A chaque grand feu de forêt, la question se pose du lien avec le changement climatique. Sans que jamais aucun chiffre puisse être donné. Dans une étude publiée, lundi 10 octobre, par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS), des chercheurs américains estiment, pour la première fois, la part prise par le réchauffement climatique dans l’augmentation récente de fréquence et d’intensité des incendies de forêt dans le Grand Ouest américain, dont témoignent les grandes évacuations qui ont eu lieu en juin et juillet en Californie – près de 90 000 personnes ont dû abandonner temporairement leur logement.
Les conclusions des chercheurs sont éloquentes : au cours des trente dernières années, le réchauffement aurait été le principal contributeur à l’augmentation des superficies forestières parties en fumée dans l’ouest des Etats-Unis. La hausse des températures serait responsable « d’un doublement de la superficie totale de forêt brûlée depuis 1984 », écrivent les auteurs, soit l’équivalent de 40 000 km2 cumulés depuis cette date. Soit, peu ou prou, la superficie de l’Aquitaine... Et ce, notent les auteurs, en dépit des sommes considérables investies par le gouvernement dans la lutte contre les incendies : plus de 2 milliards de dollars en 2015.
Les causes de la contribution du réchauffement au risque d’incendies sont bien connues. Les auteurs mettent en avant la prévalence accrue de la sécheresse et l’allongement de la saison à risque – celle-ci est passée de 19 jours au début de la période étudiée à 28 jours en moyenne. Les variations de ces paramètres au cours de la période étudiée « permettent d’expliquer la grande majorité de la tendance observée », explique Park Williams, chercheur au Lamont-Doherty Earth Observatory (université Columbia à New York) et coauteur de ces travaux.
Le changement climatique sous-évalué
En réalité, les auteurs ont probablement, de leur propre aveu, sous-estimé la contribution du changement climatique aux feux de forêt. En particulier, leur étude n’a pas tenu compte des insectes xylophages qui, grâce à l’augmentation des températures, peuvent s’installer à des latitudes plus hautes. L’augmentation de la mortalité des arbres due à ces ravageurs conduit à une accumulation de bois sec, présumée favorable aux départs de feu. « Il y a beaucoup de travaux conduits en ce moment sur cet aspect, tempère toutefois M. Williams. Et on constate dans certains cas que les forêts où ces insectes ravageurs ont tué beaucoup d’arbres ne sont pas nécessairement plus sensibles au risque d’incendie. »
Dans le sud de la France, le changement climatique devrait également conduire à un risque accru d’incendies. Au tournant du siècle, les seules régions françaises classées à haut risque d’incendies estivaux étaient celles de l’arc méditerranéen. Mais, selon des simulations numériques conduites par Météo France, croisées avec les données de l’Office national des forêts (ONF), toute l’Aquitaine sera également classée au même niveau de risque avant le milieu du siècle, en raison de l’augmentation des températures.
Pourtant, et de manière contre-intruitive, en dépit de ce risque théorique accru, la forêt méditerranéenne française ne brûle pas plus aujourd’hui qu’à la fin des années 1980. Au contraire : abstraction faite de l’été caniculaire de l’année 2003, qui détient le record avec 70 000 hectares partis en fumée, la tendance est largement à la baisse. D’environ 35 000 hectares en moyenne annuelle dans les années 1980, les pertes dépassent rarement 10 000 hectares par an depuis 2004. Et ce, malgré le réchauffement.
Vérité aux Etats-Unis, erreur en Europe ? « De nombreux facteurs interviennent et le réchauffement climatique n’est que l’un d’eux, explique Park Williams. La grande différence entre la plupart des forêts européennes et la forêt de l’ouest des Etats-Unis est que les premières sont au contact des hommes depuis des milliers d’années et sont donc fragmentées, tandis que la seconde représente des superficies immenses encore sauvages. » A mesure que dans les prochaines décennies la forêt américaine brûlera et, elle aussi, se fragmentera, « on devrait voir les surfaces incendiées cesser d’augmenter et plafonner », prévoit M. Williams. Maigre consolation.
Stéphane Foucart
Journaliste au Monde