Philippe Poutou, ouvrier à l’usine Ford de Blanquefort (Gironde) et responsable syndical à la CGT Ford, est candidat à l’élection présidentielle pour le Nouveau parti anticapitaliste (NPA).
Reporterre — En matière d’environnement, quelles mesures de votre programme vous tiennent particulièrement à cœur ?
Philippe Poutou — Une politique énergétique sociale et environnementale sera forcément menée par un service public de l’énergie. Il faut enlever leurs moyens de nuire aux capitalistes et sortir des logiques du privé, de la rentabilité. On doit exproprier toutes les grosses entreprises du secteur des énergies fossiles comme Total, les mettre sous le contrôle des salariés et de la population et sortir des fossiles. Dans le même temps, il faut sortir du nucléaire. Nous nous appuyons sur un schéma de sortie en dix ans, élaboré par le milieu militant et associatif antinucléaire. La centrale nucléaire de Fessenheim et tous les réacteurs de plus de trente ans doivent être fermés immédiatement.
En parallèle, nous voulons développer les énergies renouvelables. Ce point reste à discuter en raison des polémiques sur les avantages et les inconvénients des énergies éolienne, marémotrice, solaire, etc. Mais l’avantage, c’est que ces énergies permettront de relocaliser la production électrique. À côté de ça, il faut lutter contre le gaspillage en éliminant la publicité, les dépenses électriques inutiles… Y compris le tout-voiture et le tout-camion, qui polluent. Ce qui nous amène à la gratuité des transports publics. Nous essayons de répondre globalement à tous les problèmes ; sinon, ça ne paraît pas sérieux.
L’agriculture est aussi un choix de société. Les politiques productivistes de concentration du capitalisme poussent les agriculteurs à être toujours plus rentables et à utiliser de plus en plus de pesticides, fongicides, engrais, etc. Nous, nous combattons les intrants chimiques et discutons d’un retour aux petites exploitations, à une agriculture de proximité, y compris autour des grosses agglomérations. À Bordeaux, il y avait pas mal de cultures maraîchères au nord de la ville. Aujourd’hui, il n’y a quasiment plus rien, avec des conséquences sociales, alimentaires et environnementales. Comment aider les petits paysans à vivre de leur travail et combattre les banques, les distributeurs et l’industrie agroalimentaire ? À cela s’ajoute la question du bien-être animal.
« Nous combattons les intrants chimiques et discutons d’un retour aux petites exploitations, à une agriculture de proximité, y compris autour des grosses agglomérations. »
L’écologie est souvent perçue comme une préoccupation de bobos. Est-ce compliqué de porter un discours antiproductiviste et écolo auprès d’ouvriers et d’employés ?
Le NPA a toujours porté ces mesures. La commission Ecologie existe depuis le début du parti et notre journal a une rubrique écologie quasiment toutes les semaines. Il y a cinq ans, notre programme disait la même chose. Mais aujourd’hui, la question écologique prend de l’ampleur dans l’opinion publique ; du coup, quand nous en parlons, nous sommes davantage entendus. Et encore, je ne peux jamais en parler dans les médias : les interviews portent sur les licenciements, l’emploi… jamais sur l’écologie.
La prise de conscience progresse y compris dans les milieux prolos. On peut difficilement ignorer que la pollution est devenue catastrophique, provoquant maladies et surmortalité. L’actualité des derniers mois a été marquée par des pics de pollution à Paris, Grenoble, Bordeaux et même dans des endroits reculés. Les paysans souffrent de maladies professionnelles. Près de Bordeaux, des viticulteurs sont morts à cause des pesticides, d’autres sont en procès contre les fabricants. Le milieu paysan, qui a longtemps ignoré ces problèmes, commence à résister. Même au boulot, on discute un peu de ces questions d’environnement et de santé.
Mais quand on bosse dans des secteurs industriels, la question du maintien de l’emploi est là. Concernant la fermeture de Fessenheim, la CGT énergie n’a pas bougé d’un iota. Pour elle, défense du nucléaire et défense des emplois vont de pair. C’est complètement dingue, parce qu’on peut discuter de sortie du nucléaire tout en parlant reconversion. Un démantèlement de centrale nucléaire dure des décennies. Ce n’est pas comme si l’on éteignait la lumière et qu’on se barrait !
La catastrophe de Fukushima avait entraîné une prise de conscience du risque nucléaire. Mais les années passent et la peur du nucléaire diminue à nouveau, malgré tous les problèmes — les pièces défectueuses dans les réacteurs, l’ASN qui alerte et tout le monde qui continue comme s’il n’y avait pas de problème. Difficile de faire face à cette propagande idéologique.
« La sortie du nucléaire, ce n’est pas éteindre la lumière et se barrer ! »
Dans le secteur automobile, ce n’est pas facile non plus. La CGT métallurgie défend la voiture et l’industrie. Beaucoup considèrent toujours que dénoncer le tout-voiture revient à se priver de son boulot. Mais nous, à la CGT Ford, nous nous sommes aperçus que quand nous évoquions les scandales liés au diesel dans nos tracts, nos collègues étaient plutôt sensibilisés et ouverts à la discussion. Car en réalité, on s’en fout de fabriquer des bagnoles ; le problème, c’est d’avoir un boulot. Un mécanicien automobile pourrait très bien travailler non pas sur des voitures électriques — qui dépendent de l’énergie nucléaire et sont une fausse solution —, mais sur des bus. Ou, mieux, sur des trains.
Le problème, c’est qu’on ne peut pas faire confiance à l’État ou aux patrons pour les reconversions. Si demain, on décide de fermer une usine d’armement, cela entraînera forcément des licenciements. D’où la question de rendre l’économie plus collective, de ne pas la laisser entre les mains des capitalistes. Nous voulons que les salariés et la population puissent assurer eux-mêmes les reconversions s’ils décident d’abandonner un secteur pour des raisons environnementales et de cohérence économique.
« On ne peut pas faire confiance à l’État et aux patrons pour les reconversions. »
Comment se passeraient les reconversions dans une économie où les salariés contrôleraient les outils de production ?
On peut imaginer des structures nationales et locales où la population pourrait discuter de ses besoins et faire des choix politiques. Par exemple, pour le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il faudrait qu’une population vraiment politisée impose ses choix — plutôt que des collectivités territoriales qui votent ce qu’elles ont envie de faire en lien avec les intérêts des multinationales. Ce n’est pas évident à imaginer dans un monde hyper individualiste où chacun rentre chez soi le soir regarder la télé et ne s’occupe pas de politique. Car il y a déjà ce problème-là à régler : comment donner envie aux gens de discuter de ce qui les concerne collectivement, pour que les militants et les zadistes ne soient plus les seuls à s’en occuper ?
Sur le plan économique, les salariés devraient pouvoir prendre en main l’organisation du travail et même les choix stratégiques. L’exemple de Fralib est très intéressant. Alors qu’Unilever voulait fermer l’usine, des salariés l’ont reprise en Scop. Elle est militante d’un point de vue social : il n’y a quasiment pas d’écarts de salaires, tout est décidé collectivement — la répartition des postes, les heures supplémentaires, etc. Elle a également une dimension écolo, puisqu’elle utilise du thé bio, cherche à s’approvisionner localement… C’est bonnard ! C’est à toute petite échelle certes — ils sont une quarantaine —, mais c’est hyper bien. Autre exemple, l’usine Pilpa à Carcassonne, reprise en Scop par des salariés qui y produisent les glaces La Belle Aude : ils privilégient le bio, les produits locaux… Évidemment, les produits sont vendus un peu plus cher, mais cela montre qu’il est possible de produire en respectant les salariés, l’environnement et la santé de la population.
« Les salariés devraient pouvoir prendre en main l’organisation du travail et même les choix stratégiques. »
Mais on reproche souvent aux produits bio et de qualité d’être inaccessibles aux ménages modestes…
Effectivement, les produits bio sont plus coûteux, y compris ceux qu’on achète en supermarché. Mais c’est aussi une question de politisation. Par exemple, on s’aperçoit que les gens issus des milieux les plus pauvres vont souvent fumer, boire et mal manger, alors que tout le monde sait que c’est mauvais. C’est lié à un réflexe de résistance à plein de choses. Si le bio est un sujet de discussion dans les milieux militants et syndicalistes, au-delà c’est plus compliqué. Il faut avoir envie de s’y intéresser, de s’en occuper, de faire le lien entre la destruction de nos emplois, de l’environnement et de notre santé. Heureusement, les associations écolos font un gros boulot de sensibilisation. À Bordeaux, les Amap ont une activité très militante.
« Il faut faire le lien entre la destruction de nos emplois, de notre santé et de l’environnement. »
Vous insistez sur cette idée que les citoyens doivent reprendre la politique en main. À quoi ressemblerait le projet de société que vous portez, sans président de la République, sans Sénat, etc. ?
Il est plus facile de commencer par critiquer ce qui existe ! Concernant la fonction présidentielle, nous trouvons aberrant qu’un seul individu puisse avoir autant de pouvoir entre les mains. Idem pour les présidents de région, les maires… Il y a un surpouvoir dans toutes les instances démocratiques.
L’autre problème est celui de la représentation. L’absence de proportionnelle intégrale est très problématique. La concentration du pouvoir dans les gros partis et la professionnalisation des élus aussi. Sans parler de leur rémunération excessive : à partir du moment où ils touchent de hauts revenus, députés et sénateurs s’accrochent à leurs postes et sont complètement liés à un milieu social. Cela entraîne une véritable déconnexion des simples travailleurs. C’est pourquoi nous voulons plafonner le revenu des élus à 2.300 euros nets mensuels environ. Nous préconisons aussi le non-cumul des mandats.
« L’histoire des luttes sociales nous donne des modèles de moments démocratiques. »
Mais ces règles ne sont que des mesures d’urgence. Le véritable objectif, c’est construire une démocratie qui deviendrait le problème de millions de gens. L’histoire des luttes sociales nous donne des modèles de batailles et de moments démocratiques. La Commune de Paris, il y a près de 150 ans, ébauche d’organisation collective à l’échelle d’une ville ; les expériences de démocratie participative à Porto Alegre, au Brésil, avec un mandat tournant et des réunions de quartier… Mais il reste un impératif incontournable : il faut que la population s’en mêle. Un délégué qui parle à la place des autres, ce n’est pas bon ! Les gens doivent parler eux-mêmes pour eux-mêmes. Sinon, ces outils ne resteront que des coquilles vides.
Sur ce plan-là, les Zads sont des expériences intéressantes. Près de Bordeaux, une petite forêt a été rasée à cause d’un projet de golf, malgré la résistance de jeunes gens. Mais il y a eu des assemblées générales, des réunions à proximité de cet endroit, avec des militants et des agriculteurs écolos qui travaillaient dans le coin. On a discuté culture maraîchère, coût des terres agricoles, pollution des sols, lien entre ruraux et urbains… On n’était pas nombreux, une cinquantaine, mais c’était bonnard ! Ce sont de petites ébauches. Comment le NPA peut-il aider à les développer et à les renforcer, c’est la question !
D’un côté, vous vous présentez à l’élection présidentielle sans avoir l’intention de remporter le scrutin, pour encourager les gens à s’intéresser à la politique ; de l’autre, vous le faites dans le cadre d’un parti traditionnel… Quel regard portez-vous sur les formes émergentes de mobilisation sociale — Nuit debout et têtes de cortège ?
Le NPA a la particularité d’être à la fois une organisation traditionnelle, ouvrière et liée au syndicalisme, et très impliquée dans des collectifs comme les Zads et les Nuits debout. Ce qui est intéressant dans ces occupations de sites ou de places, c’est la manière dont les gens organisent une sorte d’autogestion. Et le fait qu’elles ne sont pas limitées à une lutte, mais qu’on y discute de tout : de solidarité avec les migrants de Calais, de questions démocratiques, antiracistes, féministes… Elles rassemblent aussi des gens assez divers, en âge et en milieux sociaux.
Dans l’activité militante au quotidien, on est très peu à militer, donc très peu à faire le boulot. Ce sont les mêmes qui parlent, qui prennent les initiatives, font les tracts, etc. Pour nous, Nuit debout a été énorme. Le rapport était inversé : tout le monde militait, prenait la parole… C’est hyper reposant, car on n’est plus celui dont l’absence pose problème — si l’on n’est pas là, il y en a plein d’autres ! Les Zads, c’est un peu pareil. Tout n’est pas rose, on y trouve parfois des réflexes sectaires, anti-politiques, anti-organisations, du coup les rapports ne sont pas toujours simples… Mais tout cela va dans le bon sens.
Propos recueillis par Émilie Massemin