Le 14 juillet est passé, fumées des bouquets, soleils et girandoles des feux d’artifice sont dissipés, discours entendus ou ignorés appartiennent aux archives, marches militaires et pas cadencés se sont éloignés, audimat et formatage médiatiques poursuivent leur chasse à l’instant. Reste « le silence des abîmes », celui des morts de 14-18 et de 39-45, morts pour la France.
Parmi ces morts, des « indigènes ». Pour leur rendre hommage trois soldats par ancienne colonie ont été invités pour participer non pas, sacrilège, au défilé du 14 juillet, mais à une « animation » sur la place de la Concorde, précédant celui-ci. Était-ce le lieu, était-ce le jour ? Cela a suscité polémique dans certains pays invités : question légitime, fallait-il répondre à cette sollicitation alors que la France n’a jamais reconnu le fait colonial ? Cela a suscité également la polémique en France, question légitime sans le préalable d’une sortie de l’État français du déni de la violence coloniale, violence physique, violence morale, violence identitaire.
Autre chose sont les déclarations nauséabondes d’une droite ultra aux relents factieux qui n’a jamais accepté ce fait historique, la décolonisation et clame « qu’il est inacceptable que le FLN et le Viêt-minh soient présents à la manifestation du 14 juillet ». Faut-il rappeler que lors de la guerre 14-18, enrôlés de force, enrôlés de la misère ou enrôlés par ralliement, tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, sénégalais, malgaches, tonkinois, annamites, cambodgiens, ils furent 565 000 à participer à une guerre pour défendre le sol de leur colonisateur ? Que 35 000 Algériens, 21 000 Tunisiens, 12 000 Marocains, 25 000 Africains subsahariens, principalement Sénégalais, 2500 Malgaches, 1 600 Indochinois, sont morts ou disparus ? Morts non pas pour défendre leur sol, mais pour défendre la France.
Faut-il rappeler que pendant la guerre 39-45, enrôlés de force, enrôlés de la misère ou enrôlés par ralliement, sur les 260 000 hommes engagés lors du débarquement de Provence, plus de 130 000 étaient Nord-africains, plus de 25 000 venaient d’Afrique subsaharienne ? Que sur les 112 000 hommes du Corps expéditionnaire français qui participa à la campagne d’Italie, 60% étaient maghrébins ? Que pour libérer la France et le monde de la haine raciale nazie, 8 000 « indigènes » sont morts et 35 000 furent blessés ? Comme en 14-18, eux aussi sont morts non pour libérer leur sol, mais pour libérer la France et l’Europe de la peste brune. Faut-il rappeler que « Dans l’extrémité où une défaite provisoire l’avait refoulée, c’est dans ses terres d’outre-mer… qu’elle (la France) a trouvé son recours et la base de départ pour sa libération… [1] » ?
Maghrébins, Africains, Malgaches et Vietnamiens pouvaient croire qu’en participant à la libération de la France s’ouvrait la voie de leur libération. C’était ignorer combien l’idéologie coloniale imprégnait la société, c’était ignorer combien le rôle de « grande puissance » de la France reposait sur le maintien d’un empire, c’était ignorer la cécité et le racisme d’un lobby colonial ne voulant rien céder de ses avantages et privilèges.
Le nazisme vaincu, à leurs aspirations, à leur « droit à disposer d’eux-mêmes » qui se profile, répondent, en mai 1945, les massacres de Sétif et Guelma dans les Aurès, en novembre 1946, le bombardement de Haïphong, causant 6000 victimes et, en 1947, des dizaines de milliers de Malgaches victimes d’une terrible répression. Leur accession à l’indépendance, leur libération du colonialisme, la fin de leur statut d’indigène ne seront acquis qu’au terme de longues années de guerres et au prix de centaines de milliers de morts.
Alors, nostalgiques de l’Empire et apologistes de l’ordre colonial, devant le « silence des abîmes » ayez la pudeur de vous taire !
Nils Andersson