Chaque fois que l’intégrisme arrive au pouvoir, les premières victimes sont les femmes. Après le retrait des troupes russes d’Afghanistan, les groupes qui se sont installés dans Kaboul en 1992 y ont perpétré des crimes et des atrocités envers le peuple afghan, notamment les femmes : viols, meurtres, destruction d’écoles, d’hôpitaux et de monuments, pillages... Par la suite, des réseaux intégristes internationaux ont voulu s’imposer, ce qui a provoqué des luttes de pouvoir au sein de la mouvance intégriste : de 1992 à 1996, 50000 personnes l’ont payé de leur vie. L’un de ces groupes, les taliban, a finalement eu le dessus et s’est emparé du gouvernement. N’oublions pas cependant que le peuple afghan les a accueillis à bras ouverts parce qu’ils lui promettaient la paix. La population était tellement fatiguée de la guerre qu’elle était soulagée du retour à une certaine sécurité dans le pays.
Par la suite, ils se sont rendu compte de ce que cela voulait dire. Les femmes n’avaient pas accès aux écoles, ne pouvaient pas travailler, devaient se couvrir entièrement avec la « burqa ». Il y avait des exécutions dans les stades, des punitions au cours desquelles les gens étaient frappés, fouettés. Les femmes qui ne portaient pas la « burqa » se faisaient presque lyncher en ville, et les hommes qui ne portaient pas la barbe subissaient le même sort. Les hommes et les femmes étaient dépossédés de leurs droits les plus fondamentaux. Nous nous sommes battues non seulement pour l’égalité entre hommes et femmes, mais surtout pour que les femmes soient reconnues par ce régime intégriste.
Après le 11 septembre, la plupart des pays occidentaux se sont rendu compte du danger que représentaient ces groupes intégristes : ils ont bombardé notre pays au nom des droits de l’Homme et de la condition des femmes. Malheureusement, ils appuyaient le groupe de l’Alliance du Nord qui ne se distingue en rien des taliban, notamment en ce qui concerne les femmes. Il ne faut pas oublier que c’est l’Alliance du Nord qui a accueilli Oussama Ben Laden en Afghanistan. Si ce dernier est responsable de la mort de près de 4000 personnes dans le World Trade Center, l’Alliance du Nord est responsable de la mort de 50000 personnes à Kaboul en seulement quatre ans. N’oublions pas non plus que les Etats-Unis sont les géniteurs d’Oussama Ben Laden, des taliban et de l’Alliance du Nord. De plus, ils ont démoli notre pays. L’Afghanistan est victime de cette lutte entre le « père » et ses enfants.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons dans la même situation qu’avant l’arrivée au pouvoir des taliban : il y a de nouveau des luttes entre différentes factions et entre différents groupes ethniques. Il est vrai que l’on parle à présent beaucoup de l’Afghanistan, mais les gens croient que la paix et la liberté ont été rétablies. L’intégrisme existe pourtant encore. Les femmes peuvent enlever la « burqa » mais elles ne le font pas par peur d’être séquestrées, enlevées de leurs maisons. Elles ne retournent pas à leur travail, ni à l’école. Elles n’ont pas la sécurité nécessaire pour cela, elles savent qu’elles risquent beaucoup.
Le plus important n’est pas tant que les femmes portent encore la « burqa », mais c’est qu’elles n’ont pas le droit de vivre : la situation économique, sociale et politique est catastrophique. Leur vie quotidienne n’a pas changé avec l’avènement du nouveau gouvernement. Elles ont vécu des expériences horribles et elles ont peur de sortir de chez elles. Il y a vingt ans, il y avait beaucoup d’écoles, beaucoup de femmes diplômées, institutrices ou professeures, de femmes médecins. Au cours des dix dernières années, elles ont perdu ces opportunités et on ne les voit plus occuper de postes dans ces secteurs. Certaines sont fonctionnaires ou travaillent dans les ONG, mais c’est une infime minorité.
Si on compare l’Afghanistan d’aujourd’hui à celui d’il y a vingt ans, la situation des femmes s’est dramatiquement dégradée. Depuis 1992, c’est comme si nous étions revenus un siècle en arrière. La télévision, le sport, les écoles, l’éducation, les bibliothèques, tout cela a été interdit aux femmes. Même du point de vue de la vie quotidienne, de la vie pratique, nous vivons dans une situation semblable à celle d’il y a un siècle. Rien ne fonctionne : il n’existe même pas de véritable système électrique, de téléphone ou de postes. C’est vrai que l’Afghanistan est un pays très peu développé, qui vit avec une mentalité très arriérée. Si vous demandez à un homme afghan qui n’a pas d’éducation, qui n’a pas étudié, il ne pourra pas prononcer le mot « démocratie » en toute sécurité, il en aura peur. Mais ce que les Afghans veulent pour leur vie relève de la démocratie : ils veulent l’éducation, la paix, la liberté et un meilleur avenir pour leurs enfants. Du fait de l’image très négative de notre pays, certains pensent que notre peuple est heureux dans cette situation, mais c’est faux. Ce sera une lutte difficile mais nous pourrons changer les choses.
Le nouveau gouvernement intérimaire reçoit des aides financières et économiques de plusieurs pays mais cela ne va pas améliorer la situation, au contraire. Ces pays vont devenir les vrais gouvernants de l’Afghanistan. Il ne faut pas donner de fonds à ces groupes intégristes. Si on veut libérer le peuple, il ne faut pas aider ses ennemis. Nous sommes très inquiètes car nous nous demandons comment le gouvernement va se servir de cet argent. Le risque est qu’il aille dans les poches des leaders du mouvement intégriste. C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’aucun changement économique n’aura lieu dans notre pays sans qu’il y ait un changement politique. Nous savons que nous ne pouvons pas faire confiance à l’Alliance du Nord. Il faut que ses membres nous donnent la preuve qu’ils ont vraiment changé et cela ne se fera que s’ils amènent leurs criminels devant un tribunal, devant la justice, car ce sont des assassins d’hommes et de femmes.