« Pour la France, le vrai “défi civilisationnel” envers l’Afrique est simple : ne plus rien faire ! »
Notre [Le Monde Afrique] chroniqueur répond aux propos du président Macron sur le « problème africain », en marge du G20 à Hambourg, qui ont suscité de vives réactions.
En marge du G20 qui vient de s’achever en Allemagne, Emmanuel Macron, le président français, a donné une conférence de presse samedi 8 juillet. Au cours de celle-ci, un journaliste ivoirien peu inspiré, faisant référence au « partenariat [du G20] avec l’Afrique » et au « Plan Marshall », lui a posé la question suivante : « Concrètement, combien les pays du G20 sont prêts à mettre dans l’enveloppe pour sauver l’Afrique ? Et quelle sera la contribution de la France ? »
Après avoir dit d’emblée qu’il ne « croyait pas une seconde à ces raisonnements », le leader français a expliqué que le « Plan Marshall était un plan de reconstruction, dans des pays qui avaient leurs équilibres, leurs frontières, leur stabilité ». Or, a-t-il enchaîné, le « défi de l’Afrique est différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel », avant de lister la myriade de problèmes auxquels est confronté le continent – « Les Etats faillis, les transitions démocratiques complexes, la transition démographique » – et de présenter ses solutions.
Ces propos n’ont pas manqué de susciter de vives réactions au sein des communautés africaines, en France ou sur le continent. Certains ont vu dans cette référence à la « civilisation » le dernier avatar d’une série de réflexions racistes émises par les dirigeants français depuis le Général de Gaulle. D’autres, tout en reconnaissant la pertinence du diagnostic posé par le président français, ont fustigé le cynisme de dirigeants hexagonaux pourtant responsables aux yeux de beaucoup des fameux « Etats faillis » dénoncés par le locataire de l’Elysée. Pour ma part, j’y ai vu avant tout l’exposé le plus clair à ce jour de la vision et du projet africains d’Emmanuel Macron.
Prescription médicale
Une civilisation suppose une continuité historique, une conscience et une ambition collectives, une forme de permanence, et donc de résilience. En pointant la nature « civilisationnelle » du « problème africain », en usant, de la manière dont il l’a fait, du terme de « civilisation », le président français contestait, au fond, la prétention de l’Afrique à cette permanence, à cette communauté spirituelle et à cette continuité historique qui fondent les civilisations.
LES « ETATS FAILLIS » D’AFRIQUE FRANCOPHONE SONT UN HÉRITAGE DIRECT DE L’ACTION DE LA FRANCE SUR LE CONTINENT, DONT LES CONSÉQUENCES SONT CETTE INSÉCURITÉ PROTÉIFORME QUE LE MÊME PRÉSIDENT FRANÇAIS A L’OUTRECUIDANCE DE DÉNONCER.
Il exprimait en creux l’idée que l’Afrique est par essence déstructurée, éclatée, dépourvue de racines, évanescente, éphémère. Le plus intéressant est que cette vision épouse précisément les contours de l’idéologie libérale dominante, chère au président français, qui substitue l’individu (déraciné) à la communauté, le marché à la nation (ou le consommateur au citoyen), l’économie (« l’Afrique est une terre d’opportunités ») à la politique.
Dès lors, la prescription médicale du docteur Macron était logique : « Partout où le secteur privé peut s’impliquer, il doit s’impliquer ; nous devons l’orienter. Ce que nous sommes agréés avec la Banque mondiale. » Et là où le « secteur privé » (les multinationales occidentales) ne trouvera pas son intérêt, dans les « infrastructures essentielles, la santé, l’éducation, là il y a un rôle pour le financement public ». Le message est on ne peut plus clair : pour le président français, cette Afrique décivilisée est sortie de l’Histoire, laissant le champ libre aux entreprises des pays du G20 ainsi qu’à leurs gouvernements. Du reste, cette lecture imprègne les rapports entre l’Occident de l’Afrique depuis quelques siècles. De ce point de vue, Emmanuel Macron est dans une sorte de continuité idéologique. De vieilles idées et de vieux réflexes dans un corps juvénile.
La responsabilité incombe aux jeunes générations d’Africains qui contestent la vision – au fond impérialiste – du président français de lui opposer, dans le discours et dans les faits, une vision différente. Non, le « défi » de l’Afrique n’est pas « civilisationnel » : il est politique. Uniquement. Les « Etats faillis » d’Afrique francophone sont un héritage direct de l’action de la France sur le continent, dont les conséquences sont cette insécurité protéiforme que le même président français a l’outrecuidance de dénoncer. La réponse à ce supposé « défi » africain n’est pas dans l’appropriation de l’Afrique par les multinationales occidentales, mais dans la substitution de régimes néocoloniaux par des pouvoirs souverains, légitimes, efficaces. Dans cette équation, le rôle de la France et du G20 est simple : ne plus rien faire. Plus d’aide, plus d’assistance militaire, plus de soutiens officieux à des dictateurs que l’on dénonce officiellement, plus de « politiques bien plus sophistiquées qu’un simple plan Marshall ». Est-ce envisageable ? Pour le coup ce serait, pour la France, un « défi civilisationnel » !
Yann Gwet (chroniqueur Le Monde Afrique)
Yann Gwet est un essayiste camerounais.
* LE MONDE Le 12.07.2017 à 11h47 • Mis à jour le 12.07.2017 à 14h31 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/12/pour-la-france-le-vrai-defi-civilisationnel-envers-l-afrique-est-simple-ne-plus-rien-faire_5159511_3212.html
« Frères Africains, répondons par le mépris aux élucubrations d’Emmanuel Macron ! »
Le « défi civilisationnel » de l’Afrique évoqué par le président français fait hausser les épaules de notre [Le Monde Afrique] chroniqueur, qui considère l’indignation comme une perte de temps.
Je note avec beaucoup de circonspection le bruit, souvent excessif, provoqué par les propos d’Emmanuel Macron au G20 à Hambourg sur le « défi civilisationnel » de l’Afrique, que le président français précise ainsi : « Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien ». Certains ont vite établi un parallèle avec le discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, dans lequel l’ex-président français regrettait que « l’homme africain » ne soit pas « assez entré dans l’Histoire ».
Replaçons le contexte. Emmanuel Macron répondait à une question exaspérante de Philippe Kouhon sur comment l’Occident peut « sauver » l’Afrique. Le journaliste ivoirien représente, certainement de façon involontaire, cette « conscience de la défaite » qui nous étreint depuis si longtemps, celle qui place une large frange d’entre nous, Africains, dans la posture du mendiant réclamant une pitance au généreux « chef blanc ».
La condescendance des privilégiés
Il en est de même pour ceux qui demandent ce qu’un nouveau président français fera pour l’Afrique. Et comme l’agenda de chaque locataire de l’Elysée est exclusivement français, ils sont déçus et s’en remettent au bon vouloir du suivant. Eternel recommencement : nous souffrons d’une maladie post-coloniale que nous n’arrivons pas à traiter à sa racine.
Pour en revenir à la polémique, je suis convaincu d’emblée qu’Emmanuel Macron n’est pas raciste. C’est exagéré, voire malhonnête, de soutenir le contraire. Mais il porte en lui toute la condescendance de la classe sociale des privilégiés qu’il représente : mâle, blanc, riche, membre de l’élite issue des grandes écoles, etc.
Les travaux du politologue Gaël Brustier permettent de le situer intellectuellement et idéologiquement avec précision. C’est un « intellectuel organique du nouveau capitalisme » perpétuant un système néolibéral qui, à terme, est plus pernicieux pour l’Afrique que sa logorrhée sur la civilisation touchante de vacuité.
« L’AFRIQUE A DE NOMBREUX DÉFIS CIVILISATIONNELS À RELEVER. COMME L’EUROPE AVEC LA RÉSURGENCE DE POPULISMES RACISTES, COMME L’AMÉRIQUE QUI IMPOSE AU MONDE LE CAUCHEMAR DONALD TRUMP »
Les réactions aux propos du président français m’ont surpris. Elles illustrent une forme de réflexe pavlovien face aux déclarations des hommes politiques occidentaux. Prendre Macron au sérieux, franchement… C’est l’archétype de l’homme politique post-Obama, sans la gravité ni le fond. Une sorte de Justin Trudeau hexagonal, cool, décontracté, avec un discours rempli de mots creux alignés pour faire intelligent, mais digne d’une dissertation de première année de philo.
Le propos vague servi dans un phrasé aux relents évangéliques produit un fatras qui fait sourire. L’Afrique a de nombreux défis civilisationnels à relever. Comme l’Europe aujourd’hui, terre de résurgence de populismes racistes, comme l’Amérique, jadis symbole de rêve et qui impose au monde le cauchemar Donald Trump. Et alors ?
Bêtise humaine et ignorance
Frères Africains, consacrons notre énergie à ce qui en vaut la peine ! Si les élucubrations d’un enfant gâté de la République nous font autant sortir de nos gonds, c’est nous qui avons un problème profond avec nous-mêmes. Je ne fustige pas la colère, elle est nécessaire. Il nous faut évidemment savoir nous indigner face aux malheurs et aux injustices du monde. Mais utiliser notre énergie pour réagir aux propos d’un président français pendant que les Burundais, les Congolais, les Sud-Soudanais meurent à cause de l’inaction coupable, voire complice, de nos dirigeants africains est une perte de temps.
Lors de la première édition des Ateliers de la pensée à Dakar, l’historien sénégalais Mamadou Diouf rappelait son embarras que des intellectuels aient mobilisé leur énergie et leur temps pour répondre aux déclarations de Sarkozy sur l’Afrique. Il a raison. Le mépris reste parfois la meilleure réponse face à la bêtise humaine et à l’ignorance.
« UTILISER NOTRE ÉNERGIE POUR RÉAGIR À CES PROPOS PENDANT QUE LES BURUNDAIS, LES CONGOLAIS, LES SUD-SOUDANAIS MEURENT À CAUSE L’INACTION DE NOS DIRIGEANTS AFRICAINS EST UNE PERTE DE TEMPS »
S’indigner ne signifie pas se couvrir de ridicule à coups de tweets ou de posts Facebook exagérés. Les bouffons racistes, parmi nous, qui parlent en notre nom, ne nous rendent pas service et ne servent pas la cause de la transformation sociale et du progrès dans nos pays. La colère doit déboucher sur un véritable projet, lequel est d’ores et déjà voué à l’échec s’il n’est que réaction aux propos de tel ou tel. Fût-il un président français.
Hamidou Anne (chroniqueur Le Monde Afrique)
Hamidou Anne est membre du cercle de réflexion L’Afrique des idées.
* LE MONDE Le 12.07.2017 à 17h40 • Mis à jour le 12.07.2017 à 17h52 :
http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/12/freres-africains-repondons-par-le-mepris-aux-elucubrations-d-emmanuel-macron_5159668_3212.html