Près de la moitié des 60 millions de personnes se trouvant en recherche d’asile dans le monde chaque année sont de sexe féminin. En Suisse, elles représentaient près du tiers des demandes déposées en 2015. Ces chiffres démontrent que le cliché du demandeur d’asile homme et célibataire est erroné : une large partie des réfugié·e·s sont des femmes. Ces dernières sont particulièrement vulnérables dans l’exil, cumulant les risques liés à la fuite et ceux issus de la condition féminine dans des sociétés encore profondément patriarcales.
Motifs de départ plus nombreux, voyage plus dangereux
Les raisons pour les femmes de s’exiler sont plus nombreuses et plus diversifiées que leurs équivalentes masculines. Aux causes de départ qui les affectent autant que les hommes – motifs de guerre, persécutions politiques ou religieuses, non accès au sol et à la nourriture, etc. – s’ajoutent des circonstances spécifiquement féminines : mariage forcé, mutilations, violences, exploitation ou exclusion.
Au cours du voyage, les périls qui menacent les femmes sont également plus grands que pour les hommes. Souvent, elles voyagent seules ou avec leurs enfants et dépendent de voyageurs masculins et de passeurs pour se déplacer. Cette dépendance est synonyme de difficultés, voire de risque d’exploitation financière ou sexuelle. La Suisse est directement responsable de ces menaces supplémentaires infligées aux femmes puisque, depuis 2012, elle a supprimé la possibilité de déposer une demande d’asile depuis une ambassade, contraignant de fait à de tels voyages.
Procédures d’asile discriminatoires
La loi sur l’asile en Suisse ne reconnaît pas de motif de persécution spécifique aux femmes et au genre, et il en résulte fréquemment des décisions négatives sur leurs demandes d’asile. En 2015, seules 32 % des demandes féminines ont été acceptées en qualité de réfugiée à part entière (permis B), démontrant que cette notion continue d’être centrée sur la gent masculine. En effet, l’asile est obtenu si le SEM (Secrétariat d’Etat aux migrations) établit que les risques vis-à-vis de la sécurité de la personne proviennent d’une menace directement issue de l’Etat d’origine. Or, ce type de preuve correspond avant tout aux motifs masculins de demande d’asile (la désertion par exemple) et tous les risques liés au domaine privé sont beaucoup plus difficiles à prouver.
Depuis 2008, des directives incites toutefois le SEM à en tenir compte mais, dans la pratique, les menaces spécifiques aux femmes sont encore trop souvent considérées de nature privée et donc non pertinentes pour l’asile, l’autorité remettant en cause la crédibilité des dires des requérantes ou reprochant aux femmes de ne pas s’être adressées aux autorités locales pour obtenir une protection. Pire, le refus est encore souvent ordonné pour « faute de vraisemblance », un manque de preuve et de cohérence selon le SEM, alors même que la conduite de l’instruction n’offre pas un encadrement adapté pour des réfugiées traumatisées par leur cause de fuite et par le voyage qui a suivi.
De plus, la procédure de demande d’asile laisse le SEM seul juge de la décision de mener l’entretien avec une personne du même sexe ou non. Il est pourtant extrêmement difficile d’instaurer un climat de confiance pour les femmes victimes de violences en présence d’hommes et, en l’absence de cette confiance, les femmes se taisent régulièrement sur leurs véritables motifs de fuite, ce qui peut entraîner un rejet de la demande.
Refus d’asile suisse : survivre ou partir
Lors du refus de l’asile en Suisse, les requérantes se trouvent exposées au risque de renvoi, dont l’exécution peut aller jusqu’à des mesures coercitives (ligotées et bâillonnées, parfois sous les yeux des enfants) et de la détention administrative (signifiant enfermement, parfois éloignement des enfants). Ces pratiques, criminalisantes et contestables en soi, représentent un danger considérable pour la santé de femmes généralement vulnérables et traumatisées.
Si le renvoi n’est pas envisageable, des mesures de restriction ont pour but de rendre la vie la plus dure possible aux personnes concernées, afin qu’elles se décident « spontanément » à quitter la Suisse. Par exemple le fait d’avoir une interdiction de travailler tout en ne touchant que l’aide d’urgence, à savoir entre 6 et 12 francs par jour suivant le canton. A peine de quoi acheter le minimum alimentaire, et certainement pas de produits de « luxe » comme les tampons, les serviettes hygiéniques, les contraceptifs ou les bocaux pour bébés. L’ODAE pointe également du doigt les conditions d’hébergement et d’accueil des femmes en Suisse, notamment des mineures non accompagnées, qui souffrent souvent d’un net manque d’intimité, conséquence d’une mixité trop fréquente.
De manière objective et précise, l’ODAE présente un rapport très critique sur le versant féminin de l’asile en Suisse, dont la procédure est calquée sur un modèle masculin et n’offre que peu de prise en compte des situations particulières des femmes, entraînant des conséquences désastreuses. Il reste à espérer que cette précieuse source d’informations ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd !
Aude Martenot