Le mouvement de fond entraînant ces séismes est celui de la remontée de la plaque tectonique africaine vers la plaque eurasienne, entraînant la mise en branle de microplaques régionales, comme la tyrrhénienne ou l’adriatique. Dans quelques millions d’années, le centre de l’Italie aura cessé d’exister, une partie se sera rattachée aux Alpes, une autre aux Balkans et plusieurs autres blocs formeront des îles
L’inéluctabilité des séismes dans ce cadre ne semble toutefois pas beaucoup stimuler l’activité et la capacité d’anticipation des autorités politiques italiennes, entraînant une lassitude et une amertume qu’exprime bien la journaliste Flavia Perina sur le site linkestia : « Le tremblement de terre est d’une certaine manière, une fatalité italienne, et nous le savons depuis toujours […] Or, cette seule et unique urgence avérée est aussi celle devant laquelle nous sommes de tout temps restés désarmés, à tel point qu’il est presque inquiétant d’entendre répéter après chaque secousse les mêmes discours sur le manque de préparation, la négligence, le non-respect des mesures de précaution fixées par la loi et frappées au coin du bon sens, et de lire pour la dixième fois les mêmes statistiques des géologues sur la récurrence du phénomène (un tremblement de terre de niveau 6 tous les quinze ans environ), les mêmes doléances sur l’indigence des fonds alloués à la prévention du risque sismique (qui, entre parenthèses, a fondu de 145 millions d’euros en 2015 à 44 millions aujourd’hui). »
Impéritie de l’Etat
Un chiffre, un seul, permet de voir comment l’Etat italien laisse faire : ces cinquante dernières années, sept séismes de grande ampleur ont frappé la Botte. Interventions en urgence et reconstructions incomplètes ont atteint la somme de 150 milliards d’euros. Un secteur économique en soi, où certains se servent sans vergogne. Et lorsque l’on sait que la carte sismique italienne n’a été publiée qu’en 2003 et que sa mise à jour n’est toujours pas réalisée, qu’en plus les réformes de l’Université (décret-loi Gelmini en 2011) ont affaibli notablement la formation des sismologues et géologues et la recherche dans ces domaines, l’on serait presque porté à conclure que l’inaction de l’Etat en matière de prévention résulte d’une politique consciente.
Forons, forons, il en sortira bien quelque chose...
Mais il n’y a pas que l’appareil d’Etat qui apporte sa contribution à l’amplification des catastrophes naturelles dans la péninsule. L’industrie extractive aussi y met du sien. Un épisode curieux en témoigne. En mai 2012, deux séismes à quelques jours d’intervalle frappent la région de l’Emilie-Romagne, causant 26 morts et détruisant des milliers d’habitations. Devant la colère des habitant·e·s, qui savent que des forages pétroliers (champ de Mirandola) sont proches de l’épicentre, la Région commande un rapport scientifique à une commission internationale, présidée par le Britannique Peter Styles. Celle-ci, prudemment, estime ne pas pouvoir exclure une influence de l’exploitation pétrolière, qui « pourrait avoir contribué à déclencher l’activité sismique en Emilie », puisque les opérations de forage « peuvent, en ajoutant une toute petite charge supplémentaire, avoir contribué à l’activité d’un système de failles déjà stressées et déjà proches des conditions préalables à un séisme de taille importante » (Rapport Ichese).
La publication du rapport tarde cependant. Elle se fait donc d’abord dans la revue scientifique nord-américaine Science, ce qui entraînera sa publication par la Région après quelques tergiversations. Non sans que le journaliste ayant rendu public le rapport Ichese fasse mention de pressions qui n’étaient « pas d’origine politico-institutionnelle » (comprendre : d’origine économique). La Région — qui compte 1 700 puits — suspendra donc l’exploitation pétrolière jusqu’à la publication d’un nouveau rapport commandé par le ministère du Développement économique, niant toute corrélation entre le séisme et l’exploitation pétrolière. L’accord entre le ministère, la Région et l’entreprise pétrolière de juillet 2015 prévoit toutefois de nouveaux critères environnementaux et sismiques pour autoriser de futurs forages. Comme si un doute subsistait sur l’innocuité de l’activité extractive...
Rappelons que le lien entre séisme et forages n’est pas une vue de l’esprit. Le gouvernement des Pays-Bas a dû ralentir en 2013 l’exploitation du gisement de gaz de Schlochteren (province de Groningue) à cause des tremblements de terre qu’elle provoquait. Une étude de l’Institut américain de géophysique publiée il y a quelques jours établit que l’extraction pétrolière profonde (plus de 1 000 mètres) pourrait avoir contribué à quatre des cinq séismes majeurs que connut la Californie au siècle passé.
Quant à l’augmentation très marquée des séismes dans les Etats américains où sévit la fracturation hydraulique (Oklahoma, Texas, Dakota du Nord, etc.) — et qui semble surtout provenir de la pratique consistant à réinjecter les boues de forage dans d’anciens puits — elle est malheureusement d’actualité.
Daniel Süri