Antoine Dolcerocca, Gokhan Terzioglu , Steve Knauss – Comme nous le savons, la socialisation de la dette privée des banques et des autres institutions financières à travers les bailouts est le principal mécanisme transformant une crise financière en crise de la dette souveraine. Puisque le secteur financier repose sur le système de crédit et de paiement de l’ensemble de l’économie, il est en bonne position pour exercer un chantage en menaçant d’emporter tout le système dans sa propre chute si ses pertes ne sont pas supportées par l’ensemble de la société. En effet, dans la plupart des cas, les gouvernements voient trop de risques à laisser tomber ces acteurs majeurs, et finissent par y injecter de l’argent public financé par l’émission d’obligations gouvernementales qui s’ajoutent aux dettes souveraines. Cela fait de la répudiation des dettes contractées de la sorte et de la nationalisation du secteur du crédit et de la finance deux priorités absolues dans le combat contre la subordination de populations entières au capital de la finance.
Nous savons que la nationalisation de ce secteur clé est possible, comme l’ont montré les précédents dans plusieurs pays capitalistes avancés, comme la France d’après-guerre. Pour autant, lorsque François Mitterrand a essayé en 1981 de renationaliser certains secteurs clés de l’économie dont la finance (non pas tant pour combattre le capital mondial que pour relancer l’économie française), cet effort s’est finalement conclu par une capitulation quelques années plus tard, avec le rétropédalage de son gouvernement. Pensez-vous que, sous la mondialisation néolibérale, les pays ont moins de marge de manœuvre pour poursuivre une telle voie ? Que pensez-vous de la complémentarité de mesures unilatérales telles que le contrôle des capitaux, le refus de payer la dette illégitime, et la nationalisation des banques ? Qu’en est-il de l’ordre d’implémentation de telles mesures afin de maximiser leurs chances de succès ?
Eric Toussaint – Je suis entièrement convaincu que, pour toute une série de pays européens, tels que la Grèce, le Portugal, l’Etat espagnol, l’Irlande et Chypre, mais aussi d’autres pays, il y a des mesures fondamentales à prendre si l’on veut changer l’orientation politique et rompre avec l’austérité. Car il est très clair que dans plusieurs pays – dont le Portugal, comme l’ont montré les derniers mois, mais aussi la Grèce, et nous le verrons rapidement dans l’Etat espagnol comme nous le voyons déjà en Italie – la crise bancaire n’est pas résolue du tout. Dès que la situation économique internationale se détériore, le bilan des banques devient assez fragile (avec par exemple l’explosion des créances douteuses). Nous assistons aujourd’hui à une chute très importante sur les marchés boursiers, ce qui implique une fragilisation des banques. C’est pourquoi le besoin de prendre le contrôle effectif des banques fait partie des premières mesures à prendre. Dans certains cas (en Grèce par exemple), il sera nécessaire de les mettre en faillite afin d’en reprendre le contrôle. Bien sûr, nous les remettrions rapidement sur les rails, mais les mettre en faillite en premier lieu permettrait de faire payer les coûts de la crise à ceux qui en sont responsables. Dans l’exemple grec, je suis convaincu que c’est exactement ce qu’il aurait fallu faire.
Vous avez parlé de Mitterrand, qui a fait un pas vers la nationalisation des banques avant de capituler. Quand Mitterrand discutait de cette nationalisation, d’une certaine manière il n’était pas sous pression pour résoudre une crise bancaire, alors qu’aujourd’hui n’importe quel potentiel gouvernement de gauche en Europe est dans l’obligation de prendre le contrôle des banques. S’il ne le faisait pas, les finances publiques ne seraient pas capables de supporter les coûts d’une résolution de la crise du secteur bancaire, et la Banque centrale européenne (BCE) exercerait un chantage permanent sur les liquidités des banques et asphyxierait le système bancaire comme elle l’a fait avec la Grèce. Pour ces raisons, je suis d’accord pour dire que la marge de manœuvre est plus étroite que celle dont disposait Mitterrand, car nous sommes désormais dans la zone euro et dans l’Union européenne. Néanmoins, il y a une obligation pratique et politique de rentrer en conflit avec les institutions européennes et la BCE. Je parle là simplement de mesures unilatérales d’autodéfense pour un pays qui doit faire face à la crise du système bancaire. J’ajouterais qu’en ce qui concerne l’audit de la dette, les mesures unilatérales à prendre sont basées sur le règlement européen du 21 mai 2013 [1] qui envisage cet audit, permettant parfaitement à un Etat de la zone euro de dire qu’il applique ce règlement. Je dirais que cela confère une base légale à une telle mesure prise par un gouvernement. Cependant, dans le cas de la Grèce et probablement d’autres pays sous la pression des créanciers, j’ajouterais qu’il faut décréter une suspension unilatérale du paiement de la dette pendant toute la durée de l’audit. Évidemment, cette mesure ne sera pas acceptée et débouchera sur un conflit, mais il existe en droit international des arguments qui vont dans le sens de ces actions unilatérales en tant que mesures d’autodéfense. Il n’y a aucun doute que toutes ces mesures sont directement reliées à une mesure clé qui doit être prise immédiatement : celle du contrôle des capitaux. Il est clair qu’il y a là un lien immédiat avec la situation politique : pour accomplir tout ceci, il faut avoir une légitimé populaire et organiser des mobilisations, en même temps que doit s’organiser la solidarité internationale.
Éloignons-nous du cadre général pour aborder un cas plus concret, que tout le monde a à l’esprit : parlons de votre expérience en Grèce. Vous étiez le coordinateur scientifique de la Commission pour la vérité sur la dette grecque mise en place en avril 2015 par celle qui était alors présidente du parlement grec, Zoé Konstantopoulou. La commission a publié son rapport préliminaire le 17 juin 2015, peu avant l’expiration prévue le 30 juin de l’extension de quatre mois du programme d’assistance financière, que Syriza avait obtenue dans un accord signé avec la Troïka le 20 février 2015. Dans un moment politiquement si important, la commission a cherché à montrer que, contrairement aux croyances répandues, l’augmentation de la dette n’était pas due à des dépenses publiques excessives de la part de l’Etat providence grec, mais à d’autres facteurs tels que la recapitalisation par l’Etat de banques privées, le paiement de taux d’intérêt extrêmement élevés aux créanciers, les fortes dépenses dans le domaine de la défense, etc. Le rapport a révélé clairement que l’objectif des accords de prêt à la Grèce était de sauver les banques privées grecques et européennes, et que la majorité des fonds ainsi empruntés étaient directement transférés aux institutions financières. La commission a également exposé les preuves de l’existence de dettes illégales, illégitimes et odieuses contractées auprès de chaque créancier (FMI, BCE, FESF, prêts bilatéraux, créanciers privés), et a présenté les arguments juridiques qui pourraient permettre à la Grèce de répudier ces dettes unilatéralement. Cependant, malgré les conclusions du rapport, le gouvernement Tsipras a choisi début juillet de ne pas mettre en œuvre de telles mesures et, comme on le sait bien, il a capitulé face aux institutions européennes. Avec le recul, quel plan d’action aurait pu être adopté, au moment de la publication du rapport ou même avant, afin d’essayer d’empêcher cette capitulation ?
Tout d’abord, dès le 20 février 2015, je pense que le gouvernement Tsipras et son ministre des finances Varoufakis auraient dû prendre les mesures que j’ai mentionnées précédemment. C’est-à-dire qu’ils auraient dû dire dès le départ : « Nous allons réaliser un audit de la dette, en appliquant ce faisant l’article 7 du règlement 472 en tant que mesure de défense face à vous créanciers, qui n’avez pas envisagé une seule piste sérieuse de négociation durant nos trois premières semaines au gouvernement. Nous suspendons le paiement de la dette pour la durée de l’audit. » Ce n’est pas ce qui a été fait, et c’est pour cela que je pense que l’accord du 20 février constituait déjà un recul de la part du gouvernement Syriza-Anel [2].
Ce qui est important ici, et qui n’a pas du tout été remarqué, c’est que le 20 février, seul Varoufakis a signé l’accord pour le gouvernement Syriza-Anel, sans que celui-ci ne soit soumis au vote du parlement grec. Or, la présidente du parlement, Zoé Konstantopoulou, avait annoncé à Tsipras qu’elle n’accepterait jamais un tel accord et qu’une forte opposition à celui-ci s’exprimerait au sein du parlement en particluier au sein du groupe parlementaire de Syriza. Jusqu’à la nuit du 15 au 16 juillet 2015, le parlement grec n’a approuvé aucun accord avec l’eurogroupe ou d’autres représentants des créanciers.
Ainsi, je pense que le 20 février, le gouvernement aurait dû adopter un plan B, qui aurait consisté en la mise en place d’un contrôle des capitaux, un audit de la dette accompagné d’une suspension de paiement, le changement du statut des parts détenues par l’Etat grec dans les banques grecques. Puisqu’il en est le principal actionnaire, l’Etat aurait dû transformer ses actions préférentielles en actions ordinaires afin d’exercer un contrôle direct sur les banques et d’organiser leur mise en faillite tout en protégeant les dépôts. Je pense également qu’il y avait besoin de lancer rapidement une monnaie parallèle, non convertible, qui n’aurait pu être utilisée que pour une série d’opérations internes mais aurait pu faciliter, par exemple, l’augmentation des salaires et des retraites, le paiement des impôts et de toute une série de factures (eau, électricité, transports publics, etc.). On aurait également pu essayer d’utiliser cette monnaie parallèle dans les échanges au niveau de l’économie locale, comme moyen de stimuler l’activité économique et la consommation. Cette monnaie parallèle officielle aurait été complémentaire à l’euro officiel.
À votre avis, pourquoi Tsipras et ses proches collaborateurs semblent n’avoir jamais sérieusement songé à mettre en œuvre un plan B comprenant de telles mesures ? Par exemple, est-ce que la répudiation unilatérale de dette ou la nationalisation des banques ont fait partie des options envisagées par le gouvernement Syriza, ou par une partie de la coalition ? Selon vous, quelle était l’importance de la question de la sortie de la zone euro en ce qui concerne la faisabilité d’un tel programme alternatif ?
Je pense que des actions unilatérales ont été défendues par Lafazanis, qui était ministre de la restructuration de la production, de l’environnement et de l’énergie, et par les ministres membres de la Plate-forme de gauche au sein de Syriza, c’est-à-dire plusieurs ministres et ministres délégués, tels que Panagiotis Lafazanis, Kostas Isychos (vice-ministre de la défense), Nadia Valavani (vice-ministre des finances), Dimitris Stratoulis (vice-ministre chargé des retraites), Nikolaos Chountis (vice-ministre chargé des relations avec les institutions européennes). Ainsi plusieurs ministres et ministres délégués étaient favorables à de telles actions unilatérales. Je pense qu’à un moment, ils auraient dû commencer à communiquer leurs positions et à dire qu’il fallait un plan B. Mais malheureusement, ils n’ont jamais réussi à suffisamment rendre publiques leurs propositions car ils étaient soumis à la discipline gouvernementale. Mais il est très clair qu’au sein du gouvernement, Lafazanis a refusé de collaborer avec Varoufakis quand celui-ci lui a fait part des exigences de l’Eurogroupe.
C’est pourquoi l’on peut dire qu’à partir du 20 février, le gouvernement Tsipras est devenu un « gouvernement en dispute », comme on dit en espagnol. C’est-à-dire qu’il y avait une contradiction au sein du gouvernement entre ceux qui étaient encore partisans du plan A (basé sur l’idée que l’on peut convaincre les créanciers et les institutions européennes de respecter le choix démocratique du peuple) et la gauche qui était favorable à un plan B. Même si le plan B que j’ai mentionné ne fut pas appliqué à la suite du 20 février, je crois qu’il aurait pu être appliqué en juillet pour éviter la capitulation [3].
Je voudrais souligner que les mesures que j’ai développées comme permettant l’application d’un plan B n’impliquaient pas la sortie de la zone euro en tant qu’étape immédiate, car Syriza avait mené sa campagne électorale en affichant l’objectif de rester dans la zone euro, et ne disposait pas du mandat pour en sortir. Bien sûr, Syriza aurait pu opérer un choix différent en 2012 et 2013 et aborder la question de la sortie afin d’y préparer la population. Mais puisque le parti ne l’a pas fait, il ne pouvait pas inclure la sortie de la zone euro dans le plan B. Cependant, je pense que les mesures dont j’ai parlé auraient pu être comprises et soutenues par la population grecque, et que l’on aurait pu mener une campagne internationale de soutien à la Grèce. Et cela aurait conduit les autorités européennes à pousser la Grèce hors de la zone euro. L’exclusion n’était pas permise légalement, mais en asphyxiant le système bancaire et en appliquant leurs autres moyens de pression, les autorités européennes auraient poussé le pays hors de la zone euro. Cela aurait permis à Tsipras de dire : « Ce n’est pas nous qui voulons sortir, mais puisqu’ils nous poussent dehors, nous sortons. »
À la suite des résultats électoraux de Podemos le 20 décembre, une grande partie de la discussion s’est déplacée de la Grèce vers l’Etat espagnol. Voyez-vous les forces au sein de Podemos se regrouper autour des mêmes clivages internes, et tirer les leçons des échecs de l’expérience Syriza ?
Bien sûr, je pense que ce débat existe tout à fait au sein de Podemos, et il est nécessaire de mettre en lumière les leçons qui devraient être tirées de l’expérience grecque. À mon avis, il est nécessaire d’avoir un plan A et un plan B. Comme je l’ai mentionné, le plan A repose sur l’idée de convaincre les créanciers et les institutions européennes. Mais face à l’impossibilité d’obtenir des concessions raisonnables de la part des institutions européennes, il faut passer à un plan B, qui devrait être rendu public selon moi. Je pense qu’un parti tel que Podemos devrait dire au public : « Voici les propositions raisonnables que nous faisons dans la cadre de notre plan A, mais si les institutions européennes et la BCE nient le droit de l’Etat espagnol et de sa population à exercer un minimum de souveraineté, voici notre plan B. » C’est un élément crucial. Et selon moi, dans un plan B, il y a un autre aspect qui est très important sur le plan économique : il faut affirmer qu’en tant que mouvement de gauche, il est impossible de maintenir un budget à l’équilibre ou de produire un excédent budgétaire primaire. Je pense que tant Podemos que le Bloc de gauche au Portugal ou Jeremy Corbyn au Royaume-Uni doivent affirmer cela. Car, s’il est absolument vrai que la réactivation de l’économie et les réformes de l’impôt créeront des revenus supplémentaires, cela prendra deux ou trois ans. C’est pourquoi il faut affirmer : « Nous ne respecterons pas la discipline européenne. » Les différents partis de gauche devraient mener leurs campagnes électorales en déclarant publiquement que cette discipline est une illusion et qu’il est inacceptable de nous imposer un équilibre budgétaire.
Sortons du contexte européen actuel. En 2001, l’Argentine a fait défaut sur sa dette et doit encore se confronter à des fonds vautours qui, soutenus par le système juridique étatsunien, cherchent à se faire rembourser 100% de la valeur nominale de leurs obligations. Après le défaut de paiement, deux de ces fonds, NML Capital et Aurelius Capital Management, ont refusé deux propositions de restructuration, en 2005 puis en 2010, proposant un remboursement de leurs titres à un prix rabaissé de 70% (30 centimes au lieu d’un dollar), ce que 93% des créanciers avaient accepté. En octobre 2014, l’Argentine a rejoint le groupe des pays ayant passé une législation afin de mettre en œuvre une commission d’audit de la dette, concernant notamment la dette contractée depuis l’époque de la dictature (1976 et 1983) jusqu’à 2014.
L’Équateur a également été un exemple important, montrant que même un petit pays peut défier la finance mondiale s’il y a une volonté politique. Vous faisiez partie de la commission d’audit en Équateur après l’élection de Rafale Correa en décembre 2006 et vous avez également été impliqué dans les discussions en Argentine. Quelles leçons peuvent être tirées de ces cas spécifiques ?
Pour moi, la leçon est qu’il est parfaitement possible de prendre des mesures unilatérales telles que la suspension du paiement de la dette ou la réalisation d’un audit. Contrairement à ce que dit la majorité des économistes et commentateurs, j’affirme que cela ne produit en rien un chaos économique ou une récession prolongée. De plus, vous savez comme moi que plusieurs économistes qui ne sont pas marqués à gauche, comme Joseph Stieglitz [4], ou Eduardo Levy et Ugo Panizza [5], ont publié des études reconnaissant que la suspension du paiement de la dette est la première étape vers une reprise économique. Il faudrait mentionner que c’est aussi ce qui est dit par des économistes tels que Christoph Trebesch, qui a rédigé plusieurs documents pour le FMI et a récemment réalisé un travail en commun avec l’économiste néolibérale Carmen Reinhardt, qui montre très clairement que la suspension du paiement de la dette permet généralement une reprise économique dans un laps de temps raisonnable (six mois, un an, ou un an et demi dans le pire des cas) [6]. Cela montre que le retour sur les marchés suite à une telle annonce se fait rapidement. Personnellement, je pense que c’est mieux si un gouvernement a la possibilité de ne pas retourner sur les marchés financiers. Si les revenus du pétrole, ou d’autres types de revenus, permettent de mener une activité économique rapportant un niveau suffisant de taxes, pourquoi y aurait-il besoin de retourner se financer sur les marchés financiers ? J’ai débattu avec certains membres du parti de Cristina Kirchner en Argentine car ils avaient une obsession à vouloir retourner sur les marchés et négocier avec le club de Paris. Je leur ai dit : « Pourquoi ? Vous avez démontré depuis maintenant plus de sept ans que vous êtes capables de faire défaut sur le Club de Paris et d’avoir une croissance économique sans aller sur les marchés financiers. » Je pense que ce dogme du financement par les marchés financiers est très dangereux, il faut affirmer que cela n’est pas nécessaire car il y a des alternatives.
La dette immobilière des ménages est toujours à des niveaux insupportables dans de nombreux pays, après avoir causé des ravages en 2007 et 2008 et résulté en des saisies généralisées. Aux Etats-Unis, la dette des étudiants dépasse les 1000 milliards de dollars. Qu’est-ce qui peut être fait contre cette énorme montée des dettes privées ?
Je pense que les mouvements s’attaquant à la dette publique doivent réellement intégrer la question des dettes privées illégitimes dans leur approche politique |7|. Par dettes privées illégitimes, j’entends entre autres choses une grande partie la dette étudiante, une grande partie de la dette immobilière, la dette des paysans comme en Inde, la dette du micro-crédit dans plusieurs pays comme le Maroc, le Bangladesh, etc. Un gouvernement de gauche pourrait décider de l’annulation de ces dettes par des moyens légaux. À l’époque où Syriza était dans l’opposition, Zoé Konstantopoulou avait avancé une proposition de loi qui mériterait absolument d’être traduite en plusieurs langues, parce qu’elle proposait que la dette des ménages disposant de revenus annuels inférieurs à un certain seuil soit annulée légalement. On pourrait ajouter différents critères. Il est très important qu’un gouvernement applique cela légalement à travers la voie parlementaire, ceci afin d’éviter une situation telle qu’aux Etats-Unis par exemple, où comme vous le savez plus de 10 000 procès concernant les dettes privées sont en cours, alors que ces procès ne seraient pas nécessaires si le gouvernement réglait la situation en passant par le Congrès. En tant que gouvernement, vous pouvez régler le problème simplement, de manière légale.
Donc je pense par exemple que, si Jeremy Corbyn devenait Premier ministre au Royaume-Uni, alors il faudrait complètement changer ce que D. Cameron a fait pour endetter systématiquement les étudiants |8|. Dans la situation actuelle, certains étudiants vont devoir travailler trente ans pour rembourser la dette qu’ils ont contractée afin de poursuivre leurs études. Cela doit être changé par la voie légale, au Royaume-Uni comme aux Etats-Unis. Dans l’Etat espagnol, Podemos est directement concerné : le parti devrait s’engager à résoudre légalement le problème de la dette immobilière et à changer la loi draconienne – datant de l’époque franquiste – concernant les saisies et les expulsions. Cette loi avait été prise par un décret du dictateur Franco en 1946, et confirmée par les socialistes durant la transition.
Par le passé, vous avez beaucoup écrit sur la crise de la dette du Tiers-monde. Bien que ce sujet ne fasse plus les grands titres actuellement, les difficultés n’en sont pas moins loin d’être résolues. Pourriez-vous dire un dernier mot sur les problèmes de la dette au Sud ?
Il est clair que nous assistons aujourd’hui à une nouvelle crise de la dette dans les pays émergents. En réalité, cette crise a déjà commencé. Elle touche déjà frontalement les grands pays exportateurs de pétrole tels que le Venezuela et le Nigéria, qui ne sont plus capables de refinancer leur dette à des taux d’intérêt raisonnables. Ils ont accepté des taux accrus, mais maintenant que les revenus du pétrole ont diminué, il est clair que nous allons très prochainement assister à des situations de défaut de paiement sur les dettes. Peut-être pas plus tard que dans deux ans, un an, voire six mois.