Cela faisait suite d’ un désaccord majeur autour de la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France. Aussitôt elle a été remplacée par un vrai ami personnel et politique de Valls, Jean-Jacques Urvoas.
Icône de la gauche ?
Rarement ministre n’aura suscité autant de passions. Souvent perçue comme plus à gauche que ses collègues ministres, moins « langue de bois », Christiane Taubira n’est pas novice en politique. Depuis son élection à l’Assemblée nationale en 1993, elle n’a cessé de jouer un rôle dans la vie institutionnelle : députée européenne de 1994 à 1999, puis candidate à la présidentielle en 2002. Elle était donc garde des Sceaux depuis l’arrivée au pouvoir de François Hollande.
Elle a fait avancer deux dossiers importants dans une société française immobile. En tant que députée, elle est à l’origine de la loi qui reconnaît la traite négrière et l’esclavage comme crimes contre l’humanité. Ministre, elle a défendu vigoureusement et obtenu l’adoption, dans un climat délétère, à la fois homophobe et ouvertement raciste à son égard, de la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Mais en matière de justice, le bilan est maigre. Elle a certes réussi à faire supprimer les peines planchers pour les récidivistes créées par Sarkozy, ou à faire adopter quelques aménagements de peines alternatives à la prison. Mais beaucoup de ses projets n’ont pas été réalisés ou ont été franchement combattus, comme la réforme du statut pénal du chef de l’État, la refonte de la justice des mineurs, ou la suppression de la Cour de justice de la République... Ce qui autorise le Syndicat de la magistrature à écrire : « il y a déjà longtemps que le gouvernement a démissionné en matière de justice » !
Icône de la droite ?
La droite et l’extrême droite ont sans surprise crié victoire (encore une !) à l’annonce du départ de la ministre. Et elles pourraient bien se réjouir de l’arrivée de Jean-Jacques Urvoas. « Monsieur sécurité » au PS, auteur d’ouvrages sur la sécurité, il a été rapporteur de la « loi renseignement » votée en 2015, un Patriot Act à la française.
Urvoas ne ménage pas sa peine pour défendre les services de renseignement, les encourager à intensifier leur travail d’espionnage de la population en réclamant toujours plus de nouveaux moyens. Sa vision de la justice se confond avec celle de la sécurité, qui justifie toutes les méthodes. Ainsi, a-t-il déclaré que, sur la sécurité, il fallait faire comme en Bretagne : « travailler au chalut ». Ce qui laisse prévoir que le ministère de la Justice ne désavouera pas les arrestations arbitraires et massives décidées par les agents du ministère de l’Intérieur. Pire il est un fervent partisan « de la fusion des deux ministères dans un grand ministère de la règle et du droit ». Demain la fusion des pouvoirs ?
Cette nomination renforce bien évidemment la ligne Valls, la priorité donnée à l’administratif sur le judiciaire. Elle nous rapproche toujours plus de l’État autoritaire dont ce gouvernement a besoin pour nous diviser et pour faire taire nos luttes contre la multitude de reculs sociaux qu’il nous impose afin de satisfaire, encore et encore, la quête de profit du patronat.
Roseline Vachetta
* « Justice : Un pas en avant dans le tout-sécuritaire ». Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 322 (04/02/2016) :
https://npa2009.org/actualite/societe/justice-un-pas-en-avant-dans-le-tout-securitaire
Hollande et les parlementaires, le grand jeu !
Vendredi 22 janvier, François Hollande recevait les chefs des partis représentés au Parlement pour entendre leurs avis sur la réforme constitutionnelle, la prorogation de l’état d’urgence et le projet de loi pénale.
Au travers de ces entretiens, l’objectif annoncé par le chef de l’État était que « le texte rassemble le plus largement possible ». Il souhaitait aussi rassurer après les propos d’un Valls qui affirmait que l’état d’urgence serait maintenu tant que la menace de Daesh existerait et tant que celui-ci ne serait pas détruit. C’est sans doute la vérité sur ce que prépare le gouvernement, mais ce n’est pas la communication dont rêve Hollande au moment où il doit s’assurer que les trois cinquièmes des parlementaires approuveront les modifications constitutionnelles, la prolongation de l’état d’urgence puis la nouvelle loi pénale ! Celle-ci devrait permettre d’inclure dans le droit commun des mesures prises seulement quand l’état d’urgence est déclaré, comme les perquisitions administratives de jour comme de nuit ou l’assignation à résidence pour les personnes « au comportement suspect ».
Pour la droite, toujours plus !
Sans surprise et tous courants confondus, la droite fait de la surenchère. Sarkozy a assuré François Hollande de son soutien... en rajoutant ses conditions : la possibilité administrative d’assigner à résidence les individus « réputés dangereux ». Le patron de l’UDI Jean-Christophe Lagarde exige lui que la déchéance de nationalité s’applique à tous les Français, et pas seulement aux binationaux. Peu lui importe apparemment la création d’apatrides, la création d’exclus de nationalité qui seraient ainsi « privés du droit d’avoir des droits ». D’autres à droite encore veulent que la déchéance de nationalité pour les binationaux s’applique aussi quand ils sont auteurs de crimes et de délits, même s’ils n’ont aucun lien avec le terrorisme.
Nous disions que décider de la déchéance de nationalité pour les binationaux, c’est-à-dire d’aller sur le terrain de l’extrême droite et de la droite, ouvrirait un boulevard à la suppression de droits, à la discrimination, à la division, à la montée de la défiance et du racisme. Nous y sommes.
Au PS, à droite toute !
Le patron du PS Cambadélis a déclaré qu’il était favorable à la constitutionnalité de l’état d’urgence, à sa prolongation de trois mois, ainsi qu’à la déchéance de nationalité pour les binationaux convaincus d’actes terroristes. Tout cela en affirmant qu’il ne fallait pas faire de différences entre les Français (!) ni créer d’apatrides...
Majoritairement, les parlementaires socialistes suivront leur dirigeant, mais il est possible que certains s’y opposent, comme ils l’ont annoncé notamment à Mediapart.
Pour EELV et le Front de gauche, ce sera Non !
La pression d’une partie de leurs adhérents qui militent pour la levée de l’état d’urgence dans différents collectifs, les multiples bavures dans l’application actuelle de cet état d’urgence, le sentiment que cette fois le gouvernement va trop loin en créant la déchéance de nationalité pour les binationaux... tous ces faits ont dû peser sur ces prises de décision positives...
Pour notre part, nous ne nous résignerons jamais à vivre dans un État d’exception, qui conduit de plus une politique raciste. Cela veut dire dans l’immédiat réussir les manifestations de ce samedi 30 janvier pour la levée de l’état d’urgence.
Roseline Vachetta
* Paru dans l’Hebdo L’Anticapitaliste - 321 (28/01/2016) :
https://npa2009.org/actualite/politique/hollande-et-les-parlementaires-le-grand-jeu