Moon Jae-in a emporté la présidentielle coréenne avec une marge très confortable face à son principal rival, le conservateur Hong Joon-pyo : 41% contre 24% (et plus de 21% au centriste Ahn Cheol-soo). Cependant, il n’a pas les mains libres : le Parti démocratique (centre gauche) qu’il représente ne compte aujourd’hui que 119 députés sur 299 à l’Assemblée nationale.
L’élection anticipée fait suite à l’immense levée citoyenne qui a mobilisé des mois durant des millions de personnes pour obtenir la destitution de l’ancienne présidente Park Geun-hye pour cause de scandales et de corruption. Elle s’est donc faite en priorité sur des enjeux « internes » : rupture avec la tradition autoritaire héritée de la période de dictature (incarnée par Park), réforme des conglomérats industriels familiaux (les chaebols) qui contrôlent l’économie…
Le climat de tension guerrière entretenu par le « duel » théâtral entre Donald Trump pour les Etats-Unis et Kim Jong-un pour la Corée du Nord n’a pas influé sur l’élection – et c’est déjà un camouflet pour Trump. L’opinion sud-coréenne est largement en faveur d’une reprise du dialogue avec le Nord et s’oppose à toute « solution militaire ». Le nouveau président s’en fait l’écho et met en cause les conditions dans lesquelles le « bouclier » antimissile Thaad a été précipitamment déployé en Corée du Sud (28.000 soldats US sont basés dans le pays).
L’élection de Moon Jae-in représente assez bien le consensus antiautoritaire moyen des mobilisations citoyennes connues sous le nom de Mouvement des bougies : âgé de 64 ans, avocat ayant défendu les droits humains, plusieurs fois incarcéré pour ses engagements… L’extraordinaire vague citoyenne de 2016-2017 va-t-elle néanmoins trouver des prolongements plus radicaux ?
L’écho de la campagne électorale progressiste menée par Shim Sang-jeong, du Parti de la Justice, a été favorable, bien qu’elle n’a obtenu au final que 6% des voix, un résultat jugé un peu décevant. Une petite formation « pro-Nord », l’UPP, a aussi présenté un candidat. Il n’y avait cependant pas de candidature « ouvrière » initiée par les syndicats et la gauche radicale est restée cantonnée à la marge.
La centrale syndicale KCTU a soutenu le Parti de la Justice et l’UPP à l’occasion des élections. Elle cherche maintenant à remettre en avant la question sociale (à commencer par le niveau du salaire minimum) et la reconnaissance effective des droits syndicaux dans les entreprises. Le mouvement ouvrier combatif a en effet été ces dernières années violemment réprimé, bon nombre de cadres étant jeté en prison. Des formations politiques de gauche ont par ailleurs été dissoutes pour « intelligence avec le Nord ».
Après dix années d’un régime conservateur très réactionnaire, l’élection du 9 mai représente sur le plan politique un nouveau point tournant en Corée du Sud. Sur le plan régional, malgré le nouveau tir de missile nord-coréen et l’escalade des pressions US, Moon Jae-in va renouer avec la politique de dialogue envers le Nord mise en œuvre par ses prédécesseurs en 1998-2008. La gauche radicale peut bénéficier de cette conjoncture pour se reconstruire et le mouvement syndical combatif pour reprendre l’initiative et se réorganiser.
Pierre Rousset