Franc-tireur du parti conservateur, David Davis, 67 ans, député depuis 1987, est l’un des plus vieux europhobes des tories. Ministre chargé de l’Europe dans le gouvernement de John Major entre 1994 et 1997, on le surnommait « Monsieur Non », et il adorait ça.
Pendant la campagne du référendum, cette année, cet électron libre avait choisi de faire campagne non pas dans « Vote Leave », l’entité officielle prônant une sortie de l’UE, dirigée par le conservateur Boris Johnson, mais dans le collectif « Grassroots Out », au côté du leader d’extrême droite Nigel Farage.
Réorienter la politique économique grâce au Brexit
Ultralibéral en économie et en même temps défenseur farouche des libertés publiques, le nouveau « ministre chargé de la sortie de l’UE » serait qualifié de « libertarien » aux Etats-Unis.
Un long article, publié le 11 juillet sur le site ConservativeHome, détaille sa stratégie de rupture avec l’UE et présente le Brexit comme une excellente opportunité pour « construire [notre] place dans le monde », une expression reprise depuis lors par Mme May. Il promet « des effets bénéfiques » sur l’économie britannique, « avant même le départ formel de l’UE », qu’il prévoit autour de décembre 2018.
David Davis critique le type de croissance dont profite actuellement l’économie britannique, basée, selon lui, sur une faible productivité, des bas salaires et le recours à une « immigration de masse incontrôlée ». Il estime que le Brexit offre la possibilité d’une réorientation vers une « stratégie de croissance tirée par les exportations », grâce à des traités de libre-échange beaucoup plus rapidement conclus qu’à travers l’UE.
Il estime que de tels traités peuvent être signés d’ici un à deux ans avec les Etats-Unis, l’Australie, la Chine et l’Inde. L’attractivité du Royaume-Uni serait assurée par une nouvelle baisse (à 15 %) de l’impôt sur les sociétés.
Le nouveau ministre du Brexit estime que l’UE va continuer d’offrir à Londres un libre accès à son marché unique sans droits de douane, car c’est, selon lui, son intérêt. « Une fois que les pays européens auront compris que nous resterons fermes sur le contrôle de nos frontières, ils voudront discuter, dans leur propre intérêt », écrit-il. M. Davis reste cependant muet sur la question du maintien de la libre circulation des personnes, corollaire de l’accès au marché unique.
Pourfendeur des lois « liberticides »
Selon le nouveau ministre, le Royaume-Uni devrait enclencher l’article 50 du traité de Lisbonne, qui formalise le début des négociations de sortie, « avant ou dans le courant de l’année prochaine ».
Dans une autre déclaration, faite en mai, il plaidait pour une stratégie de Brexit centrée sur la recherche d’un accord avec Berlin et non Bruxelles. Theresa May pourrait donc tenter de constituer un axe avec la chancelière allemande, Angela Merkel, à laquelle elle est souvent comparée.
La réputation de bagarreur de M. Davis remonte aux années Blair et Brown, qu’il a passées comme ministre de l’intérieur du cabinet fantôme conservateur (opposition), de 2003 à 2008. Pourfendeur des lois « liberticides » votées par le Labour après les attentats terroristes de New York et de Londres, il s’élevait contre « l’érosion des libertés », tonnant contre la loi étendant la durée de la garde à vue en matière de terrorisme et – avec succès finalement – contre l’instauration de cartes d’identité. Ce qui ne l’a pas empêché, par ailleurs, de se prononcer en faveur du rétablissement de la peine de mort.
En 2008, il va jusqu’à démissionner de son mandat de député de Haltemprice and Howden (Yorkshire, nord de l’Angleterre) pour protester contre les atteintes aux libertés publiques, provoquant une élection partielle où il est réélu.
Parcours atypique chez les tories
Né dans un milieu modeste, élevé dans un logement social par une mère seule, David Davis tranche dans le milieu des barons tories. Elève moyen, il n’a poursuivi des études supérieures (à Warwick, Londres, puis Harvard) qu’après s’être engagé dans les forces spéciales de l’armée et en avoir obtenu une bourse. Il a été cadre du groupe britannique agroalimentaire Tate & Lyle pendant vingt ans avant de commencer une carrière politique.
En 2005, il était le favori pour l’élection à la tête du Parti conservateur, mais avait été battu par David Cameron. Ce dernier lui avait alors proposé d’entrer dans son gouvernement, ce qu’il avait refusé.
Sa défense des libertés publiques ne s’est pas arrêtée avec l’arrivée au pouvoir de son rival en 2010. Il a en particulier bataillé contre le projet de loi de surveillance d’Internet défendu par la ministre de l’intérieur de l’époque… Theresa May.
Critique à l’égard du fonctionnement de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), il est cependant opposé à la rupture du Royaume-Uni avec la juridiction de Strasbourg, relevant que le départ de Londres serait un encouragement pour les pays qui enfreignent les droits de l’homme.
Est-ce pour cette raison que Theresa May, qui s’était déclarée favorable à un divorce avec la CEDH, a fait volte-face sur ce sujet voici quelques jours, lorsqu’elle a brigué le poste de premier ministre ? Toujours est-il qu’elle a obtenu le soutien de M. Davis. Il se trouve aujourd’hui récompensé par l’attribution d’une mission de confiance à hautes responsabilités et à hauts risques, au cœur du cyclone du Brexit.
Philippe Bernard (Londres, correspondant)
Correspondant au Royaume-Uni
* LE MONDE | 14.07.2016 à 14h37 • Mis à jour le 15.07.2016 à 06h47 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/07/14/david-davis-un-europhobe-libertarien-pour-gerer-le-brexit_4969468_3214.html
Theresa May devient première ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson hérite de la diplomatie
Theresa May a accepté, mercredi 13 juillet, la demande de la reine Elizabeth II de former un gouvernement. A 59 ans, elle devient la nouvelle première ministre du Royaume-Uni et la deuxième femme à diriger un exécutif britannique, après Margaret Thatcher (1979-1990).
Les services de Mme May ont annoncé, dans la foulée, de premières nominations au sein du gouvernement. Boris Johnson, ancien maire de Londres et figure de proue du camp du « Leave » lors du référendum du 23 juin, a été nommé ministre des affaires étrangères.
Sa carrière politique semblait pourtant enterrée après qu’il avait annoncé qu’il ne succèderait pas à David Cameron au 10, Downing Street, après la démission de ce dernier. Si son talent pour les coups de théâtre n’est plus à prouver, il reste à découvrir ceux dont il dispose en matière de diplomatie internationale, alors que le Royaume-Uni doit désormais négocier sa sortie de l’Union européenne (UE).
Le rôle de M. Johnson dans les relations futures entre Londres et l’UE devrait toutefois être limité, dans la mesure où Theresa May a créé un nouveau ministère spécialement chargé de cette question. Et pour gérer ce portefeuille, elle a choisi David Davis. Cet eurosceptique, ancien secrétaire d’Etat à l’Europe du gouvernement de John Major (1990-1997), est donc nommé ministre chargé du Brexit.
Une seule femme dans la nouvelle équipe
Parmi les autres nominations annoncées mercredi soir :
• Philip Hammond, ancien ministre des affaires étrangères, est le nouveau chancelier de l’Echiquier (ministre des finances), succédant à ce poste au conservateur George Osborne. M. Hammond devient ainsi le numéro deux du gouvernement ;
• Amber Rudd a été nommée ministre de l’intérieur, le poste qu’occupait Theresa May ;
• Michael Fallon est reconduit comme ministre de la défense ;
• Liam Fox est nommé ministre du commerce international.
Pour l’heure, la seule femme de l’équipe de la nouvelle locataire du 10, Downing Street est Mme Rudd. La presse britannique avait prédit que l’équipe de Theresa May serait beaucoup plus féminine que la précédente. Elle a fait savoir qu’elle annoncera la composition de l’ensemble de son cabinet « dans les heures à venir », soit jeudi 14 juillet.
Pour Cameron, une dirigeante « forte et stable »
Lors de son discours sur le seuil de la résidence des premiers ministres britanniques, à Londres, la nouvelle chef de l’exécutif a rendu hommage à son prédécesseur, David Cameron : « Je marche dans les pas d’un grand premier ministre moderne. »
Dans l’après-midi, lors de sa dernière allocution devant le 10, Downing Street, ce dernier a souhaité au Royaume-Uni qu’il « aime tant » de « continuer à réussir ». « Cela a été un grand honneur de servir ce pays pendant six ans et mon parti pendant près de onze », a-t-il dit. Il était arrivé à la tête du gouvernement britannique en 2010 après avoir pris celle du Parti conservateur en 2005. Il s’est aussi dit « heureux » de voir une femme lui succéder, estimant que Mme May sera une dirigeante « forte et stable ».
« L’union britannique : un lien précieux »
Réputée pour sa détermination, sa force de travail mais aussi une certaine froideur, Theresa May, fille de pasteur, hérite d’un pays que le référendum du 23 juin a laissé sens dessus dessous, entre turbulences économiques et pression des dirigeants européens pour que Londres engage au plus vite la procédure de divorce.
Elle a promis de forger un « rôle audacieux » pour son pays hors de l’UE, insistant : « Nous croyons en l’union : le lien précieux entre l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord. »
Cette eurosceptique, qui avait rejoint le camp du maintien dans l’UE pendant la campagne référendaire, avait auparavant prévenu qu’elle ne comptait pas activer l’article 50 du Traité de Lisbonne – qui lance le processus de sortie d’un Etat membre – avant la fin de l’année. Mercredi, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a de nouveau pressée d’ouvrir « bientôt » des négociations avec les Vingt-Sept.
Les premiers jours de la nouvelle chef du gouvernement devraient également être scrutés de près par les marchés financiers, en quête de certitudes après le choc du Brexit.
* Le Monde.fr avec AFP | 13.07.2016 à 18h49 • Mis à jour le 14.07.2016 à 09h38 :
http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/07/13/theresa-may-devient-officiellement-premiere-ministre-du-royaume-uni_4969192_3214.html