Fou rire dans « On n’est pas couché » : Philippe Poutou avait-il intérêt à y aller ?
Samedi, le candidat du NPA à l’élection présidentielle s’est retrouvé au cœur d’éclats de rire des animateurs de l’émission quand il a été question de licenciements.
Que faut-il pour être candidat à la présidence ? Légalement, être français et âgé de 18 ans, jouir de ses droits civiques et disposer de cinq cents parrainages d’élus. Mais il faut aussi une bonne présence médiatique. Occuper le terrain, au sens littéral, n’a jamais suffi.
La dernière ligne droite d’une élection présidentielle amène son lot de couvertures de magazines. Et seulement quelques passages éclairs dans des émissions télé pour d’autres.
Philippe Poutou, candidat du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) à la présidentielle pour la seconde fois, participait, samedi 25 février, à l’émission « On n’est pas couché » sur France 2. En tant que candidat, son temps de parole est surveillé par le CSA, dans un souci d’équité.
Une séquence a retenu l’attention de ceux qui ont regardé l’émission, et surtout de ceux qui en ont découvert l’extrait en ligne, diffusé par l’élu Les Républicains Antoine Lévèque :
Philippe Poutou est entouré de Laurent Ruquier, de la journaliste Vanessa Burggraf, de Yann Moix et d’autres invités en promo, Michel Cymes, Nicolas Bedos, Doria Tillier. Vanessa Burggraf veut l’interroger sur une mesure de son programme, bute sur une question avant d’être reprise par Laurent Ruquier :
« – Comment on oblige un patron à interdire les licenciements ?
– Comment on interdit à un patron les licenciements. C’est pas le patron qui va interdire les licenciements, pardon Vanessa…
– Ah oui d’accord. Comment est-ce qu’on impose à un patron de euh… les licenciements ? »
Fou rire de la journaliste, fou rire de Laurent Ruquier et des invités, applaudissements du public. « Déjà qu’il n’a pas beaucoup de temps de parole », dit Laurent Ruquier. Vanessa Burggraf tente trois, quatre fois de reposer la question, qui est « comment est-ce que vous comptez interdire les licenciements ? ». Mais elle rigole trop. Philippe Poutou, lui, ne se marre pas vraiment et demande si la séquence sera coupée. « D’habitude ça fait pas rire, les licenciements, mais là ! », répond Laurent Ruquier, toujours hilare.
« La télé, c’est très nombriliste »
Les producteurs ont gardé cette séquence de 2 minutes, que des milliers de personnes ont découverte, brute, sur les réseaux. Elle aurait pu finir dans un bêtisier si elle n’avait pas des implications politiques et symboliques. Beaucoup y ont vu un « mépris de classe » pour un ouvrier qui n’est pas un politicien professionnel ; un manque de respect pour un candidat à la présidentielle qui, même s’il recueille très peu d’intention de vote, devrait être considéré avec le même respect que ses adversaires.
Les critiques sont surtout venues à travers Twitter, qui était dans son rôle de caisse de résonance pour l’indignation facile. Et si Philippe Poutou apparaît comme la cible de rires gras et exagérés d’un plateau qui semblait se marrer pendant qu’on parlait de licenciements, il a pu, pendant la demi-heure restante de son passage, expliquer ses mesures et défendre son programme, autant que c’est possible dans une émission construite à la fois sur l’information et le divertissement.
Il a aussi pu, comme ses interlocuteurs, faire des blagues pas vraiment drôles :
« Il y a pas mal de militants emmerdés. Aujourd’hui, on ne peut plus séquestrer les patrons tranquillement. Et ça, c’est un problème. »
Interrogé par Buzzfeed après l’émission [1], Philippe Poutou pense qu’« au-delà de la question du mépris, [il] y a quelque chose qu’ils ne comprennent pas ».
« Avec l’écrivain Philippe Sollers qui est passé juste avant, il n’y a pas eu de problème. Ou avec un politicien, ils savent faire, quand c’est quelqu’un de leur milieu. Mais quand c’est un ouvrier, ce n’est pas pareil je pense (…). Est-ce que ça veut dire qu’ils me prennent pour un rigolo ? Qu’ils se foutent du chômage ? Je pense qu’ils ne sont pas habitués à ce genre d’interview.
La télé, c’est très nombriliste. D’habitude, ce sont des confrontations de nombril à nombril dans cette émission. C’est peut-être pour ça qu’il y a un malaise. C’est un milieu qui est fermé, où ils sont dans l’entre-soi. Dans des tas d’émissions on le voit : ils plaisantent entre eux. »
Contrat et relation de dépendance
Même s’il n’est clairement pas considéré comme un « bon client » par le système médiatique, ce n’est pas la première fois que Philippe Poutou vient défendre son programme dans un média grand public. En 2011, primo-candidat, il passait déjà à « On n’est pas couché » et connaissait un traitement similaire. Acrimed écrivait alors :
« Le style de l’émission et de son principal animateur incite à la familiarité et à la naïveté, plus ou moins feinte (…) Elles se traduisent par l’adoption d’un ton paternaliste et condescendant, pour ne pas dire franchement méprisant. »
Six ans après, ni le « milieu », ni le « style » de l’émission n’ont fondamentalement changé. Logiquement, ses dérives possibles ou le « malaise » qu’elle peut susciter, non plus. Le contrat passé à l’époque est le même qu’aujourd’hui : entre un homme politique à la recherche de visibilité et une émission à la recherche d’audimat.
Philippe Poutou lui-même reconnaissait, dans une interview à Acrimed en 2016, que cette relation, pour son parti, était nécessaire mais clairement déséquilibrée :
« Nous sommes dans une position de “demandeurs” parce que nous souhaitons évidemment faire entendre nos idées : les plateaux télés sont des tribunes (…). Mais quelque part nous nous sommes également piégés dans cette relation ambiguë avec les médias. »
Il prend l’exemple de son prédécesseur, Olivier Besancenot, bien plus rompu que lui à l’exercice, qui avait permis à son parti d’acquérir une présence médiatique au début des années 2000. Mais cette approche comportait ses limites :
« Cela nous allait bien tant qu’on ne se posait pas plus de questions, quand Olivier passait, “on” passait à la télé (…). A partir du moment où l’on souhaite montrer un autre visage du parti, un visage plus collectif, que l’on veut diversifier nos porte-parole, on se rend compte des difficultés. »
C’est l’équation impossible pour les candidats qui n’ont pas de relais médiatiques à portée de main. Faire l’impasse sur les canaux grand public et en perdre les retombées médiatiques, ou accepter d’y aller et prendre le risque de ne pas arriver à faire passer son message.
Dans Le Monde, un collectif de responsables politiques, artistes et hommes de lettres a signé une pétition pour demander que « les candidats anticapitalistes » ne soient plus « systématiquement ignorés et réduits au silence, en particulier dans les médias » [2].
Ils regrettent qu’en plus de règles plus drastiques pour se présenter (la récolte des signatures est devenue plus compliquée et le NPA n’est pas proche des cinq cents), Philippe Poutou ou Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière doivent faire face à une « ségrégation » médiatique nocive au « débat démocratique élémentaire et nécessaire ».
Luc Vinogradoff
Journaliste au Monde.fr
* LE MONDE | 27.02.2017 à 19h21 • Mis à jour le 28.02.2017 à 09h19. Un blog de la rédaction - Le Monde :
http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/02/27/philippe-poutou-ou-l-equation-impossible-d-aller-ou-pas-dans-une-emission-comme-on-n-est-pas-couche_5086517_4832693.html