Pour résoudre l’échec scolaire, le ministre de l’Éducation, Gilles de Robien, estime qu’il a trouvé la solution miracle : il faut revenir à la méthode syllabique, qui est, selon lui, la seule à avoir réellement fait ses preuves. Ne lui en déplaise, la méthode syllabique a été abandonnée dans les années 1950, pas seulement pour faire beau, mais aussi - et surtout - parce qu’elle ne fonctionnait pas. Les méthodes utilisées ensuite ont permis de faire baisser le taux d’illettrisme en France : les tests effectués lors du service militaire, puis ceux de la journée d’appel à la préparation à la défense (JAPD) permettent aujourd’hui d’afficher le taux le plus bas depuis 25 ans (4,6 % des jeunes présentent des difficultés graves : c’est encore trop, mais on est loin des 20 % prétendus par de Robien).
La faute à la méthode globale ? L’argument est un peu simpliste, car la méthode globale « pure » n’a pas longtemps été utilisée, les méthodes actuelles utilisant conjointement une approche globale et une approche phonologique (syllabique). Utilisée seule, la méthode syllabique apprend aux enfants à ânonner des sons mis bout à bout, mais elle ne les aide pas à comprendre ce qu’ils lisent, car elle ne fait pas appel au sens : seul le sens permet de lire correctement « Les poules du couvent couvent ».
Méthode dépassée
Le débat « globale / syllabique » est donc un débat dépassé, qui oppose, pour des raisons plus profondes, les partisans d’un retour aux bonnes vieilles méthodes et les militants d’une pédagogie progressiste. Les premiers surfent sur une vague réactionnaire du « c’était mieux avant », « les élèves ne savent plus rien », « le niveau du bac est inférieur au niveau du certificat d’études »... De Robien essaie de le prouver en s’appuyant, de manière tronquée et détournée, sur des travaux de recherche en neuro-sciences. Il joue aussi sur l’angoisse des parents quant à l’avenir scolaire et social de leurs enfants. Comment les enfants peuvent-ils apprendre sereinement si leurs parents doutent de l’enseignant ?
La méthode syllabique est une technique de déchiffrement des sons qui s’apparente à la pédagogie de restitution d’autrefois. Si les enfants parvenaient à comprendre ce qu’ils lisaient, c’était heureux, sinon... tant pis ! Bien évidemment, les enfants qui évoluaient dans un milieu où il y avait des livres, où le fait de lire est porteur de sens, réussissaient mieux que ceux pour qui la lecture était essentiellement une activité scolaire, une culture qu’ils ne pouvaient pas s’approprier. La méthode mixte utilisée aujourd’hui ne fait pas l’impasse sur l’aspect technique, et elle donne du sens à la lecture : dès la maternelle, l’enfant est familiarisé à une culture de l’écrit qui permet de lire une recette de cuisine ou un article de la presse locale parlant de l’école, de correspondre par mail avec les élèves d’une autre école... Les élèves vont chercher du sens dans les textes, parce qu’ils peuvent leur en attribuer un : « Je lis une recette de cuisine pour faire des crêpes. » Avec la lecture, on apprend aussi : l’intérêt des enfants pour les dinosaures, le foot, les histoires... les mènera vers la littérature de jeunesse, les revues scientifiques adaptées au juniors... Cela semble plus intéressant que « la pipe de papa », « le lolo de lulu » de la traditionnelle méthode syllabique. Les méthodes actuelles visent l’activité constructive de l’élève, dans et par la lecture. Une telle pédagogie vise l’émancipation de l’individu.
On voit donc que le retour à la méthode syllabique ramènerait les enfants à une technique de lecture qui tient de la restitution, de l’exécution, ce qui constitue non seulement une réduction de l’ambition scolaire, mais aussi une condamnation sociale : les familles les plus favorisées ne demandent pas plus à l’école qu’un apprentissage technique dans la mesure où elles accèdent à la culture ! Les familles défavorisées, quant à elles, n’auront que ce qu’on leur donne, c’est-à-dire moins qu’avant, avec encore moins d’espoir d’émancipation.
Les méthodes d’apprentissage de la grammaire et des maths sont dans le collimateur de la réduction des ambitions scolaires. Le ministre, après avoir imposé le « socle commun de connaissances », veut revenir aux méthodes qu’ont connues nos grands-parents : va-t-on en revenir au manuel unique ancestral rassemblant la morale, la Marseillaise, les départements français et l’histoire résumée à « nous récupérerons l’Alsace et la Lorraine » ? Plus besoin de professeurs, des répétiteurs - précaires ? - suffisent !
Chasse aux sorcières
La mise en place du socle commun et le retour aux méthodes traditionnelles ont pour but d’officialiser un système scolaire à deux vitesses que l’institution a renoncé à résorber. Et ce sont les élèves en difficulté et leur famille qui sont culpabilisés ! Pour résoudre leurs difficultés, l’institution leur « offre » la méthode magique syllabique et un socle commun (« projet personnel de réussite éducative » signé par les parents) ; si les enfants restent en échec avec tout cela, tant pis pour eux, ils iront en apprentissage dès 14 ans (exclusion plus rapide du système scolaire). L’institution se dédouane de toute responsabilité !
Les réformes de Robien ont suscité beaucoup de réactions : la pétition « Sauvons la lecture » a rassemblé de nombreuses signatures, dont celles de chercheurs en sciences de l’éducation, ou encore la tribune de dix enseignants « D’autres méthodes que le B.A.BA », publiée dans Le Monde du 10 mars 2006, qui met au défi le ministre de venir constater lui-même les résultats de leur méthode de lecture en fin d’année scolaire... En octobre, de Robien a signé l’éviction de Roland Goigoux de son poste de formateur des inspecteurs de l’Éducation nationale, et il a procédé à une sanction administrative à l’encontre de l’inspecteur de l’Éducation nationale de Douai, parce que tous deux n’adhèrent pas à la pensée que De Robien veut unique. Qui sont les prochains sur la liste ? Les réactions de la communauté éducative ont fait légèrement reculer le ministre quant à l’ampleur des peines prononcées, mais l’affaire est loin d’être finie.
La méthode de Robien se double de pratiques fascisantes de la part de SOS-Éducation, qui a lancé une campagne de presse appelant les familles à « signaler » les écoles où est enseignée la méthode semi-globale. Nous ne laisserons pas de Robien et ce gouvernement saboter l’école. Résistons encore ! Résistons plus fort !