Depuis l’annonce de la victoire électorale de Rodrigo Duterte, plus de 7000 personnes ont été tuées dans le cadre de la « guerre à la drogue » déclenchée par le nouveau président. On sait le peu de cas que ce dernier et son entourage font des droits humains. Vu son ampleur et son caractère systématique, peut-on qualifier de crime contre l’humanité la politique d’assassinats extrajudiciaires poursuivie par le régime ? A cette question, le secrétaire à la Justice Vitaliano Aguirre répond impavide que cela ne saurait être le cas, puisque les victimes, des criminels, ne sont pas humaines, ne font pas partie de l’humanité !
Le président de la Chambre des représentants, Pantaleon Alvarez, n’a personnellement aucun problème avec les assassinats commis par les « vigilants », il a pour préférence l’ordre de « tirer pour tuer » les criminels. Pour le Soliciteur Général Jose Calida, le premier des avocats du pays, « tout cela n’est pas suffisant ». Duterte lui-même avait donné le ton.En visite dans une caserne, il avait rhétoriquement demandé aux soldats : « Un crime contre l’humanité ? Pour commencer, je voudrais être franc avec vous : sont-ils humains ? Quelle est votre définition d’un être humain ? » [2].
L’intérêt du rapport d’Amnesty International, c’est qu’il met à jour un véritable système de mis à mort. Duterte a promis l’impunité aux agents de police exécutant les basses œuvres. Les incitations à tuer sont venues, de façon répétée, des plus hautes autorités – elles prennent une forme sonnante et trébuchante : « Nous sommes toujours payés à la confrontation [à savoir, le meurtre]… Le montant varie entre 8 000 pesos [environ 150 euros] et 15 000 pesos [280 euros]… Ce montant se comprend par tête. Donc si l’opération vise quatre personnes, cela fait 32 000 pesos… Nous sommes payés en liquide, en secret, par le quartier général… Il n’y a pas de prime pour les arrestations. On ne reçoit rien du tout », a expliqué ce policier à Amnesty [3]. Tuez et vous serez rémunérés, ne tuez pas et vous en serez pour vos frais !
Les entreprises de pompes funèbres s’y mettent aussi. Elles paient des commissions aux policiers qui leur fournissent un cadavre. Les « forces de l’ordre » volent en passant les victimes. Tirana Hassan d’ Amnesty International juge que « pour l’essentiel, la police a systématiquement ciblé des pauvres et des personnes sans défense dans tout le pays. […] Ceci n’est pas une guerre contre la drogue, mais une guerre contre les pauvres. Sur la base de preuves inconsistantes, des gens accusés d’utiliser ou de vendre de la drogue sont tués pour de l’argent dans le cadre d’une économie de meurtre. ».
Bien évidemment, le système en vient à déraper. Fort de leur impunité, des agents des forces de l’ordre s’en sont pris non plus à un pauvre, mais à un homme d’affaires sud-coréen qu’ils ont assassiné au quartier général de la police, avant de faire chanter sa famille. Cette fois, le scandale a forcé la présidence à réagir. Du coup, l’implication de la police dans la « guerre à la drogue » est officiellement suspendue, le temps d’une « réorganisation »… Rodrogo Duterte se tourne maintenant vers l’armée, pour qu’elle s’implique directement dans la « guerre à la drogue ». On n’arrête pas le progrès.
Dans le même temps, un terme a été mis aux négociations de paix engagées avec le Parti communiste des Philippines. Ce dernier a en effet pris l’initiative d’annuler le cessez-le-feu mis en œuvre depuis août 2016 [4]. La réponse de la présidence ne s’est pas fait attendre : « J’ai dit aux soldats de se préparer à une guerre longue. J’ai dit que la [paix] ne viendra pas pendant notre génération » [5]. La situation a un aspect ubuesque, le PC ayant toujours des représentants dans le gouvernement !
Le PC déclare vouloir maintenir l’agenda des négociations, tout en reprenant le combat sur le terrain. Duterte répond que dans ces conditions, il ne voit aucune raison de le faire. La presse philippine reste pour l’heure inhabituellement avare de commentaires.
Pendant ce temps-là, le pays s’enfonce toujours plus avant dans une violence multiforme. Les résistances populaires se poursuivent, mais dans des conditions toujours plus dangereuses.
Pierre Rousset