L’économie québécoise, tout comme celles canadienne, étasunienne, européenne et même mondiale, toussotent vers le haut [1]. Après la crise de 2007-2008, il restait finalement une bonne marge de manœuvre pour accroître encore plus l’endettement mondial grâce à la Chine et à plusieurs autres économies dite émergentes, particulièrement en ce qui concerne la dette privée [2]... mais aussi par le moyen de la croissance importante de la dette publique aux ÉU, dans l’Union européenne et au Japon [3]. La dette mondiale a crû de 40% de 2007 à 2014 (de 6% en termes de ratio dette/PIB) [4]. Cette croissance de la dette s’accélère depuis 2012 [5]. Depuis la Grande crise, l’endettement canadien a augmenté autant dans la sphère privée [6], en particulier celle des ménages [7], que dans celle publique même s’il n’y a pas encore retrouvé le niveau de 1995 [8] qui fut alors le prétexte pour la grande offensive du déficit zéro.
Pour le Québec, il est bien connu que la dette publique québécoise est relativement plus élevée que pour les autres provinces [9]... mais la panoplie des dépenses sociales y est supérieure... et l’Ontario est à rattraper le Québec pendant que l’Alberta a elle aussi commencé à s’endetter suite à la chute du prix du pétrole. Quant à la dette des ménages, elle y est relativement moins élevée [10] malgré un revenu disponible qui est le plus bas de toutes provinces et territoires quelque soit les nombreuses circonstances atténuantes, dont certaines sont socialement valables, pour l’expliquer [11]. En ressort un vieillissement accéléré de sa population, comme explication de fond, qui fera que « d’ici une vingtaine d’années, la société québécoise sera une des plus vieilles en Occident. »... et que les personnes âgées du Québec sont aujourd’hui en proportion parmi les plus pauvres du Canada [12].
Nos banquiers, cependant, plaident que la situation financière des ménages est saine parce que leurs actifs nets croissent au même rythme que leur dette sinon plus [13] et que le service de la dette, à cause des bas taux d’intérêt, reste constant [14]. C’est ignorer que ces très bas taux d’intérêt, ayant fait muer la Grande crise de 2007-08 en Grande stagnation au lieu d’en Grande récession, sont le facteur majeur, en combinaison avec la modestie des revenus du 99% [15], qui explique la propension à l’endettement. Ces deux facteurs combinés renchérissent l’obligation structurelle à accumuler des produits durables suite à une grave pénurie de logements locatifs de qualité à prix abordable, à un transport collectif plus que déficient et à la nécessité de sécuriser sa vieillesse et ses salaires faute de régimes de pensions et autres assurances sociales adéquats et fiables. Ajoutons à cette pression structurelle pour accumuler logements en propriété, véhicules et capital fictif une forte incitation à consommer, suite à une propagande publicitaire débilitante, des produits dont l’obsolescence est planifiée.
La danse de la politique monétaire sur le volcan qui gronde
Cette dynamique de l’endettement qui tient le système néolibéral à flot finit par coincer la portée stabilisatrice de la politique monétaire. Une hausse même minime du taux d’intérêt pour soi-disant juguler l’inflation, en réalité par peur capitaliste de pressions à la hausse sur les salaires due à la baisse du chômage [16], se traduit par une importante hausse du service de la dette [17] frappant de plein fouet la montagne de dettes et le grand nombre de gens et PME endettés. Ainsi la moindre politique anti inflation se changera rapidement en politique récessive, ce qu’anticiperont les marchés financiers. D’où les hésitations et tergiversations des autorités monétaires étasuniennes pour hausser le taux directeur.
Mais elles ne peuvent résister longtemps aux pressions du capital (para)-bancaire [18]. Celui-ci a fait le plein grâce à la hausse des encours pendant que baissaient les taux d’intérêt. Il veut maintenant s’enrichir par l’augmentation faramineuse des intérêts grâce à la montée même modeste des taux sur fond de bas taux. Un bénéfice collatéral en serait la solidification des fonds de pension et des sociétés d’assurances, ce qui aiderait à consolider la paix sociale tout en assurant une portance aux placements des grands investisseurs. En même temps ceux-ci rachèteraient à rabais les encours contrôlés directement par les classes moyennes, dont les retraités, paniqués par la plongée rapide de leurs valeurs monétaires alors qu’auparavant ces rentiers étaient affamés par la minceur des flux d’intérêts et de dividendes qu’ils généraient [19].
Ce petit jeu spéculatif à haut risque sur fond d’une dette hors contrôle et casse-cou [20] dans un contexte de stagnation causera plus tôt que tard un nouvel effondrement de la valeur du capital fictif [21] encore plus difficile à mater qu’en 2008 par le moyen de la seule planche à billets dit « assouplissement quantitatif » pour juguler la réelle crise s’ensuivant. Au Canada, contrairement aux ÉU, la bulle mobilière a contaminé celle immobilière [22], même si le Québec en est moins affecté [23], qui s’était à peine dégonflée en 2008. L’autre volet d’une politique interventionniste, celle du budget public, est étouffé, pour cause de compétitivité fiscale dont les paradis fiscaux [24] et l’évitement fiscal [25] sont les cancers. Ménager la hantise fiscale des milliardaires [26] et celle de la finance tout en offrant un exutoire à l’atrophie des occasions sécurisées de placement résulte en invitation à l’endettement public.
Une politique budgétaire entre le marteau et l’enclume
Paradoxalement, cette invite en est aussi une à la restriction... sauf aux ÉU, qui contrôlent la monnaie mondiale, même si en ce moment le quasi plein emploi, de qualité douteuse, appelle la modération [27]. Car les détenteurs de capital fictif ont à s’assurer de la solvabilité de l’État toujours en théorie capable de s’en sortir soit en noyant sa dette dans l’inflation ou — crime de lèse-majesté ! — soit par l’annulation de la dette publique. Mais il y a des limites politiques à couper les dépenses sociales quoique le gouvernement Trump cherche à s’en affranchir [28]. Les gouvernements canadiens, fédéral et provinciaux, ne pourraient que l’imiter, côté dépenses comme côté fiscal [29], dans le cadre de l’ALÉNA qu’ils veulent sauver à tout prix [30].
Or si les ÉU sont à la marge du plein emploi et que de toute façon ils sont en mesure d’engranger des déficits publics et externes ad nauseam puisque leur monnaie nationale est mondiale — et il en sera ainsi tant que les autres puissances monétaires accepteront de stocker les dollars dans leurs réserves de change — il n’en est pas de même pour le Canada. Tout en gérant ses déficits au plus serré pour stabiliser son taux de change avec le dollar étasunien à un niveau compétitif, il lui faut de toute urgence augmenter substantiellement les investissements dans des infrastructures tombant en décrépitude ou déficientes. Ils sont nécessaires à la rentabilisation du capital (et à créer des emplois temporaire) sans aucun impératif écologique. D’où l’enlisement dans les partenariats publics-privés [31] qu’encourage la propension néolibérale à la privatisation pour élargir le champ d’accumulation du capital.
On constate que se libérer du piège trumpien appelle à rejeter les outils dont se servent les ÉU vis-à-vis le Québec et le Canada, soit le marché mondial du capital-argent et son cadre institutionnel, les accords de libre-échange, chartes de la dictature du capital. Reste à savoir vers quel but : la croissance du PIB ou celle du bonheur... mais peut-on le mesurer [32] !
Marc Bonhomme, 22 mars 2017,
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