Un succès incontestable et bienvenu. Hier soir, la seconde édition de la Pride de nuit – une marche alternative à la très officielle Marche des Fiertés LGBT, pour aller au plus vite – a réuni plus de 3.000 personnes selon la police, et l’on peut raisonnablement avancer le chiffre de 4.000 personnes. Soit trois fois plus de personnes que l’année dernière.
Un succès dans un contexte singulier
Il est vrai que le contexte était pour le moins particulier. Le massacre d’Orlando, le nombre croissant de transgenres assassiné.e.s, la très violente répression de la Gay pride d’Istanbul ont laissé cette année gays, lesbiennes et trans sous le choc. Les démêlés avec le gouvernement socialiste au sujet de l’organisation de la Marche des Fiertés, en France, n’ont évidemment rien arrangé.
Après avoir reporté la Marche des Fiertés pour cause d’Euro, celui-ci menaçait en effet ce week-end de reporter la manifestation pour cause d’état d’urgence. Et si l’Inter-LGBT – organisatrice de la Marche des Fiertés – a finalement obtenu, à l’arrachée, une autorisation de manifestation, c’est en cédant sur le parcours, réduit à l’instar de la manifestation contre la loi travail du 23 juin. Un geste de renoncement que des organisations LGBT se sont bien entendu empressées de déplorer, pointant les connivences entre la très autorisée Inter-LGBT et le gouvernement socialiste. L’Inter-LGBT, une sorte de CFDT gay et lesbienne, en somme…
Entraver la stratégie électorale du Parti socialiste
Il était donc logique que la Pride de nuit, qui se veut depuis un an le foyer d’une nouvelle radicalité gay, lesbienne et trans, recueille les fruits d’un travail de rassemblement des énergies contestataires. Et d’énergies contestataires élargies, ouvertes sur les revendications des minorités de tout genre. La plus belle des prises de parole ouvrant la manifestation de cette année fut en effet, sans conteste, celle du collectif Femmes en luttes 93, rappelant que l’homosexualité existait également dans les quartiers populaires et multiculturels. Et que pour lutter contre toutes les formes de discriminations, il convenait de dénoncer, un an avant des échéances électorales majeures, le gouvernement et ses politiques de classe racistes, sexistes et homophobes.
De fait, c’était là l’objectif premier de la Pride de nuit : refuser que le vote du mariage pour tous – si mal et timidement géré, qu’il a au contraire permis de libérer la parole homophobe pendant des mois – serve de « caution sociétale », et d’argument de vote au gouvernement socialiste dans la perspective de l‘élection présidentielle. Et de cache-sexe à une politique économique et sociale désastreuse, y compris pour les trans, les gays et les lesbiennes.
« PS, la fierté n’est pas son genre »
Du reste, la banderole de tête de la manifestation annonçait clairement la couleur : « PS, la fierté n’est pas son genre ». Non seulement, le gouvernement socialiste aura porté sans panache le mariage pour tous. Mais sacrifié au passage plus d’une promesse : la PMA, les droits des trans, etc. Et stigmatisé, également, nombre de luttes qui, depuis les combats d’Act-Up dans les années 90, sont associées à celles des homosexuels.le.s : les prostitué.e.s, les sans-papiers, et bien sûr les personnes atteintes du sida.
Comme le rappelait Giovanna Rincon, représentante d’Acceptess-T, les gens meurent encore aujourd’hui du sida en France. Les chances face à la maladie sont en effet inégalement distribuées dans un contexte de grave crise économique, et de délabrement des services sociaux et hospitaliers. Notamment du fait de l’accès différentiel, en raison de l’insertion sociale des personnes concernées, aux traitements contre le virus. Plus que jamais, donc, le slogan : « Putes, gouines, trans, sans-papiers, solidarité des minorités », résonnait comme l’expression d’une urgence sociale transversale.
« Ni Tafta, ni Sida ! »
La « rage », pour citer encore Giovanna Rincon, était donc de retour hier dans les rangs des minorités sexuelles et de genre. Et, chacun hier soir s’entendait en effet à entonner sans détour, le poing levé, chaque fois que la sono énonçait les promesses passées du gouvernement socialiste, un rageur « trahison socialiste ». Chacun aussi, s’entendait à clamer, dans un trait d’humour caractéristique des manifs gays et lesbiennes : « Gauche de droite, sors du placard ! Tes faux-semblants on en a marre ».
Et de dénoncer, sur le même ton mi-rageur mi-railleur, la politique du gouvernement : « Ni Tafta, ni Sida ! », ou encore : « Des droits pour les trans, pas pour l’état d’urgence ». Bref, les trans, les pds, les gouines, hier, faisaient la démonstration que leurs revendications ne se réduisaient pas seulement à des préoccupations que le gouvernement aimerait ranger dans la catégorie du « sociétal », mais s’étendaient également aux libertés publiques et aux questions économiques et sociales.
Une mémoire des luttes retrouvée
Mais le moment le plus beau, le plus émouvant de cette Pride de nuit fut sans doute l’organisation d’un die-in au cœur du Marais. Alors qu’après Orlando, les politiques français avaient peiné à évoquer le caractère spécifiquement homophobe du massacre, et surtout que les établissements gays du Marais avaient renoncé à fermer en signe de solidarité, la Pride de nuit à décidé de renouer, hier soir, avec une pratique issue des années sida. Une pratique consistant à s’allonger à même le sol, pour figurer les morts, et se relever dans une clameur exultée, vivante, joyeuse, pour signifier le retour à la lutte après le deuil. Autant dire qu’il s’agissait autant de perturber le fonctionnement des établissements, que de tracer un trait d’union entre les morts du sida, ceux d’Orlando, les trans assassinées aussi.
Un trait de mémoire aussi. Car, si hier soir, l’on retrouvait avec joie nombre de personnes que l’on n’avait pas vues manifester depuis dix, quinze, parfois vingt ans (souvent dans le contexte de la militance sida, dans le sillage d’Act-Up), la présence de très jeunes trans, gays et lesbiennes – et de jeunes trans, gays et lesbiennes de toutes couleurs de peau – a frappé chacun, et d’abord les organisateurs. « Comme quoi c’est possible ! », se réjouissait Gwen Fauchois, ancienne vice-présidente d’Act-Up et organisatrice, avec d’autres, de cette marche. Tout se passait comme si, enfin, le mouvement gay et lesbien renouait avec la mémoire des luttes. Et également avec une conscience internationaliste.
C’est en effet sur ces dernières clameurs, le poing levé, toujours, que s’est achevée, hier soir, la Pride de nuit – à l’appel d’Hélène Hazéra, militante historique s’il en est : « Istanbul, solidarité ».
Gildas Le Dem