Les soldats s’étaient alignés sur le pont du navire de transport de troupes et de matériel Jinggangshan et du semi-submersible Donghaidao, mardi 11 juillet. Le commandeur de la marine chinoise Shen Jinlong leur a lu l’ordre de construction du premier complexe militaire chinois à l’étranger et leur a présenté le drapeau de l’Armée populaire de libération (APL). Puis l’amiral Shen leur a lancé : « En route ! »
Prompt à dénoncer l’interventionnisme occidental, Pékin évite la qualification de « base militaire » et préfère évoquer un « complexe de soutien ». La négociation avait été annoncée en 2015 par le premier ministre djiboutien et les détails avaient été finalisés en 2016. « La base permettra que la Chine assure ses missions, notamment d’escorte, de maintien de la paix et d’aide humanitaire en Afrique et en Asie occidentale », note l’agence officielle Chine nouvelle.
Elle servira également en cas de crise nécessitant l’évacuation des ressortissants chinois, toujours plus nombreux dans la région, et pour les exercices militaires conjoints et la sécurité de voies maritimes stratégiques, ajoute l’agence officielle. Le très nationaliste Global Times se plaint que, « de nos jours, tout ce que fait la Chine est sujet à surinterprétation ».
La marine chinoise a eu sa première expérience dans la région en envoyant à partir de 2008 des destroyers prendre part à la lutte contre la piraterie maritime au large de la Corne de l’Afrique. L’éloignement géographique, et donc la durée, de ces missions, ont pesé sur le moral des soldats tandis que le réapprovisionnement fut un défi logistique. La Chine contribue par ailleurs à hauteur de 2 400 hommes aux opérations de maintien de la paix sur le continent africain. Enfin, elle a réalisé les nécessités afférentes à son nouveau poids économique lorsqu’elle a dû évacuer en urgence 35 000 de ses ressortissants de Libye en 2011.
Mais l’opportunité de construire une base à Djibouti a suscité des débats dans les cercles de politique étrangère et de sécurité chinois. C’est un tournant pour un pays qui plaçait, depuis Deng Xiaoping à la fin des années 1970, son ascension sous le précepte « Conserver un profil bas, éviter de se mettre en avant » (« taoguang yanghui », littéralement « fuir la lumière et rechercher l’obscurité »).
Auparavant, elle ne misait que sur l’investissement dans des terminaux pétroliers ou de conteneurs sur la route stratégique qui mène de la côte chinoise au canal de Suez : à Kyaukpyu en Birmanie, Colombo et Hambantota, au Sri Lanka ou encore Gwadar, au Pakistan. La fonction de ces ports commerciaux en cas de crise reste un point d’interrogation : en 2014, un sous-marin avait fait une escale impromptue dans le terminal chinois du port de Colombo en pleine visite du premier ministre japonais, Shinzo Abe, et sous l’œil irrité de l’Inde voisine.
Remplir ses obligations
Bien plus confiante sous Xi Jinping, la Chine assume davantage sa puissance et donc sa présence à l’étranger. A partir de 2013 et en moins de trois ans, Pékin a bâti des îles sur sept récifs de mer de Chine méridionale, dont trois sont aujourd’hui dotés de pistes d’atterrissage. Il a, par ailleurs, mis à l’eau en avril son deuxième porte-avions. Il devrait être opérationnel en 2020 et est le premier sorti de ses chantiers navals, le Liaoning, confié à l’APL en 2012, ayant été racheté à l’Ukraine après l’effondrement de l’Union soviétique.
A Djibouti, la base chinoise ne sera située qu’à quelques kilomètres seulement de Camp Lemonnier, une base majeure pour les opérations de l’armée américaine dans la région, une proximité qui annonce un jeu réciproque d’observation et, côté chinois, d’apprentissage. Les Chinois croiseront également les Français et Japonais, qui y disposent de bases.
En mars, lors de la session annuelle de l’Assemblée nationale populaire, le ministre chinois des affaires étrangères, Wang Yi, avait expliqué que la Chine ne faisait que remplir ses obligations en matière de protection du commerce maritime. « Nous sommes désireux, selon les besoins objectifs, en réponse aux souhaits des nations hôtes et dans les régions où sont concentrés les intérêts de la Chine, d’envisager la construction de complexes d’infrastructures et de capacités de soutien », avait déclaré M. Wang. Les observateurs avaient vu dans l’emploi du pluriel la confirmation que Djibouti ne serait pas un projet unique.
Harold Thibault (Pékin, envoyé spécial)