La catastrophe écologique mais également économique s’amplifie dans l’Alberta, une province grande comme la France dans l’ouest du Canada. Les feux gigantesques et hors de tout contrôle ont doublé en superficie aux premières heures du matin, ce dimanche, dans la région de Fort McMurray, à 400 kilomètres au nord de la capitale Edmonton. Ils se rapprochent dangereusement d’importantes exploitations pétrolières, dans cette région qui concentre l’essentiel de la production du pays (80%) sous la forme de sables bitumineux. Ce pétrole lourd, extrêmement visqueux et difficile à extraire, avait été à l’origine de la prospérité du Canada et de la relance de son économie ces dernières années, avec le boom des huiles non conventionnelles en Amérique du Nord. Une ruée vers ce nouvel or noir qui avait largement profité à la ville de Fort McMurray, considérée comme la capitale du pétrole canadien, mais qui s’est largement tarie, depuis, avec l’effondrement des cours à partir de l’été 2014.
En moins de vingt-quatre heures, 55 000 hectares de plus ont flambé, selon le dernier bilan du service des incendies, portant le total à 1 570 km2, soit l’équivalent de la superficie de Londres ou quinze fois celle de Paris. « La situation reste imprévisible et dangereuse, et c’est un feu énorme, hors de contrôle », a indiqué le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, en référence aux trois foyers toujours incontrôlés. L’espoir d’un temps plus humide dans les prochains jours, qui permettrait d’atténuer progressivement la vigueur de ces incendies qui sévissent dans des zones asséchées par deux mois sans pluie, a été en partie déçu : si des températures de 15 degrés, au maximum, étaient attendues dimanche, les vents se renforcent et les averses devraient être limitées. « Nous avons besoin de fortes pluies, les averses ne suffisent pas », a indiqué Chad Morrisson, directeur du service des incendies de l’Alberta, selon lequel éteindre l’incendie de Fort McMurray pourrait prendre des mois.
Production réduite
Devant son avancée suivie par satellite par les 1 100 pompiers mobilisés, il a fallu accélérer la sortie des 25 000 personnes coincées dans des abris des compagnies pétrolières, où elles avaient trouvé refuge quand la route du nord était la seule issue possible au départ des feux il y a une semaine. Leur évacuation a duré trois jours, dont la moitié par un pont aérien d’une ampleur inédite. Les autres ont emprunté un couloir sécurisé le long de l’autoroute 63 à bord de leurs véhicules, afin de rejoindre Edmonton, à 400 kilomètres. Les feux se sont également rapprochés un peu plus des vastes mines de sables pétrolifères où l’exploitation a été largement réduite voire stoppée. Ils ont frôlé, samedi, les installations des compagnies pétrolières Suncor Energie et Syncrude à une cinquantaine de kilomètres au nord de Ford McMurray. Syncrude a fermé son site en raison des fumées, et commencé à évacuer ses 4 800 employés résidant dans cette zone par avions gros porteurs C130 de l’armée. Suncor a également fermé deux sites de production, et d’autres pétroliers avaient déjà fait de même comme Shell, Nexen, ConocoPhillips et Total qui exploitent conjointement le site de Surmont.
Alors que les investissements des compagnies pétrolières attendus en 2016 dans l’Alberta étaient déjà en fort recul (31 milliards de dollars canadiens estimés, soit 21 milliards d’euros, contre 81 milliards de dollars canadiens lors du pic de 2014, soit 55 milliards d’euros), les incendies vont très largement amplifier ce mouvement et font désormais craindre une crise économique aussi massive que durable dans une région qui affichait, début 2015, le plus bas taux de chômage du pays. La production va tomber de près de moitié, avec des évaluations de 1 million à 1,5 million de barils par jour, contribuant à accroître un taux de chômage repassé depuis janvier au-dessus de la moyenne nationale canadienne (7,4% contre 7,2% à l’échelle du pays). La chute de l’économie est spectaculaire en Alberta, où l’activité s’est contractée de 1% en 2015. En un an, le secteur pétrolier s’est déjà contracté de 35 000 emplois dans la région, avec une saignée particulièrement forte en avril et la suppression de 21 000 emplois. Le contraste est saisissant avec l’année 2014, quand l’Alberta avait créé 64 000 emplois, quasi exclusivement dans le pétrole, soit la moitié des créations d’emplois cette année-là au Canada.
Jusqu’à 9 milliards de dollars canadiens
Près de 25% de l’économie canadienne est liée à l’industrie pétrolière, et le Premier ministre Justin Trudeau s’était rendu, début février, dans la région. « Justin Trudeau vient au secours de l’Alberta », avait alors titré Radio-Canada sur son site internet, en détaillant les aides fédérales apportées à la province pour faire face à l’effondrement des cours du pétrole : 700 millions de dollars canadiens (plus de 475 millions d’euros) pour des programmes en infrastructures auxquels il fallait alors ajouter 250 millions de dollars canadiens (plus de 169 millions d’euros) issus du fonds de stabilisation économique du gouvernement d’Ottawa.
Nul doute qu’il va falloir maintenant bien plus pour venir en aide à une région qui s’attend à une facture totale de plusieurs milliards de dollars avec les incendies. Selon une étude d’une banque de Montréal, le sinistre pourrait coûter aux assureurs jusqu’à 9 milliards de dollars canadiens (6,15 milliards d’euros), soit la catastrophe la plus coûteuse, et de loin, de l’histoire du pays. « La ville ayant tant apporté à l’économie canadienne au fil des ans a besoin de notre aide et de notre soutien », a déclaré Justin Trudeau, affirmant que le gouvernement fédéral « sera là pour Fort McMurray, non seulement ces jours-ci mais aussi dans les mois et les années à venir ».
Christophe Alix avec agence