 %, en moyenne, chaque année, jusqu’en 2020.
« Licenciements massifs »
En réponse à cette nouvelle donne, le Conseil des affaires d’Etat, le gouvernement central chinois, a, en février, fixé pour objectif de réduire la production de charbon de 500 millions de tonnes et celle d’acier de 150 millions de tonnes, en trois à cinq ans, avec des paliers intermédiaires chaque année. Cet effort est particulièrement pénible au Hebei, la province industrielle qui entoure Pékin, où les autorités régionales se sont engagées à fermer 240 des 400 usines métallurgiques actuelles à l’horizon 2020.
Toutefois, les provinces peinent à suivre le rythme. A la fin juillet, seulement 47 % de l’objectif annuel de réduction de production avait été atteint dans la métallurgie – et 38 % dans le charbon.
« Certains gouvernements locaux procrastinent, craignant que l’économie locale dévisse, ce qui se traduirait par des licenciements massifs », résumait, le 16 août, Zhao Chenxin, le porte-parole de la Commission nationale du développement et de la réforme, un puissant ministère de la planification, cité par le magazine Caixin.
Clientélisme
La liste des intérêts qui s’opposent à une réduction du rythme de production ou à la fermeture d’usines est longue. Pour les officiels, on citera pêle-mêle la nécessité de tenir les objectifs de croissance fixés par Pékin, le besoin de remplir les caisses publiques, l’obligation d’assurer la stabilité sociale en maintenant le niveau de l’emploi ou le pur clientélisme.
« Il y a toujours une attitude équivoque des gouvernements locaux. La réalité de leur économie politique rend difficile l’application drastique des mesures décidées par Pékin », constate Jean-François Huchet, spécialiste de l’économie chinoise à l’Institut national des langues et civilisations orientales.
Les banques, elles, ont tout intérêt à dérouler le tapis du crédit à ces entreprises, si peu rentables soient-elles, car le droit chinois en matière de faillites est plus qu’incertain. Institutions détenues majoritairement par l’Etat elles aussi, elles ne se risqueraient pas à couler une entreprise en mettant un producteur d’acier déficitaire face à ses responsabilités.
Harold Thibault
* LE MONDE ECONOMIE | 08.10.2016 à 10h49 • Mis à jour le 08.10.2016 à 11h16 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/10/08/la-douloureuse-et-difficile-reforme-de-la-siderurgie-en-chine_5010413_3234.html
Acier : la fusion de deux entreprises chinoises donne naissance au numéro deux mondial
Baosteel et Wuhan Steel sont deux entreprises d’Etat chinoises. Les restructurations sont encouragées par Pékin qui veut lutter contre les surcapacités dans le secteur.
A ceux qui se demandent si la Chine veut réellement réduire les surcapacités industrielles qui plombent de nombreux secteurs, Pékin va pouvoir arguer de sa bonne foi, avec l’annonce d’une fusion majeure dans le secteur de l’acier.
Baosteel, le numéro deux chinois et numéro cinq mondial de la sidérurgie, basé à Shanghaï, va avaler son concurrent Wuhan Iron and Steel Corporation (Wisco, 11e mondial). Si Baosteel, à la faveur de sa spécialisation dans le haut de gamme, notamment pour le secteur automobile, est l’un des rares producteurs d’acier en bonne santé en Chine, Wisco, lui, se trouve en grande difficulté.
Wisco a annoncé mardi 20 septembre que Baosteel allait émettre de nouvelles actions pour acquérir l’entreprise de Wuhan, la capitale de la province du Hubei, dans le centre du pays. Les deux entreprises avaient annoncé le projet le 27 juin, demandant à cette occasion la suspension de leur cours à la Bourse de Shanghaï le temps des négociations.
Deuxième derrière Arcelor Mittal
Le nouveau groupe dépassera largement la production de l’actuel leader chinois du secteur, Hebei Iron and Steel Group puisqu’en 2015, les deux entreprises ont produit un total de 60,72 tonnes d’acier, contre 47,75 tonnes pour Hebei. Au niveau mondial, seul Arcelor Mittal reste devant, avec 97,14 millions de tonnes d’acier. Combinées, les deux entreprises valaient 16,3 milliards de dollars au moment de leur suspension, le 27 juin.
Cette fusion intervient alors que Pékin est sous la pression de ses partenaires commerciaux, qui lui demandent d’accélérer la mise en œuvre de son plan de réduction des surcapacités industrielles. Lors du G20, accueilli par la Chine à Hangzou début septembre, les dirigeants européens ont notamment rappelé à la Chine ses engagements. Jean-Claude Junker, le président de la Commission européenne, estimait « crucial » que la Chine accepte une supervision internationale du processus de réduction de ses capacités. Il avait menacé :
« S’attaquer au problème des surcapacités de manière crédible sera un test alors que la Commission européenne étudie le traitement de la Chine dans des enquêtes anti-dumping et anti-subventions. »
En dépit de cette fusion, la rationalisation du secteur tarde, illustrant les politiques parfois contradictoires des autorités chinoises. D’un côté, le pouvoir central admet depuis mi-2015 le problème des surcapacités dans certains secteurs comme le charbon, l’acier ou l’aluminium. Dans ses discours sur les réformes économiques, le président chinois, Xi Jinping, assure mener une « politique de l’offre ». Certes, celle-ci a peu à voir avec la définition libérale habituelle, mais l’un des points fort martelés par le dirigeant est la réduction des surcapacités. Sauf que les autorités locales doivent assurer la stabilité sociale de leur province et craignent par-dessus tout les mouvements sociaux que risqueraient de provoquer des licenciements massifs.
« Décision politique »
En février, les autorités centrales avaient annoncé un plan de réduction qui prévoyait la suppression de 500 000 emplois dans la sidérurgie et de 1,3 million d’emplois dans le charbon. Le plan prévoyait 100 milliards de yuans (13,4 milliards d’euros) pour aider les travailleurs licenciés, les indemnités chômage étant quasi inexistantes en Chine. En juin, la Commission nationale pour la réforme et le développement, en charge de la planification de l’économie, se fixait comme objectif de réduire de 46 millions de tonnes la capacité dans l’acier pour 2016. Mais le 16 août, la même commission avait reconnu que le rythme était trop lent : fin juillet, seuls 47 % des objectifs de réduction pour l’année 2016 avaient été atteints. Et la commission de mettre en cause les autorités locales.
Le rapprochement de Baosteel et Wuhan Steel, deux entreprises détenues par l’Etat central, est très politique. « C’est une décision politique qui vient d’en haut. Sans doute liée à la visite du premier ministre, Li Keqiang, chez Wisco en mai », explique Wei Ying Song, analyste pour le cabinet de consulting My Steel à Shanghai. Le premier ministre chinois avait désigné Wisco comme « entreprise pilote » dans la réduction des surcapacités. Wisco avait annoncé 11 000 licenciements fin 2015, alors qu’elle affichait 10 milliards de yuans de pertes cette année-là. L’entreprise compte encore 51 000 employés aujourd’hui. La fusion a aussi été facilitée par un changement de direction. Après une enquête pour corruption, les dirigeants de Wisco ont été licenciés en août 2015. C’est un ancien dirigeant de Baosteel qui a depuis pris la tête de l’entreprise.
Mais d’après Wei Ying Song, beaucoup d’autres fusions, évoquées à un moment donné, n’ont jamais été concrétisées. Et celui-ci de citer, en exemple, le blocage de la fusion entre deux sidérurgistes du Liaoning, dans le nord-est chinois, Anshan Iron and Steel Group, détenu par le gouvernement central, et Benxi Iron and Steel Group, contrôlé par la province. Annoncée officiellement il y a dix ans, la fusion n’a jamais avancé. En fait, les deux parties n’ont jamais réussi à se mettre d’accord sur la répartition des suppressions de postes et des pertes fiscales engendrées par la fusion. « Il faudra beaucoup de détermination politique au gouvernement central pour faire avancer le programme de réduction des surcapacités », résume Wei Ying Song.
Mais un autre facteur ralentit les plans de Pékin : le rebond des prix de l’acier depuis février 2016. Beaucoup d’entreprises qui avaient mis la clef sous la porte en 2015 ont repris la production depuis le printemps quand les prix ont commencé à augmenter. La province du Hebei, première productrice d’acier en Chine, a certes interdit les réouvertures d’usines en avril, mais sans se donner les moyens de faire appliquer la mesure.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correpondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 21.09.2016 à 11h22 :
http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/21/acier-la-fusion-de-deux-entreprises-chinoises-donne-naissance-au-numero-deux-mondial_5001193_3234.html
Les entreprises zombies hantent la Chine
Pékin continue de maintenir à flot des groupes incapables de rembourser leurs dettes. Les millions d’emplois en jeu expliquent que l’Etat temporise.
Seize heures : les ouvriers qui sortent de la vaste usine de Dongbei Special Steel, à Fushun, dans le nord-est de la Chine, ont le sourire. Les prix de l’acier reprennent des couleurs et leur salaire avec.
Leurs alliages de qualité supérieure servent, entre autres, à fabriquer les engins de l’Armée populaire de libération, ou les vaisseaux du programme spatial chinois. A en croire le site Internet de l’entreprise, c’est l’un des fleurons de l’industrie lourde du pays. L’usine, située dans cette grosse ville industrielle de la province du Liaoning, emploie 3 000 intérimaires en plus de ses 7 000 employés. On en oublierait presque que l’entreprise a fait faillite six mois plus tôt.
Depuis un an, Dongbei Special Steel (ou simplement « Tegang » en chinois pour « acier spécial ») n’a pu régler dix échéances de remboursement sur une dette estimée à 9,5 milliards d’euros. Le 10 octobre 2016, après des mois de négociations, la faillite du groupe a été prononcée. Mais il en faut plus pour arrêter une entreprise d’Etat qui emploie 20 000 salariés dans une province en crise.
La situation de ces groupes publics insolvables mais maintenus en vie par des lignes de crédit illimité leur a valu le surnom d’« entreprises zombies ».
Réduction des surcapacités industrielles
Longtemps ces mastodontes ont paru éternels. La croissance à deux chiffres de l’économie chinoise permettait de compenser une productivité faible. Et lorsqu’une entreprise allait mal, un prêt sans intérêts ou une subvention de la province arrivaient à point nommé.
Mais le ralentissement de l’économie depuis quatre ans fait apparaître les limites du système planifié de la République populaire. Les moteurs de l’industrialisation sont devenus des boulets. Alors qu’elles représentent environ 10 % de la production chinoise, les entreprises d’Etat reçoivent 40 % des prêts octroyés par les banques, d’après une étude du groupe financier Nomura publiée début 2016.
Les autorités sont conscientes des risques que représentent ces entreprises. D’après Moody’s, leur dette équivaut à 115 % du produit intérieur brut (PIB), quand l’endettement total du pays atteint désormais 280 %.
Lors de son discours d’ouverture de l’Assemblée nationale populaire, le 6 mars, le premier ministre chinois, Li Keqiang, a d’ailleurs fait de la réduction des surcapacités industrielles et de l’endettement les priorités du pays pour 2017. Les engagements sont connus : un plan prévoit la suppression de 1,8 million d’emplois dans les secteurs du charbon et de l’acier d’ici à 2020. Mais sa mise en place se heurte à la résistance des lobbys industriels et des autorités locales qui craignent que la hausse du chômage mette en péril la stabilité sociale.
Des dettes bancaires qui enflent
Au Liaoning, l’essoufflement de l’économie d’Etat est notable. En 2016, la province est la seule à être entrée en récession : la croissance y a reculé de 2,5 %, quand elle progressait de 6,7 % en Chine.
Dans la ville de Fushun, la crise est encore plus visible. L’agglomération, qui compte plus de deux millions d’habitants, s’est construite autour de vastes mines de charbon à ciel ouvert, au début du XXe siècle. L’industrie lourde a suivi, dessinant un paysage urbain barré de lignes de chemin de fer. En plein centre-ville, les cheminées d’usines pointent entre les immeubles. En périphérie, des milliers de tours vides témoignent de l’explosion de la bulle immobilière financée par le crédit après la crise de 2008.
C’est à cette époque que Tegang a investi à tout va, profitant de l’envolée des cours de l’acier et du crédit facile octroyé par les banques d’Etat. En 2012, alors que les prix du métal commencent à baisser, l’entreprise dépense près de 2 milliards d’euros dans un nouveau quartier général, dans la ville portuaire de Dalian.
A la dette qui enfle s’ajoutent des problèmes politiques. Tegang est une société née en 2003 du rapprochement de plusieurs structures voulu par le gouvernement du Liaoning, alors dirigé par Bo Xilai ; dix ans plus tard, ce dernier est condamné à la prison à perpétuité pour corruption.
Dans la foulée, une vaste campagne anticorruption a été lancée par le nouveau président Xi Jinping. Elle fait tomber des têtes, des officiels de haut rang jusqu’aux petits dirigeants locaux. « Tegang a été touchée, assure un jeune cadre, qui requiert l’anonymat. Avec de tels bouleversements à la tête de l’entreprise, comment voulez-vous que la production ne soit pas affectée ? »
Défaut de paiement
Le coup de grâce est porté le 24 mars 2016 : Yang Hua, président du groupe industriel, et secrétaire de la cellule du Parti communiste (PCC) de l’entreprise, est retrouvé pendu à son domicile. Quatre jours plus tard, Tegang ne parvient pas, pour la première fois, à rembourser ses échéances bancaires. Depuis, l’entreprise n’a pu s’acquitter de plus de 4 milliards de yuans (550 millions d’euros ) de remboursements.
Pas de quoi affecter les salariés de l’usine de Fushun. Ils savent que leur branche est la plus saine du groupe. En 2015, elle déclarait encore des profits, et la reprise des cours de l’acier courant 2016 a confirmé ces bons résultats.
« Nous sommes bénéficiaires, assure le cadre rencontré à la sortie de l’usine. Mais on a l’impression de travailler pour les autres. » Le trentenaire met en cause le site de Dalian, au sud de la province, largement déficitaire.
D’après lui, le chinois Anshan Iron and Steel Group (Ansteel) est quasiment assuré de reprendre Tegang d’ici à la fin 2017. Une bonne nouvelle selon ce salarié : cette entreprise, septième producteur mondial d’acier, est l’une des 111 entités directement détenues par l’Etat central, un gage de solidité par rapport aux 25 000 autres, qui, comme Tegang, sont détenues par les provinces. Contactées, les deux sociétés ont refusé de commenter un éventuel rachat.
Sauf qu’une telle reprise ne serait pas de nature à réduire les surcapacités. Or, cette politique n’affecte pas seulement les producteurs occidentaux, elle est aussi dommageable pour le pays. « Si on laissait faire les forces du marché, il n’y aurait pas de surcapacité. Les subventions ne sont jamais une bonne chose, estime Yin Xingmin, professeur d’économie industrielle à l’université de Fudan, à Shanghaï. Ces entreprises sont très difficiles à réformer. Il faudra dix ou vingt ans pour que le problème soit résolu, le temps que de nouvelles industries se développent. »
Des salariés « en vacances » depuis près d’un an
A la sortie de l’usine Tegang de Fushun, deux autres salariés, qui rentrent chez eux, affichent leur confiance en l’avenir : « On ne gagne pas beaucoup, mais je compte rester. Les entreprises d’Etat, c’est plus stable », remarque Cai Xurong, 27 ans.
Son collègue, M. Zhong, 46 ans, est sûr que les salariés seront protégés, même si des licenciements ont lieu. « On aura au moins un bol de riz à manger », avance-t-il, en référence au « bol de riz en fer », image symbolisant la sécurité de l’emploi pour les ouvriers des entreprises d’Etat. Pour autant, il s’inquiète pour sa fille, bientôt diplômée de l’université. « Le bol de riz en fer, ce sera bientôt fini… Mais si elle va dans le privé, elle devra supporter beaucoup plus de pression », craint-il.
« Si on laissait faire les forces du marché, il n’y aurait pas de surcapacité. Les subventions ne sont jamais une bonne chose », estime Yin Xingmin, professeur d’économie industrielle à l’université de Fudan, à Shanghaï.
Un exemple tout proche a de quoi les inquiéter. Devant l’entrée de l’entreprise mitoyenne, China Aluminium, un autre groupe d’Etat, des semi-remorques chargés d’énormes machines servant à l’électrolyse de ce métal s’apprêtent à déménager ces fragments de ligne de production vers Baotou, en Mongolie-Intérieure, où d’autres usines du groupe produisent à meilleur marché. A part ces camions, peu d’employés sont visibles sur cet immense site qui ne tourne plus qu’à 20 % de sa capacité.
Un jeune homme, jean, baskets et casquette de baseball, raconte qu’il est l’un des huit derniers employés de sa section, sur une centaine à l’origine. Qian Li a 34 ans, dont déjà dix passés à la comptabilité de l’usine. Après avoir gagné jusqu’à 4 000 yuans par mois (543 euros) les bonnes années, il doit faire avec 2 000 aujourd’hui. Pas assez pour faire vivre son fils de 3 ans et sa femme, qui ne travaille pas.
« Heureusement, nous les Chinois, on met de l’argent de côté, positive-t-il. Mais je vais devoir trouver un nouvel emploi bientôt. » Ses anciens collègues sont pour l’instant « en vacances » depuis presque un an et ils reçoivent moins de 1 000 yuans par mois, en attendant que les licenciements soient officialisés.
« On a déjà coupé des branches »
Deux kilomètres plus loin, les salariés d’une usine de ciment sont un peu plus optimistes. Leur groupe d’Etat produit un matériau de qualité supérieure, destiné à des projets d’infrastructures.
Même si cette « entreprise zombie » leur doit encore deux mois de salaire en retard, elle a passé le plus dur, d’après les salariés : les cours du ciment remontent. « Si on était une entreprise privée, ça irait bien, mais on a tellement de charges sociales, avec les retraites des anciens employés…, explique M. Wang, 53 ans. Et encore, avant, on gérait un hôpital et une école, on a déjà coupé des branches », indique-t-il.
Lui aussi croit que son entreprise survivra. « On vient d’avoir une commande publique importante pour un barrage », se réjouit-il. Malgré les promesses de s’attaquer à l’endettement, le premier ministre a annoncé dans le même discours 355 milliards d’euros de projets de voies ferrées, d’autoroutes et de voies fluviales. Les « entreprises zombies » vont hanter l’économie chinoise quelques années encore.
Simon Leplâtre (Shanghaï, correspondance)
* LE MONDE ECONOMIE | 15.03.2017 à 10h33 • Mis à jour le 15.03.2017 à 16h29 :
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