Voilà près de trois semaines que l’organisation islamiste Abu Sayyaf, a capturé 21 touristes - asiatiques, européens, sud-africains - et les détient dans l’île de Jolo, à l’extrême-sud de l’archipel philippin. A l’heure où cet article est écrit, leur sort reste toujours incertain, enjeu de tractations complexes entre ravisseurs et autorités, mais aussi entre gouvernement et fractions militaires, ou entre Manille et les capitales étrangères concernées.
La prise d’otage du 23 avril est, en effet, intervenue alors que la situation à Mindanao (la principale île du sud des Philippines, où réside la majorité de la population musulmane) s’était brutalement dégradée. Début avril, l’armée a engagé une violente offensive contre le Front Moro islamique de libération (FMIL). Les combats se déroulent dans une région où se trouvent des camps du Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT, RPMP en philippin), organisation soeur de la LCR, à leur tour attaqués par les forces gouvernementales.
Cette offensive a été décidée alors que le FMIL et le PRT étaient tous deux engagés dans des négociations de paix avec le gouvernement. Cela faisait longtemps que des combats d’une telle ampleur n’avaient pas eu lieu à Mindanao. Selon des sources militantes locales, 500000 personnes seraient déplacées dans la seule région centrale de Mindanao, là où le PRT a l’une de ses principales bases de masse.
Le PRT est issu de la crise qui a frappé, il y a dix ans, le Parti communiste des Philippines, d’origine maoïste. Des régions « dissidentes » du Sud (Mindanao) et du Centre (Visayas) de l’archipel, ainsi que des réseaux militants du Nord (Luzon) ont fusionné pour donner naissance à un nouveau parti, qui a demandé à bénéficier d’un statut d’observateur au sein de la Quatrième internationale. Le PRT reste une organisation clandestine, bien qu’il consacre ses activités au travail de masse et que ses éléments armés gardent une posture défensive. En décembre dernier, il a ouvert des pourparlers de paix, à l’occasion d’une rencontre fort médiatisée avec le président des Philippines, Estrada. Ce processus est aujourd’hui remis en cause.
Trois peuples
Trois communautés coexistent à Mindanao. Les « lumads », montagnards qui n’ont été ni christianisés ni islamisés. Les « moros » musulmans, qui ont résisté des siècles à la domination espagnole. Et les chrétiens : pour l’essentiel des petits colons venus récemment du centre et du nord de l’archipel. Le processus de colonisation « interne » aux Philippines a été si massif qu’à Mindanao, lumads et moros se retrouvent minoritaires dans leur propre pays. Un long conflit armé a opposé sous la dictature de Marcos le Front moro de libération national (FMLN) aux forces gouvernementales. Il s’est conclu par la signature d’un accord d’autonomie, qui n’a rien résolu. Le développement du FMIL répond à cet échec. De plus, l’expansion de l’agro-industrie accentue les inégalités sociales dans toutes les communautés, mais aggrave aussi l’oppression des lumads et moros dont les terres ancestrales sont convoitées par les investisseurs américains, japonais ou philippins. Les mouvements musulmans aux Philippines ne sont pas, à l’origine, fondamentalistes. Mais vu l’impasse actuelle, le fondamentalisme se renforce.
Le PRT poursuit un travail de fond pour renforcer les liens entre les « trois peuples » (lumads, moros et chrétiens), mettre en lumière les rapports entre exploitation et oppression et créer les conditions d’une réalisation effective du droit d’autodétermination, dans le respect réciproque des communautés.
On est en droit de se poser bien des questions sur les manipulations dont les militants d’Abu Sayyaf peuvent être victimes. L’extrême gauche philippine soupçonne l’armée d’avoir infiltré ce mouvement. Or, la prise d’otages du 23 avril survient à point nommé pour brouiller les cartes et détourner l’attention de l’offensive militaire engagée à Mindanao contre le FMIL. Et il paraît clair que des fractions militaires veulent exercer une pression sur le président Estrada, pour renforcer leur influence.