Constitué en février 2014 et dirigé par Matteo Renzi, le gouvernement italien actuel se situe, avec ses initiatives en rafales, dans la continuité d’une longue histoire entamée il y a plus de deux décennies. Divers gouvernements se sont succédé durant cette période marquée par la personnalité de Silvio Berlusconi. En fait, tous ceux qui ont gouverné ont visé à démanteler de grandes parties de l’Etat-providence, ont « révolutionné » le marché du travail au profit des employeurs, ont soutenu les intérêts des groupes économiques et financiers, ont introduit des changements profonds dans les institutions. En ce sens, le gouvernement de Matteo Renzi, qui détient également le poste de secrétaire du Parti démocrate (PD), se présente comme le stade suprême du berlusconisme.
Parti démocrate et gouvernement
Le Parti démocrate, formé en 2007, est issu de la dérive de l’ancien parti communiste italien et du rapprochement de celui-ci avec divers courants de centre-gauche. Il a finalement réalisé le rêve de tant de militants et d’électeurs : gouverner. Il l’a fait si bien que le pouvoir législatif en Italie se situe de moins en moins au parlement. C’est le parti au pouvoir qui souvent fait les lois. Si l’on prend par exemple la loi sur les unions civiles, croyez-vous que les sénateurs ont discuté de ses mérites et des articles qui le composent ? Ils auraient dû le faire, conformément à la Constitution et au bon sens. Mais non, en fait, le sénat a discuté de procédures de vote car l’objectif était d’éviter que soient mises aux voix des propositions d’amendement. Et quand le PD a compris que les sénateurs voulaient quand même procéder au vote des amendements, il a réuni les dirigeants du parti dans cette assemblée et, sous la direction du secrétaire général et premier ministre, a appelé à un vote de confiance pour le gouvernement. Il en a été de même à beaucoup d’autres moments de vote sur la réforme de la Constitution.
Le Parti démocrate est devenu tellement de gouvernement qu’il fait des lois ou approuve des décrets qui délèguent des pouvoirs à l’exécutif. Ce fut le cas de notre engagement militaire en Libye. L’objectif déclaré est la guerre contre le terrorisme, mais la véritable cible est, non pas l’Organisation de l’Etat islamique, mais le contrôle et l’exploitation des ressources pétrolières de ce pays. Renzi a décidé de participer à l’opération militaire avec les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne. Pour faciliter la mise en œuvre de cette décision sans passer par le parlement, a été voté un décret organisant le transfert d’unités militaires sous l’autorité de l’Agence d’information militaire et de sécurité à l’étranger, gérée comme un service secret. Cela signifie que des éléments des forces armées passent sous la dépendance directe du gouvernement et peuvent être utilisées par décision du premier ministre.
Les grands travaux de Renzi
En 2013, la banque américaine JP Morgan Chase & Co., inculpée par les autorités américaines pour ses responsabilités dans la crise des subprimes, a publié un rapport sur la zone euro, dans lequel les Etats du Sud de l’Europe sont invités à introduire des réformes structurelles allant dans le sens de l’austérité mais aussi des réformes profondes de leurs systèmes constitutionnels. Le rapport visait les constitutions adoptées après la chute des fascismes et considérées comme influencées par les idées socialistes, avec des droits « excessifs » pour les salariés et un pouvoir gouvernemental trop dépendant du parlement.
Le gouvernement Renzi a engagé une série de réformes en complète conformité avec ce rapport. En mars 2014 a été adoptée par les députés une loi électorale (Italicum) qui attribue la majorité des députés à la Chambre (54 %) à la liste qui obtient 40 % des voix (si au premier tour aucune liste n’atteint ce niveau, un ballotage oppose les deux listes arrivées en tête). Ensuite a été présentée la loi sur le travail (Jobs Act), destinée à affaiblir, quasiment à effacer les règlementations relatives au travail. En même temps a été produite une mauvaise loi qui bouleverse le système scolaire. Plus récemment ont été présentées des modifications importantes au système constitutionnel datant de 1948 mais, comme ces dernières réformes n’ont pas obtenu la majorité des deux tiers du parlement en deuxième lecture, elles doivent être soumises à un référendum qui aura lieu cet automne.
La contre-réforme du marché du travail était censée créer des centaines de milliers de nouveaux emplois. Le premier ministre avait claironné hardiment des chiffres impressionnants : plus d’un million de nouveaux contrats de travail. Le chiffre s’est finalement stabilisé à 764 000 nouveaux contrats. Dommage que les magiciens des chiffres omettent de dire que 578 000 d’entre eux correspondent à la transformation de vieux contrats de travail en nouveaux « Jobs Act » et qu’une grande partie des emplois nouveaux ne sont que des contrats temporaires de quelques semaines ou quelques mois.
Renzi trébuche. Vers la chute ?
En tant que secrétaire du Parti démocrate, Renzi s’est engagé à fond dans la campagne des élections locales de juin dernier. Les résultats ont été très décevants : le PD a perdu les villes de Rome, Turin, Trieste et conservé de justesse Milan, tandis que Naples restait à un adversaire de Renzi. En fait, les démocrates n’ont gagné que dans les quartiers habités par les plus riches, les classes supérieures et moyennes. Ils ont reculé dans les banlieues, où vivent les classes laborieuses et les éléments des couches moyennes déclassés par la crise : dans ces quartiers on vote « contre », peu importe pour qui, ou bien on ne vote plus. Les décennies d’imbrication de rapports amicaux, familiaux et d’intérêts communs entre les dirigeants du PD et le secteur financier et des affaires ont convaincu les exclus qu’ils ne le sont pas par incapacité mais du fait des abus de ceux qui sont au pouvoir, et ils utilisent leur bulletin de vote comme instrument de rétorsion.
Ces élections ont certainement eu un résultat insatisfaisant pour le Parti démocrate et les classes dirigeantes, mais cela ne signifie pas que le renzisme soit aujourd’hui en crise, cela montre seulement qu’il n’est pas en bonne santé. L’une des raisons de cette mauvaise santé se trouve dans le Parti démocrate. Son caractère ne permet pas à Renzi, qui ne supporte pas la critique ni les conseils, et n’accepte que la diffusion et répétition de son discours par des porte-parole zélés, d’être un secrétaire de parti efficace. Renzi ne peut cependant quitter la direction du parti sans risquer de mettre en danger son poste de premier ministre. C’est le contrôle du parti qui lui a permis de devenir chef du gouvernement et pour le conserver, il choisit des collaborateurs dociles et soumis, sans grande autorité, avec l’inconvénient de ne pas disposer d’une base personnelle en province. Le parti est déchiré par des luttes intestines et les dirigeants centraux ne réussissent pas toujours à contenir l’arrogance des « satrapes » locaux. Il n’est pas facile de collaborer sur un pied d’égalité avec Renzi, vous ne pouvez que le seconder. Celui-ci ne dispose pas d’un groupe dirigeant consolidé au sein du parti, il est juste entouré de fidèles.
Après les élections locales a commencé une réaction en chaîne, renforcée également par la surprise du Brexit. Tout d’abord, les mauvais résultats ont battu en brèche le mythe qu’avec Renzi, le PD gagne. Le parti a reculé et le résultat du référendum constitutionnel à venir est incertain. Quant à la nouvelle loi électorale, le système à deux tours pourrait faire gagner le Mouvement 5 étoiles (M5S). Tout cela inquiète les différentes composantes de la majorité du PD. Dans les villes où le Parti démocrate a perdu, les dirigeants locaux s’agitent ou sont en colère. Un double risque se profile : d’abord, perdre le référendum constitutionnel que Renzi avait imaginé comme un couronnement plébiscitaire ; ensuite, perdre les élections générales.
Les problèmes s’accumulent. Il y a les tensions récentes avec des juges et les difficultés importantes que rencontrent les banques italiennes. La loi sur les unions civiles a aliéné au gouvernement le monde ecclésiastique. Les syndicats se sentent humiliés parce qu’ils sont réduits au silence de manière féroce. Aussi une partie de l’élite du pouvoir accuse Renzi de s’agiter inutilement et l’attend au tournant sur les négociations avec l’Union européenne sur les contraintes budgétaires. Comme l’économie italienne est en panne, Renzi veut obtenir un assouplissement des objectifs fixés pour stimuler l’investissement et la consommation. Si Bruxelles refuse, Renzi sera contraint à une nouvelle austérité stricte.La communauté Google Traduction a vérifié cette traduction. Vous aussi, aidez-nous à améliorer la qualité de nos services.
Au-delà du référendum, reconstruire une alternative
Par contre, Renzi n’a à s’inquiéter aujourd’hui ni de la soi-disant minorité de gauche du PD, confuse et faible, ni, contrairement à la France, de la présence d’un mouvement d’opposition sociale de vastes dimensions. Les dernières élections locales ont également été le terrain d’essai des listes nées à la gauche du Parti démocrate. Leurs résultats ont été partout modestes et la structuration de ce champ politique reste incertaine et confuse.
La reconstruction d’une alternative anti-néolibérale et anticapitaliste, capable d’interagir avec les couches populaires appauvries par la crise et les politiques gouvernementales, ne connaît pas de raccourcis possibles et devra commencer à partir d’une construction patiente du conflit social. C’est la la seule façon de créer les conditions favorables à une accumulation des forces, afin d’obtenir des victoires même petites, mais significatives, qui seraient autant de points d’appui pour avancer vers un dévoilement des noeuds de la modernité capitaliste. Il faut un projet politique et un engagement à long terme, une construction qui sera d’abord lente et ne se laissera pas dévier par l’affolement caractéristique de chaque élection.
C’est ainsi que le référendum de l’automne doit être abordé : il sera crucial d’unir la lutte démocratique pour la défense des droits constitutionnels fondamentaux, et le refus des politiques d’austérité et de la loi de finances. Notre premier ministre lui-même, qui a récupéré de son choc électoral, se bat sur deux axes : adoption de la loi de finances avant le référendum constitutionnel et puis, peu après, ce référendum et la victoire du oui... La campagne de Renzi s’appuie comme d’habitude sur des spots publicitaires, des phrases creuses et des promesses vagues, combinées avec des menaces de catastrophes si les choses ne se passaient pas comme il le souhaite, lui et ceux qui le soutiennent (parmi lesquels la Confindustria, l’organisation patronale).
Les bourgeoisies italienne et internationales sont très préoccupées d’un éventuel échec de Renzi au référendum. Il en résulterait l’ouverture d’une grave crise politique, car il n’existe pas d’alternative de gouvernement, modérée et crédible, à Renzi ; mais peut-être aussi d’une crise institutionnelle, du fait de l’incertitude sur le système électoral à utiliser dans d’éventuelles élections parlementaires anticipées, la Cour constitutionnelle devant encore statuer sur la nouvelle loi électorale. Les grandes forces économiques sont également préoccupées par les difficultés économiques de l’Italie et leurs répercussions possibles sur les équilibres précaires de l’Union européenne après le Brexit. Ces répercussions seraient d’autant plus fortes si une crise économique et une crise politique se combinaient. Et si Renzi gagnait le référendum mais dans un contexte de crise économique et financière, il pourrait ne pas réussir à empêcher un succès du M5S aux élections de 2018.
Dans tous les cas de figure, il est primordial que le mouvement ouvrier reprenne l’initiative et soit capable de redevenir un protagoniste sur la scène sociale et politique.
Diego Giachetti