Michèle Kiintz – Que sont réellement devenues les « tentatives d’alternatives, d’émancipations locales ou nationales, en construction » que tu évoquais en entretien ici même ? [1]
Franck Gaudichaud – Plutôt que d’une « fin de cycle » en Amérique latine, thème de nombreux débats actuels, on assiste plutôt à un retournement de conjoncture socio-politique et plus exactement aux reflux des forces progressistes ou nationales-populaires dans plusieurs pays clefs, notamment au Venezuela où l’opposition a désormais la main sur le Parlement et où il y a une énorme crise économique et politique et au Brésil, avec le coup de force parlementaire qui a permis la destitution de Dilma Roussef, pays où il existe un mécontentement certain des couches populaires et moyennes face au bilan du Parti des Travailleurs (PT) et, plus encore, face au gouvernement conservateur corrompu actuel.
Autres symboles de ces reflux en cours, l’Argentine avec l’arrivée du néolibéral Mauricio Macri, qui est l’homme du patronat et des multinationales, suite à l’échec électoral aux présidentielles de Cristina Kirchner. On pourrait continuer ainsi – mais dans une bien moindre mesure – avec la défaite d’Evo Morales en Bolivie au dernier référendum, même si Morales est toujours populaire, très haut dans les sondages et apparemment sur le point de se représenter, malgré tout. Enfin, il y a des tensions nombreuses et conflits ouverts entre mouvements sociaux-environnementaux, syndicaux ou indigènes et le gouvernement Correa en Equateur.
Ces reflux politiques et électoraux relatifs de ce que l’on peut nommer pour aller vite les « progressismes gouvernementaux » et des nouvelles forces politiques qui étaient hégémoniques dans une dizaine de pays sud-américains depuis 2002-2005 s’accompagne d’un bilan critique sur la question de l’extractivisme et de l’utilisation des ressources naturelles, en ce qui concerne la ‘reprimarisation ‘ et nouvelle dépendance des économies, sur les modes de développement et de production, débat animé par certains secteurs des mouvements sociaux et indigènes, ainsi que par des courants de la gauche anticapitaliste (qui reste très minoritaire). Bilan qui, sur le plan des avancées sociales et de reconstruction d’un État social dans ces différents pays, est clairement positif comparé avec la période néolibérale antérieure, ainsi que le souligne régulièrement le sociologue brésilien Emir Sader et divers intellectuels proches des gouvernements progressistes.
Toutefois, il ne faut pas s’en tenir au seul niveau étatique et institutionnel, mais voir aussi le bouillonnement populaire qui se poursuit, « par en bas » et en bas à gauche, en termes d’auto-organisation, de création d’espaces autogérés, d’entreprises récupérées, de communautés indigènes qui reprennent en main leur territoire et s’opposent aux multinationales (comme les Shuars en Equateur), de médias communautaires au sein des quartiers populaires urbains ou ruraux (comme Radio Villa Francia ou Canal Señal3 à Santiago du Chili) [2].
Cette ébullition, c’est aussi la construction zapatiste qui reprend du poil de la bête au Mexique puisque l’idée avance d’une candidature d’une femme indigène aux prochaines élections présidentielles, appuyée par un Conseil indigène, ce qui est une excellente nouvelle (après des années de retrait sur leurs terres du Chiapas). Ce sont aussi les conseils communaux et les organisations coopératives rurales existantes dans le cadre du processus bolivarien, dont certains sont encore dynamiques : l’idée de la construction communale perdure malgré la profonde décomposition actuelle. Et malgré les attaques constantes contre les entreprises récupérées en Argentine, on peut parler de conquête sur le long terme pour des dizaines d’entre elles. Dans le Cauca en Colombie ou à Cuba des expériences novatrices d’agro-écologie sont menées, etc.
Donc, malgré un certain reflux « en haut » et le retour revanchard des droites, malgré la violence néolibérale et impérialiste, et aussi militaire, paramilitaire et le narcotrafic (au Mexique, en Colombie, en Amérique Centrale), il y a un ensemble d’expériences qui remet au goût du jour le débat stratégique sur comment transformer le monde et distribuer le pouvoir, sur la nécessité de combiner construction par en bas sans abandonner la transformation radicale de l’État – mais les limites du mouvement progressiste de la décennie montre la difficulté que cela signifie.
Y-a-t-il eu une traduction politique des mouvements populaires dans les pouvoirs institués, dans les structures étatiques des différents pays ?
On en revient au débat (intense depuis la fin des années 90) sur « changer le monde sans prendre le pouvoir » (d’État) ou, au contraire, avoir comme objectif la conquête du gouvernement et de l’État par les urnes pour forger une contre-hégémonie face au néolibéralisme en lien avec les mouvements sociaux. Il s’agit globalement d’une fausse dichotomie. Les termes du débat ne sont plus en tout cas – pour l’instant ?-, comme dans les années 70, « voie armée » contre « transition institutionnelle ». On voit que la majeure partie des nouveaux mouvements politiques à gauche, ou des anciens comme le PT, ont pris acte, parfois avant même la chute du Mur, du poids des institutions et des moments électoraux pour essayer de construire un espace politique. Mais il n’empêche que le dilemme est toujours là : est-ce que lorsqu’on gagne le gouvernement, on s’empare réellement du pouvoir ? Le pouvoir économique, militaire, médiatique, de classe finalement est en grande partie ailleurs : l’État « profond » est beaucoup plus large que le seul gouvernement, et même que le Parlement, que les institutions représentatives. Ce pouvoir réel est souvent difficile à conquérir, encore plus à transformer.
D’où l’importance d’insister sur l’auto-organisation, la capacité de construire au niveau local, régional, national des formes de pouvoir populaire constituant, qui puissent se muer finalement en pouvoir populaire constitué. Pourtant le contrôle des États par la gauche a permis les plus importantes avancées sociales de la décennie dans des pays comme l’Equateur, la Bolivie ou le Venezuela. Et si la question du lien entre l’instituant et l’institué, entre mouvements et partis, reste essentielle, tirer les leçons des grands processus révolutionnaires latino-américains du XXe siècle, au Mexique, au Salvador, à Cuba, au Chili, au Nicaragua, etc., l’est tout autant.
Quelle rupture à un moment donné avec les vieilles formes d’organisation étatiques, au sein des forces armées ? C’est toute la difficulté de la transformation sociale qui est en cours, par exemple, en Bolivie. Cela a aussi été l’objet des discussions à gauche lors de la récente campagne présidentielle en Équateur entre Alianza País et d’autres secteurs qui dressent un bilan très critique de la gestion technocratique de Correa : sur l’expansion de la frontière minière, de la déforestation, de l’extraction massive des ressources au profit des multinationales. Il y a là une vraie question directement liée aux modes de production, d’accumulation et d’exploitation de la nature qui se poursuivent.
Comment ont évolué les relations entre les Amériques latines et les efforts de consolidation de partenariat régional ?
Les intégrations régionales sont aussi effectivement essentielles. On ne peut pas dresser un bilan des différents gouvernements progressistes, sans penser leurs marges de manœuvres réelles au niveau continental et face aux puissances impériales (à commencer par les USA). Un « petit pays », un pays appauvri par le saccage néocolonial comme la Bolivie, peut très difficilement sortir seul de l’échange inégal, de la domination oligarchique interne et des inégalités. Pour créer des alternatives, il faut des partenariats, des associations inter-États et aussi un internationalisme actif entre mouvements populaires. L’expérience cubaine rappelle que l’isolement (et le blocus) accélèrent les involutions internes.
Le rêve de Bolivar qu’Hugo Chávez a remis sur le devant de la scène, c’est-à-dire une perspective d’intégration bolivarienne anti-impérialiste, est un enjeu d’une cuisante actualité. Et le reflux des progressismes est aussi lié à son absence. L’évolution régionale a cependant connu des avancées tout à fait intéressantes. Par exemple le projet de l’Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA) était tout à fait original, quand il a été impulsé par Chávez, c’est-à-dire la possibilité du « troc » entre pays, de la complémentarité, de recevoir plus qu’on ne donne si on est une petite économie, par exemple de recevoir du pétrole vénézuélien pour apporter un peu de biens alimentaires, quand on est une petite île comme la Dominique ou même Cuba. Le projet est intéressant, mais il est rapidement rentré en crise en même temps que la crise du processus bolivarien, et s’est aussi heurté à d’autres obstacles (dont les intérêts contradictoire de la puissance brésilienne).
Il faut aussi souligner des avancées politiques et diplomatiques tout à fait notables, avec la construction à partir de 2009 de l’UNASUR, l’Union des nations du Sud : pour la première fois les 22 pays sud-américains se regroupent au sein d’une entité diplomatique, mais aussi de gestion et de règlement des conflits, sans la OEA (Organisation des États Américains) et donc sans les États-Unis. Puis en 2010, vient la CELAC, la Communauté des États latino-américains de la Caraïbe, qui pense l’Amérique latine sans les géants du Nord, un progrès qui a permis la réintégration de Cuba dans le concert latino-américain, avant même le rétablissement des relations entre Cuba et les États-Unis.
Quelle est la nature des forces d’opposition aux gouvernements progressistes encore en place ou de celles qui l’ont renversé au Brésil ?
Le panorama est assez sombre sur ce plan, avec le retour des droites néolibérales et conservatrices et l’émergence de nouvelles droites qui ont un peu « relooké » les vieilles oligarchies. C’est le cas, par exemple, de Macri en Argentine et de son mouvement Compromiso para el Cambio (« Engagement pour le changement »), qui a usé et abusé du marketing politique pour se donner un visage « moderne ». Mais ces droites nouvelles ou anciennes restent violentes socialement, marquées du point de vue de classe et elles défendent le projet de la bourgeoisie globalisée, avec sur le plan sociétal une vision ultraconservatrice et répressive des mouvements sociaux.
Au Brésil, l’impeachment contre Dilma Roussef est une victoire des secteurs les plus réactionnaires, celle des « 4 B » (pour balles, bible, bœufs et banques), c’est-à-dire le secteur de l’armement et de la sécurité, des évangélistes, des grands propriétaires terriens et le secteur financier… Ce sont aussi les plus corrompus, à commencer par Temer, le président illégitime actuel, car même si la direction du PT est aussi imprégnée de la culture de la corruption clientéliste, elle l’est encore un peu moins que ceux qui sont aujourd’hui à la tête de l’État brésilien. Rappelons que la situation actuelle est aussi le produit d’alliances contre nature entre le PT et ces secteurs-là puisqu’aujourd’hui, ce sont les anciens alliés du PT qui ont retourné leur veste et se sont alliés avec la droite la plus réactionnaire.
Au Venezuela, la majorité de l’Assemblée nationale est entre les mains de l’opposition, la Table de l’unité démocratique (MUD : Mesa de la Unidad Democrática), coalition hétéroclite mais qui a un noyau dur ouvertement néolibéral, avec deux tendances : un secteur « insurrectionnel » (ceux qui ont appuyé le coup d’État d’avril 2002 et les guarimbas [3] de 2014, donc la violence de la rue, avec pour leader Leopoldo López ; aujourd’hui emprisonné et qualifié de « prisonnier politique » par l’opposition) ; et un autre groupe de partis qui cherche davantage la voie institutionnelle, estimant qu’après avoir gagné le Parlement, la demande de référendum révocatoire en cours depuis plus d’un an pourrait aboutir à la destitution de Maduro par les urnes. Ce qui d’ailleurs est très probable vu l’état de délabrement du pays, l’ampleur de la crise économique, et la dimension de la corruption et du clientélisme à tous les niveau de l’Etat, d’où des réactions autoritaires du gouvernement qui a tout fait pour empêcher que ce référendum se tienne jusqu’à maintenant.
Globalement, on est face à des droites dures, appuyées par Washington, et dont la remontée en puissance permet un réalignement des astres dans le sens des États-Unis et des deux grands pays alliés, à savoir le Mexique et la Colombie. Et désormais, ce sont aussi l’Argentine et le Brésil qui font pression sur les autres gouvernements « non alignés » comme le Venezuela, l’Équateur et la Bolivie.
Peut-on parler de retour plus ou moins rapide à une « longue nuit néolibérale » ? Et y-a-t-il encore des potentialités de sursauts populaires pour la contrer ?
À la fin des années 90, il y a eu une période de grandes luttes populaires contre cette « longue nuit néolibérale », et ces mouvements sociaux exceptionnels combinés à la crise de légitimité des partis traditionnels avaient abouti à ce qu’une dizaine de pays sud-américains soient passés à gauche, avec une diversité certaine – centre gauche, gauche nationale-populaire, sociale-libérale ou plus anti-impérialiste. On pourrait ajouter à cette liste le Nicaragua notamment, ou le Honduras avant le coup d’État. Dans de nombreux cas, les partis traditionnels des bourgeoisies locales ont été marginalisés (qu’ils soient socio-démocrates, démocrates chrétiens ou conservateurs), ce qui a ouvert une fenêtre d’opportunités pour les mouvements populaires, pour renforcer celles des forces politiques qui semblaient plus ouvertes aux changements, par exemple le PT au Brésil, ou encore pour créer de nouvelles force comme Alianza País (Equateur), comme le MAS bolivien (Movimiento al socialismo), comme le Mouvement de la Ve République (Movimiento V República) au Venezuela autour de Hugo Chávez, etc.
Les victoires électorales en chaîne de ces gauches de gouvernement ont permis en particulier la création d’importants programmes sociaux « ciblés » et conditionnés (non universels donc), au Brésil, au Venezuela, en Équateur, en Bolivie, même en Uruguay : la pauvreté a ainsi reculé comme jamais, au cours de la décennie 2000-2010 ; avec, en parallèle, des conquêtes sur les droits sociaux, les salaires, dans l’éducation, recul de l’analphabétisme, etc. Pendant une décennie, le prix très élevé des matières premières a permis une redistribution des rentes des ressources naturelles, tout en « ménageant la chèvre et le chou », le capital et le travail, dans une perspective typiquement ‘neo-developpementiste’. On a pu, par exemple, avec un baril à plus de cent dollars redistribuer une partie des rentes pétrolières ou gazières vers les programmes sociaux destinés aux plus pauvres, mais sans déstabiliser, ni attaquer les intérêts fondamentaux des classes dominantes. Les inégalités ont aussi reculé, mais la structure sociale de classe, elle, s’est maintenue. Pourtant, les vieilles oligarchies blanches (et racistes), les classes dominantes ont très mal vécu de voir surgir, et gagner, des acteurs jusques là marginalisés : indigènes, syndicalistes, femmes, prêtres de la théologie de la libération, qui arrivaient au centre de la politique et incluaient en même temps – mais de manière subordonnée - avec eux une partie des classes subalternes de plus en plus politisées.
Est-on aujourd’hui face à un retour à la longue nuit néolibérale ? Un retour tel quel, aux années 90, non… Il y a eu de profonds changements, qui demeurent. Par exemple l’espace progressiste national-populaire est encore soit toujours au gouvernement, soit la principale force d’opposition de nombre de pays. Il reste au gouvernement au Venezuela, en Équateur avec une victoire probable de Lenín Moreno (le successeur de Correa [4] ; en Bolivie où Evo Morales, malgré la défaite au dernier référendum, a un appui électoral suffisant pour envisager une réélection. Dans d’autres pays cet espace progressiste est la principale force d’opposition : le péronisme bien entendu, et y compris le kirchnérisme en Argentine ; le PT aujourd’hui est très affaibli, marqué par les cas de corruption (cas Petrobras, cas Odebrecht), critiqué par une partie de la gauche et de la jeunesse, de la classe ouvrière, des mouvements syndicaux pour son bilan. Mais il reste un grand parti institutionnel d’opposition face à la droite néolibérale.
Ce qu’il faut voir avant tout, c’est la capacité des mouvements populaires, de la gauche anticapitaliste (comme le FIT en Argentine) ou écosocialiste, de tirer des bilans critiques du moment progressiste national-populaire, mais aussi de construire des fronts unitaires pour s’opposer aux droites dures, violentes, néolibérales et à l’agenda renouvelé de Washington, dans les prochaines années. Certains intellectuels critiques, comme par exemple Massimo Modenesi (Mexique), Raul Zibechi (Uruguay) ou Maristella Svampa (Argentine), montrent que le progressisme a en partie désarmé l’autonomie des mouvements populaires, leur capacité de réaction, qu’ils se sont retrouvés pris dans des rets clientélistes, parfois même dans des sphères d’intégration à l’appareil d’État (en Argentine, par exemple). Phénomène renforcé par le caudillisme ou ‘l’hyperprésidentialisme’ en cours, car si les leaderships charismatiques peuvent effectivement mobiliser ou politiser « ceux et celles d’en bas », ils freinent en même temps et font obstacle aux tentatives autogestionnaires et de pouvoir populaire. Sans compter les diverses formes de criminalisation ouverte des mouvements sociaux (en Equateur ou au Brésil par exemple), alors que en Equateur un intellectuel comme Alberto Acosta décrit une « restauration conservatrice ». Pablo Davalos parle quant à lui de « démocratie disciplinaire » au moment d’analyser les expériences post-néolibérales…
Tout cela a entamé leur capacité de résistance, même si de grandes luttes s’annoncent dans la nouvelle conjoncture. Ainsi, en Argentine, le mouvement syndical classiste est en train de s’organiser face à la machine de guerre qu’est le gouvernement Macri qui a licencié plus de cent mille personnes et va s’attaquer aux droits du travail. Au Venezuela, une défaite de Maduro signerait le retour d’une droite de revanche de classe, qui veut en découdre avec les acquis et les conquêtes du chavisme populaire en termes d’organisation mais aussi de droits sociaux. Au Pérou, il règne une droite néolibérale ouverte, avec des niveaux de répression très importants, notamment des luttes indigènes autour du projet minier Conga. Si l’on regarde ce qui se passe au Mexique depuis des années, avec une brutalisation permanente de la société et des luttes populaires, l’avenir peut sembler sombre effectivement. Mais avec toujours des lueurs d’espoirs, comme le montrent la massivité des mobilisations en cours depuis quelques semaines contre les mesures du gouvernement fédéral de Peña Nieto.
Il y a donc là des enjeux lourds, dans un scénario très complexe. S’il y a sursaut, capacité de résistance, la question est aujourd’hui celle des alternatives. Va-t-on essayer de recomposer avec le PT ou le kirchnérisme ? Ou alors tirer des bilans et reconstruire une gauche anticapitaliste écosociale, avec tous les secteurs sociaux et politiques indépendants qui sont prêts ?
Quel monde et quelle géopolitique maintenant à l’ère de Trump pour l’Amérique Latine ?
C’est LE problème du moment, il me semble. On a vu déjà le rapport violent, raciste, xénophobe de Trump avec les Chicanos et avec l’ensemble des Latino-Américains, des travailleurs sans-papiers aux États-Unis, avec des promesses et un début de déportations massives. Il faut rappeler que Obama a lui aussi déporté des centaines de milliers de sans-papiers, tout comme il n’a pas cherché à mettre fin à la politique impériale et guerrière des États-Unis, bien au contraire ! Mais avec Trump, le danger est encore plus grand. Les annonces sur l’extension du mur avec le Mexique est un symbole fort de sa politique de haine. Trump affiche sa volonté y compris de remettre en cause le rétablissement des relations diplomatiques avec Cuba, et pourrait menacer le processus de paix en Colombie.
Ceci n’est pas sans effets contradictoires. Rappelons que si le mouvement zapatiste surgit publiquement début 1994 au Mexique c’est aussi pour lutter contre l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA). Aujourd’hui, c’est Trump qui est en train de dénoncer cet accord…. C’est un paradoxe de l’Histoire. Le populisme réactionnaire et protectionniste de Trump est aussi opposé à certains accords multilatéraux, voire bilatéraux, néolibéraux. Ainsi, le multimillionnaire républicain vient de remettre en question le grand traité transpacifique (TPP), dans lequel des pays comme le Chili, le Pérou et le Mexique étaient également engagés. Michèle Bachelet a finalement annoncé que le Chili se retirait également du traité puisque les États-Unis n’y participaient plus. Ce ne sont donc pas les mouvements sociaux qui ont défait ce traité, mais une force réactionnaire hégémonique au Nord, les États-Unis. Certains analystes se sont réjouis de ces conséquences inattendues de l’élection de Trump. Il me semble qu’il ne faut pas se tromper d’alliés ! Parce que si Trump remet en question ces traités, c’est pour défendre encore plus les intérêts égoïstes des États-Unis, imposer de nouveaux accords encore plus durs et en aucun cas pour abandonner l’hégémonie de Washington en Amérique Latine (sur les ressources naturelles, l’eau douce, les terres rares, les terres agricoles, le pétrole vénézuélien, le cuivre chilien, etc). Même si pour l’instant rien ne laisse présager que la région fasse partie de ses priorités immédiates. Pourtant, si le bilan d’Obama géopolitique est assez terrible, ce qui s’annonce peut l’être encore davantage en termes de chaos mondial.
Il y a donc de grandes luttes à mener, et aussi la nécessité de réorganiser la solidarité internationaliste avec l’Amérique Latine et ses mouvements populaires. C’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire – modestement – au travers de l’association France Amérique Latine [5] , et j’en profite pour inviter les lecteurs à nous soutenir et à nous rejoindre !