Dans leur combat contre le projet de centrale nucléaire à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, les syndicats d’EDF viennent de perdre une première manche judiciaire. Saisi en référé, le tribunal de grande instance (TGI) de Paris a rejeté, vendredi 5 août, le recours qu’avait déposé le comité central d’entreprise (CCE) d’EDF afin de bloquer ce chantier énorme et controversé. Ce qui ne signifie pas que la centrale verra effectivement le jour, tant il reste d’obstacles à franchir. Prochaine étape : le feu vert – ou non – de Theresa May, la nouvelle première ministre britannique.
Hostile à ce qu’EDF construise dans l’immédiat deux réacteurs EPR en Grande-Bretagne, un investissement à hauts risques chiffré à 18 milliards de livres sterling (21,2 milliards d’euros), le comité d’entreprise tente depuis plusieurs mois de freiner le mouvement.
La consultation des représentants du personnel a donné lieu à plusieurs passes d’armes. La direction a d’abord pensé se dispenser de cette formalité. Puis elle a refusé de fournir aux syndicats une partie des nombreux documents (expertises, contrats, etc.) qu’ils souhaitaient consulter. En conséquence, le CCE a estimé ne pas être en mesure de rendre un avis. La direction a néanmoins considéré que la consultation avait été menée dans les formes, et qu’elle pouvait soumettre le dossier Hinkley Point au conseil d’administration.
Manque d’information
C’est pour empêcher une décision irréversible du conseil que le CCE s’est tourné vers le juge des référés en juillet. Sans succès. « Aucun dommage imminent » nécessitant une intervention en urgence du juge n’est en effet « précisément évoqué ni justifié », écrit la vice-présidente du TGI dans son ordonnance. Selon elle, rien de déterminant ne devrait se produire d’ici à la fin septembre, date à laquelle la justice aura à se prononcer sur un autre recours du CCE.
Le jeudi 28 juillet, le conseil d’EDF a certes autorisé le PDG Jean-Bernard Lévy à signer les contrats définitifs avec les divers partenaires de ce projet. Mais, le conseil à peine achevé, l’équipe de Mme May a annoncé qu’elle entendait à présent « analyser soigneusement tous les aspects de ce projet » et ne prendre sa décision qu’« au début de l’automne ». La cérémonie officielle prévue à Hinkley Point le vendredi en présence des représentants d’EDF, de l’Etat britannique et de la Chine, partenaire à 33 % de la future centrale, a alors été annulée. Aujourd’hui, tout est suspendu.
Le PDG savait-il que Londres n’était plus certain de lancer le projet ? A-t-il manipulé son conseil en lui cachant les doutes de l’exécutif britannique ? Certains se le demandent. « Le conseil était très partagé, souligne un administrateur. S’il avait eu connaissance de cet élément, une majorité se serait peut-être prononcée pour un report de la décision. » De son côté, l’association des actionnaires salariés d’EDF réfléchit à une éventuelle action en justice pour faire annuler la décision du conseil, en raison de ce possible manque d’information.
« Le soutien public n’a pas varié »
M. Lévy, lui, rejette la polémique naissante. Le mercredi soir, veille du conseil, il avait certes été averti par l’Etat français que Mme May « demandait un peu plus de temps, sans remettre en cause l’intérêt du projet », indique-t-il dans un courriel adressé le 2 août aux principaux dirigeants d’EDF. Il savait que la cérémonie prévue le vendredi ne pourrait avoir lieu. « Mais on pensait que c’était une simple question de jours, et il n’y avait donc aucune raison d’en parler au conseil », raconte un membre de son entourage. Ce n’est qu’en lisant le communiqué britannique officiel, le jeudi soir, que M. Lévy a découvert la volonté du gouvernement May de procéder à un nouvel examen du projet, affirme le PDG. M. Lévy va d’ailleurs engager une action en justice contre le syndicat Sud Energie qui l’a accusé d’avoir menti sur ce point, a-t-il annoncé vendredi soir.
A présent, les dirigeants d’EDF espèrent qu’après analyse la locataire de Downing Street validera le projet Hinkley Point, malgré son coût pour les finances publiques et la porte qu’il ouvre aux industriels chinois. « Depuis dix ans qu’on travaille sur la question, dix-sept ministres et secrétaires d’Etat se sont succédé, travaillistes comme conservateurs, et le soutien public n’a pas varié », note une cheville ouvrière du dossier, pour se rassurer.
Denis Cosnard
Journaliste au Monde