Depuis plusieurs semaines, le Venezuela semble plongé dans le chaos où les manifestations de l’opposition et contre-manifestations du gouvernement Maduro, suivies d’affrontements violents, sont à l’origine de la mort de plus de vingt personnes.
Dérive autoritaire
La MUD (Table de l’unité démocratique), coalition hétéroclite, revendique la tenue d’élections générales immédiates pour mettre fin au gouvernement de Nicolás Maduro. La situation s’est envenimée lorsque, le 30 mars dernier, le Tribunal suprême de justice (acquis à l’exécutif) a choisi de déposséder l’Assemblée nationale (aux mains de l’opposition) de ses prérogatives, en se basant sur la présence de trois parlementaires élus de manière frauduleuse en son sein. Face au scandale qu’une telle mesure a soulevé, les autorités vénézuéliennes ont finalement fait marche arrière, tout en condamnant le candidat de l’opposition aux deux dernières élections présidentielles, Henrique Capriles, à quinze ans d’inéligibilité…
Cette dérive autoritaire du gouvernement ne touche pas seulement les élites politiques opposantes. Les élections régionales et syndicales sont aussi reportées sine die… Des « Organisations de libération du peuple » (OLP), chargées de rétablir la sécurité dans les quartiers populaires, sont accusées de plusieurs dizaines d’assassinats par les organismes de défense des droits humains. Et des formations politiques jusque-là proches du « chavisme critique » et indépendantes du PSUV (le parti de Maduro) comme Marea Socialista ou le Parti communiste vénézuélien, doivent désormais se plier à des conditions draconiennes pour tenter de conserver une existence légale.
Quant à la MUD, elle est clairement dominée par les néolibéraux et centrée sur un projet politique de revanche sociale, pro-impérialiste et de restauration d’un gouvernement « stable » au service des classes possédantes et du capital international. Rappelons que lors du coup d’État avorté d’avril 2002, ces mêmes opposants avaient destitué immédiatement toutes les autorités légales et exercé une répression immédiate sur la population et les partisans de Chávez…
Régression sociale
Que Nicolás Maduro se maintienne au pouvoir ou qu’un gouvernement « d’union nationale » soit mis en place, la situation des classes populaires vénézuéliennes demeure très préoccupante.
L’économie du pays, prisonnière de l’extractivisme et de la rente pétrolière, subit de plein fouet la chute brutale des cours du pétrole depuis l’été 2014. Dans une fuite en avant désespérée, le gouvernement accélère son megaprojet d’exploitation minière autour de la frange de l’Orénoque, sous contrôle des militaires et en alliance avec des multinationales, qui, à terme, devrait concerner 12 % du territoire national, au détriment de l’environnement, de la biodiversité exceptionnelle de cette zone et des nombreuses communautés indigènes qui y vivent.
D’autre part, l’explosion du marché noir, l’effondrement de la monnaie nationale, la « guerre économique » menée par une partie des grandes entreprises privées et l’immense corruption de nombre de hauts fonctionnaires et d’une « bourgeoisie bolivarienne » toujours plus arrogante, font que les VénézuélienEs sont confrontés à d’immenses pénuries de nourriture, de services et de médicaments : la faim est en train de réapparaître dans plusieurs quartiers de Caracas.
Un autre phénomène concourt à l’affaiblissement de Maduro : l’arrivée au pouvoir des droites conservatrices dans plusieurs pays latino-américains et ainsi une perte de soutien régional.
Cette situation générale de régression politique et sociale n’augure rien de positif pour les classes populaires vénézuéliennes. Si nous dénonçons évidemment toute tentative de déstabilisation extérieure, notre solidarité va avant tout au mouvement social, indigène et ouvrier du pays, à celles et ceux d’en bas et aux forces de la gauche critique qui tout en dénonçant les projets de restauration néolibérale de l’opposition et le népotisme « boli-bourgeois » cherchent à se frayer, dans des conditions très difficiles, une voie indépendante du gouvernement, clairement anticapitaliste et autogestionnaire.
Franck Gaudichaud et Pedro Huarcaya