Abd El Salam Ahmed Eldanf, travailleur égyptien [53 ans, père de 5 enfants] et militant de l’Unione sindacale di base (USB) [1], a été tué tandis qu’il faisait grève. Comme, en 1960, Lauro Farioli, Ovidio Franchi, Emilio Reverberi, Marino Serri et Afro Tondelli. Le camion qui l’a fauché, pour enfoncer le piquet de grève qui se tenait devant la GLS (General Logistics Systems [2]) de Plaisance, a remis à l’ordre du jour la triste comptabilité des travailleurs et travailleuses tués au cours d’une grève ou d’une manifestation syndicale. Un drame qui, en quelques instants, nous a fait remonter le temps et nous a fait comprendre combien nous sommes tous inadéquats. Car si dans ce pays on peut mourir pour cause de grève, cela signifie que le mouvement syndical dans son entier est inadéquat.
Cela ne nous a pourtant pas paralysés. Au contraire, le drame en question a induit une réaction de classe, à la fois inattendue et imprévisible. C’est encore insuffisant, il n’y a pas de doute, cela ne suffit pas à nous consoler et encore moins à nous réconforter, mais c’est tout de même un signal positif. La réaction immédiate et spontanée qui a pris forme dans nombre d’usines, à l’annonce de l’assassinat d’Abd El Salam, ne s’est pas limitée à l’indignation ou à la seule expression de la solidarité.
De nombreuses grèves ont été déclenchées spontanément. A la SAME de Treviglio le jour même, à la GKN le lendemain, puis à la Piaggio, à l’Oerlikon de Turin, à la Ferrari comme dans de nombreuses autres fabriques de Modène, telles que l’Electrolux, quelques établissements du groupe FAC, et ainsi de suite dans de si nombreuses entreprises que l’on ne peut toutes les mentionner. Aux grèves spontanées a succédé la grève sectorielle de la logistique, appelée par l’USB, avec blocus et piquets de grève devant un grand nombre d’établissements de la GLS. A cela ont succédé les piquets de grève de la confédération lombarde du syndicat FILT-CGIL [3], suite à la mort d’un jeune travailleur de l’ILVA [4] de Tarente [en Italie du Sud, dans les Pouilles], ainsi que les piquets de grève du syndicat unitaire des métallos. Des sections entières de la CGIL, en commençant par celles nationale et de l’Emilie-Romagne, ont dénoncé les faits et exprimé leur solidarité. Au-delà des sigles d’organisation, la protestation a été cette fois-ci unanime, à la regrettable exception du secrétaire national de la FILT. Il aurait mieux fait de nous épargner l’appel à la rescousse du ministère de l’Intérieur, dans la mesure où, selon lui, « les adjudications du secteur logistique sont victimes d’actions non réglementées et violentes, comme le blocus illégitime et sauvage des activités régulières ». Paroles inacceptables, qui devraient amener à sa démission ; mais, par bonheur, ce sont des déclarations isolées.
La manifestation qui a eu lieu a Plaisance, appelée par l’USB et organisée en un temps record, a constitué un signal positif, dans les limites de ce qu’est aujourd’hui globalement un mouvement de lutte. C’est encore peu de chose par rapport à ce que cela devrait être, surtout si l’on considère le potentiel que pourrait représenter la CGIL si elle s’impliquait réellement. De même la grève unitaire de la FIOM, de la FIM et de l’UILM [5] a été largement insuffisante. Mais en même temps elle était inattendue, constituant un événement politique d’autant plus important que – j’en suis convaincue – elle a résulté d’une mobilisation spontanée des usines, provoquée et organisée par de nombreux camarades de la CGIL, qui ont forcé ainsi la réaction des appareils syndicaux de la Confédération. Une vraie réponse de classe, qui a été à même d’outrepasser les clivages entre organisations syndicales, nationalités et religions. Cela ne m’a pas surprise, bien que cela n’allât pas de soi que des ouvriers de Bergame [6] se mettent en grève pour un travailleur égyptien qu’ils reconnaissent ainsi comme l’un des leurs. C’est une belle riposte à la propagande raciste de la Lega Nord [7], devenue sur ces terres bien plus qu’un cliché.
Tout cela ne doit pas effacer notre inadéquation. Mais essayons aussi de redémarrer à partir de là : la réaction de classe, venue d’en bas. Une réaction qui n’a pas eu besoin de beaucoup mots d’ordre, car un seul suffisait. La grève !
Eliana Como