« Paris est vulnérable aux canicules »
Dans une tribune au « Monde », l’architecte Albert Lévy affirme que les caractéristiques urbanistiques de la capitale l’exposent particulièrement aux risques de pollution et de canicule. Il appelle la municipalité à s’engager dans un urbanisme de dédensification, de verdissement et d’arborisation de l’espace urbain.
TRIBUNE. L’été vient à peine d’arriver et Paris connaît déjà sa première grande vague de chaleur. Le dérèglement climatique en cours, avec les canicules qu’il engendre, est causé, on le sait, par les émissions de gaz à effet de serre du XXe siècle qui se poursuivent et s’amplifient aujourd’hui.
La décision de Trump de retirer les Etats-Unis des accords de Paris est catastrophique pour le climat et la planète alors que l’Amérique est responsable du quart de ces émissions. Heureusement, une bonne partie du pays ainsi que des grandes villes américaines ne le suivent pas dans ce déni criminel.
Les météorologues sont unanimes : nous allons inexorablement vers une hausse des températures et les étés en Europe vont devenir torrides. Même si nous engageons dès maintenant des actions radicales en faveur de la limitation de la température, il faudra attendre vingt-cinq à trente ans pour connaître les premiers résultats, sentir les premiers effets et renverser la tendance.
Dangereux cocktail
Dans l’attente, il faut rendre les villes vivables et habitables et faire en sorte qu’elles ne contribuent pas par leur densité, leur compacité et leur minéralité excessives à l’augmentation de l’inconfort thermique, voire de la température par le phénomène de l’îlot de chaleur urbain (ICU).
L’ICU résulte de trois facteurs conjugués : la présence quantitative et qualitative de la « nature » en ville, la densité du bâti et ses caractéristiques constructives (matériaux), chromatiques (couleur), la densité de la population et des activités urbaines (circulation, production, habitation…) qui participent pour 20 % à la totalité de l’ICU (on parle de chaleur anthropique).
Les conséquences sanitaires de ces canicules sont connues, celle de 2003 avec ses 15 000 morts a laissé des traces dans la mémoire : elles touchent surtout les personnes les plus fragiles (enfants en bas âge, personnes âgées, malades chroniques du cœur, des voies respiratoires…). Une chose est sûre : le cocktail de pollutions de particules fines et d’ozone, provoqué par le fort ensoleillement, entre en interaction avec la chaleur et devient un danger pour la santé.
Ce sont les villes, où se concentrent le trafic motorisé et les activités économiques, qui produisent les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi, outre la nécessaire limitation de la circulation motorisée, des véhicules privés et la conception d’une autre politique de transport durable, il faut aller vers un urbanisme de dédensification, de réduction de la densité, de verdissement et d’arborisation de l’espace urbain, en introduisant aussi l’eau (bassins, fontaines…), partout où cela est possible.
Une politique continue de densification urbaine
Paris présente deux caractéristiques défavorables pour faire face au changement climatique et aux canicules : une forte densité démographique – Paris est, avec 21 470 habitants/km2, la 5e ville la plus dense du monde, après Dacca (Bangladesh), Manille (Philippines), Le Caire (Egypte), Mumbai (Inde) – et un faible ratio d’espaces verts par habitant (un des plus bas de France et d’Europe, avec 5, 8 m2/habitant et 14, 5 m2/habitant avec les deux bois de Boulogne et de Vincennes) ; de plus, la concentration des activités économiques et commerciales y est aussi très forte (35 % des emplois de la région).
Malgré la prise de conscience climatique de la ville et sa position en pointe sur cette question, ses nombreux plans anticanicule et ses déclarations écologiques, c’est une politique inverse qui est menée : la municipalité poursuit ces dernières années une politique continue de densification urbaine, malgré l’opposition des habitants et sans tenir compte de leurs avis, en construisant partout, dans chaque parcelle vide ou qui se vide ; le rehaussement de tous les immeubles de bas étage est également prévu, des tours sont programmées (tour Triangle), et cela au détriment des espaces verts.
En suivant le périphérique on peut mesurer l’ampleur de l’édification réalisée, ou en cours, aux environs des portes de la capitale, une zone qui, à l’origine, devait être une ceinture verte. Paris devrait cesser de croire que tous ses problèmes (logement, circulation, emplois…) peuvent être résolus dans les limites de son périmètre administratif : il faut sortir des frontières intra-muros et travailler à l’échelle du Grand Paris, actuellement en chantier, mais qui tarde à avancer.
Par ses caractéristiques urbanistiques, Paris est vulnérable aux canicules, il faut donc veiller, dans le contexte du changement climatique actuel, à ce que les politiques urbaines menées ne renforcent cette vulnérabilité, rendant in fine, à certaines périodes de l’année, la ville inhabitable.
Albert Lévy (Architecte et urbaniste, membre du Réseau environnement santé/RES, chercheur au CNRS)
* LE MONDE | 22.06.2017 à 14h53 • Mis à jour le 23.06.2017 à 09h03 :
http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/22/paris-est-vulnerable-aux-canicules_5149515_3232.html
* Les travaux d’Albert Lévy portent principalement sur la conception architecturale, l’histoire des théories de l’urbanisme et l’analyse des grands projets d’urbanisme. Il a notamment coordonné l’ouvrage « Ville santé, urbanisme. Les trois révolutions » (Editions Pascal, 2012).
Face aux risques climatiques, Paris doit repenser son urbanisme
Anne Hidalgo propose, mardi 29 septembre, une série de mesures pour réduire l’impact du réchauffement et garantir l’approvisionnement en ressources de la capitale.
Paris est « robuste » grâce à sa géographie favorable et la solidité de ses infrastructures, mais la capitale est trop exposée au changement climatique. Dans le prolongement de son Plan climat énergie adopté en 2007, la maire socialiste, Anne Hidalgo, doit soumettre, mardi 29 septembre au Conseil de Paris, sa stratégie d’adaptation aux risques climatiques. Elle s’appuie sur une étude menée avec Météo France sur les risques, mais aussi les forces et faiblesses de son territoire.
D’ici à la fin du siècle, les Parisiens connaîtront quatre fois plus de jours très chauds (température diurne supérieure à 30 °C) et dix fois plus de nuits tropicales (température nocturne supérieure à 20 °C). L’été 2003 de la grande canicule pourrait même devenir la norme dès 2050. Accentuées par l’urbanisme très minéral de la capitale et le phénomène des îlots de chaleur urbains, les vagues de chaleur, entrecoupées de pluies violentes, seront plus régulières, plus intenses et plus longues. Conséquences : en été, le débit de la Seine devrait être réduit d’au moins 30 % et le niveau maximal des eaux souterraines correspondre au plus bas niveau d’aujourd’hui.
Nouveaux espaces verts
Pour résister à la hausse des températures et aux pics de chaleur, il faut trouver les moyens de rafraîchir la ville. L’été, l’accès aux lieux de fraîcheur sera facilité avec l’ouverture en continu, y compris la nuit, d’un maximum de parcs et jardins. Lors des épisodes caniculaires, des brumisateurs et des ombrières seront déployés dans les espaces publics.
Pour limiter le phénomène des îlots de chaleur, la municipalité devra repenser son urbanisme. « C’est un des volets importants de notre stratégie, car on a construit en tournant le dos à la nature, souligne Célia Blauel, adjointe (EELV) chargée de l’environnement et du développement durable. Nous voulons sortir de l’aspect lisse du béton pour évoluer vers un territoire plus naturel. » Végétalisation et rafraîchissement de la ville sont désormais les maîtres mots.
PARIS DOIT DIVERSIFIER SES SOURCES EN FORANT DE NOUVEAUX PUITS D’ACCÈS À LA NAPPE D’EAU PROFONDE ET EN DÉVELOPPANT L’USAGE D’EAU NON POTABLE, COMME LA RÉCUPÉRATION DE L’EAU DE PLUIE
D’ici à 2020, chaque Parisien ne devra pas être à plus de sept minutes de marche d’un espace de respiration de verdure ou d’eau. Trente nouveaux hectares d’espaces verts vont être ouverts au public. Plus de place va être donnée à la nature sur les toits, les murs, dans les cours d’immeubles, sur l’espace public, jusque sur les trottoirs qui pourront être enherbés. Des fontaines et autres points d’eau visibles (noues, jardins de pluies, mares, miroirs d’eau, parcs aquatiques…) vont être aménagés, notamment dans le cadre du programme de réagencement des grandes places parisiennes. Des sites de baignades naturelles estivales vont être créés : outre deux projets à l’étude sur le bassin de la Villette et le lac Daumesnil, la municipalité souhaite que la Seine puisse redevenir l’espace de baignade qu’elle fut par le passé. L’avenir du périphérique et sa possible transformation en avenue feront l’objet d’une réflexion.
Tension sur l’eau
Paris doit aussi garantir son approvisionnement en ressources sur le long terme. « Les stratégies d’adaptation adoptées par de grandes villes comme Londres, New York ou Melbourne se sont arrêtées à des événements climatiques extrêmes. À Paris, nous sommes allés plus loin en proposant aussi une vision nouvelle pour la gestion des ressources énergétiques, alimentaires et en eau. Il y a un enjeu important à préserver les ressources », explique Célia Blauel.
Le dérèglement climatique pourrait entraîner des tensions sur la ressource en eau, alors même que les besoins iront croissant avec l’augmentation de la population, mais aussi les nouveaux usages liés au rafraîchissement, et de manière plus structurelle lors des périodes de sécheresse. Afin de garantir l’approvisionnement de la ville en toutes circonstances, Paris doit diversifier ses sources en forant de nouveaux puits d’accès à la nappe d’eau profonde et en développant l’usage d’eau non potable, comme la récupération de l’eau de pluie.
Sur le plan alimentaire, l’agglomération ne dispose que de quelques jours d’autonomie et son approvisionnement provient très majoritairement de régions éloignées. Paris devra donc développer la production locale d’aliments. D’ici à 2050, 25 % de denrées alimentaires consommées à Paris devront être produites en Ile-de-France. Intra-muros, la ville devra compter 33 hectares d’agriculture urbaine d’ici à 2020.
La capitale doit aussi diversifier son approvisionnement énergétique en triplant en dix ans la production d’énergies renouvelables sur son territoire et en développant la production d’énergie de récupération.
Le risque n’est pas virtuel. Mardi, Paris devait organiser un exercice grandeur nature pour se préparer au scénario de la crue du siècle.
Laetitia Van Eeckhout
* LE MONDE | 29.09.2015 à 10h47 • Mis à jour le 29.09.2015 à 11h21 :
http://www.lemonde.fr/climat/article/2015/09/29/face-aux-risques-climatiques-paris-doit-repenser-son-urbanisme_4776550_1652612.html