Les Égyptiens sont presque aussi paranoïaques que nous [Algériens] : ils voient la main sournoise de l’étranger partout, et ils la voient même, tout comme nous, au pluriel en comptant ses doigts de droite à gauche. Il y a quelques semaines, le département d’Etat américain a publié son rapport sur les libertés religieuses, et épinglé cinq pays arabes, l’Irak, la Syrie, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, et le Soudan. Si l’état de guerre en Irak et en Syrie peut expliquer les atteintes aux libertés religieuses, la situation des trois autres pays n’incite pas à l’indulgence. Ainsi, la commission des libertés religieuses au sein du Département d’Etat américain critique-t-elle les poursuites à l’encontre des opposants pour des prétextes politiques, religieux, voire pour pratique de la sorcellerie.
Dans ce contexte, le rapport a dénoncé la répression exercée contre la minorité chiite, et notamment l’exécution du chef religieux Nimr Al-Namr, au début de cette année. Dans le cas du Soudan, le rapport du Département d’Etat accuse les autorités de réprimer les « Cornistes » [1] soudanais dont 25 membres ont été accusés d’apostasie. Le régime a également renforcé le dispositif de répression légal, et alourdi les peines contre l’impiété et l’apostasie. De même qu’il a proféré des accusations infondées contre des religieux chrétiens, et qu’il œuvre à marginaliser la minorité chrétienne du pays.
Quant à l’Égypte, et en dépit des progrès en matière de libertés religieuses, le rapport relève que les agressions commises contre les Coptes ne sont généralement pas jugées. Ce qui a renforcé l’idée que l’impunité est toujours de rigueur, en ce qui concerne ce type d’agression. La commission du département d’Etat note également la persistance de dispositions liberticides que ce soit en matière religieuse, ou dans les manifestations d’opinions politiques jugées non conformes.
Moins d’un mois après la publication de ce rapport, les évènements de Minieh en Haute-Égypte ont confirmé le bien-fondé des accusations portées par le rapport américain [2]. Vendredi dernier, dans le village d’Al-Karam, des dizaines de « pieux » musulmans, émules de Daesh, ont saccagé et brûlé plusieurs maisons de leurs concitoyens coptes. Puis, en dignes élèves du califat de Mossoul, ils se sont emparés d’une dame de 70 ans, l’ont entièrement dévêtue et l’ont exhibée toute nue, à travers le village. Le prétexte est quasiment toujours le même : le fils de la dame bafouée et humiliée publiquement aurait eu une liaison avec une femme musulmane. C’est du moins la théorie propagée par la rumeur, car selon la presse égyptienne, il s’agirait d’une rumeur propagée par le mari de l’infidèle présumée, désireux de s’en délester à bon compte.
Réagissant à cet acte abject, l’universitaire copte Teery Botros relève que le mari en question a fait circuler cette rumeur pour s’exonérer de ses engagements vis-à-vis de son épouse et de ses enfants. Il pouvait ainsi la faire expulser du domicile conjugal sous l’accusation d’adultère, et s’emparer ainsi de sa maison, comme il l’avait fait déjà avec une épouse précédente. D’ailleurs, l’épouse concernée a démenti l’existence de cette relation adultère et déposé une plainte contre celui, ou ceux qui ont lancé cette fausse accusation attentatoire à sa réputation. « Et puis, même si la relation amoureuse était avérée, pourquoi la femme musulmane serait-elle plus sacrée qu’une autre et n’aurait-elle le droit de n’aimer qu’un musulman ? Ceci alors que nous avons chaque jour des centaines d’exemples qui battent en brèche ce principe inadéquat et injuste et le contredisent dans les faits. Evidemment, l’histoire passe mieux lorsque c’est un musulman qui enlève une femme copte, même mineure, la viole puis la convertit à l’islam. Puis Al-Azhar, qui vient d’affirmer que l’une des causes du terrorisme est la marginalisation des musulmans en Europe, valide cette conversion. Le plus étrange est que des affiches ont été placardées avant le passage à l’acte et ont été portées à la connaissance de la police qui n’a pas réagi sur le coup », note encore Terry Botros.
D’autres journaux du Caire ont aussi relevé cette passivité de la police qui tend à devenir habituelle en pareils cas. L’éditorialiste du quotidien Al Misri Al-Youm estime que le mufti d’Al-Azhar devrait s’excuser auprès de la dame victime de ce comportement inqualifiable. « Tous les responsables à la tête de l’Etat, à tous les niveaux, du président de la République au cheikh d’Al-Azhar, du mufti de la République aux membres du Haut Conseil des affaires islamiques, et aux prédicateurs des chaînes satellitaires. Tout ce monde-là devrait ressentir de la honte devant ce qui est arrivé à cette vieille dame d’Al-Karam. Nous devons tous ressentir de la honte, et ne pas relever la tête pour revendiquer liberté, dignité, et égalité, alors que le plus humble de nos citoyens peut écraser son voisin copte sous sa chaussure. Il peut mépriser sa religion, porter atteinte à ce qu’il a de plus sacré, puis s’ériger en juge et en bourreau pour châtier une vieille femme sans défense. Nous prétendons tous que les relations entre les éléments constitutifs de la nation, musulmans et coptes, sont exemplaires, alors que dans la réalité, ils vivent isolés les uns des autres, ajoute l’éditorialiste. Tous les enseignants apprennent à leurs élèves que les Coptes ne sont pas sur la voie droite. Les imams des mosquées insistent sur le fait que le paradis est pour les musulmans, et que l’enfer est le domaine réservé des Coptes. » C’est ainsi que le fait de dénuder une femme copte et de l’exhiber comme un trophée relève de l’acte halal et méritoire aux yeux de « l’ouma » des ignorants.
Dire, comme le fait Ala Aswani que la démocratie est la solution ne suffit plus, la solution des problèmes de citoyenneté passe par la laïcité, et le mouvement tunisien Nahdha en semble désormais convaincu. Peut-être qu’on devrait, enfin, commencer à suivre le bon exemple.
Ahmed Halli