Lettre ouverte à Madame Christiane Taubira, ministre de la Justice
Paris, le 19 Janvier 2016
Madame la Ministre,
Depuis maintenant plus de trois ans, nous vous alertons au sujet des circulaires Alliot-Marie et Mercier invitant les procureurs, à partir d’une lecture intentionnellement biaisée de la loi de 1881 sur la presse, à engager des poursuites contre les militants de la campagne internationale BDS appelant au boycott, au désinvestissement et aux sanctions à l’égard d’Israël.
Les actions s’inscrivant dans ce cadre sont pourtant clairement la manifestation d’un engagement citoyen relevant de la libre expression de chacun et non d’un quelconque appel à la discrimination, et ce quel que soit le positionnement respectif de nos organisations quant à la campagne BDS. Et le boycott lui-même est une action légitime comme vous l’avez vous-même soutenu naguère.
On avait pu penser que l’effet de ces circulaires s’éteindrait de lui-même. Il n’en est rien. La Cour de cassation a rendu le 20 octobre dernier deux arrêts validant la condamnation de militants de Mulhouse dans une affaire où ils avaient été relaxés en première instance. Cinq autres militants sont poursuivis à Toulouse pour une simple distribution de tracts. L’action nationale lancée à l’initiative de l’AFPS le 7 novembre dernier pour demander aux enseignes de la grande distribution de ne plus proposer à la vente des produits en provenance des colonies israéliennes risque fort de se traduire par de nouvelles mises en cause.
Le Premier ministre, interrogé sur ces circulaires, a précisé dans un courrier au secrétaire général de l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) que ce dossier relevait de votre responsabilité. Par un courrier en date du 20 novembre 2015, le Président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a lui-même souligné que la question de l’abrogation de ces circulaires « méritait indubitablement d’être posée ».
Le moment dramatique que nous vivons après les monstrueux attentats de Paris ne rend que plus nécessaire la suppression de cette circulaire. Il est impératif, si l’on veut s’opposer de façon crédible par tous à toutes les formes de racisme et singulièrement à l’antisémitisme, de marquer que la critique de la politique d’un Etat ne saurait être confondue avec la mise en cause d’une population. Ne pas oser le faire ne pourrait que renforcer une fracture et une incompréhension graves dans toute une partie de la population et de notre jeunesse alimentant les fantasmes antisémites que nous combattons.
Les démarches initiées par Jean-Claude Lefort, député honoraire et Président d’honneur de l’AFPS, comme les courriers qu’il vous a adressés avec la CGT et la LDH n’ont abouti à rien. C’est solennellement qu’au nom de nos organisations, intransigeantes vis à vis de toute manifestation de racisme et de discrimination, nous nous adressons aujourd’hui à vous.
Nous vous le demandons, Madame la ministre, abrogez sans plus attendre ces circulaires déshonorantes pour notre pays auxquelles il serait paradoxal que votre nom reste à son tour attaché.
Nous vous prions d’agréer, Madame la Garde des Sceaux, l’expression de nos sentiments les plus distingués.
Françoise Dumont, Présidente de la LDH
Philippe Martinez, Secrétaire général de la CGT
Taoufiq Tahani, Président de l’AFPS
Déclarations de Manuel Valls sur l’état d’urgence : la tentation du pire
Communiqué LDH
Manuel Valls vient de déclarer, à l’occasion d’une interview accordée à la BBC, concernant la reconduction de l’état d’urgence en France « Tant que la menace existe, nous devons employer tous les moyens dont nous disposons dans notre démocratie, dans le cadre de l’état de droit, pour protéger les Français ». Il semble également ressortir de ses propos qu’il souhaite maintenir cet état d’exception « jusqu’à ce qu’on en finisse avec Daesh ».
Ainsi, si on tire les conséquences des propos du Premier ministre, les craintes des citoyennes et des citoyens et des organisations de la société civile mobilisés contre le maintien de l’état d’urgence sont confirmées. Le gouvernement et son Premier ministre semblent s’engager dans la volonté de faire vivre notre pays dans un état d’exception en s’accordant des pouvoirs considérables en dehors de tout contrôle du juge judiciaire.
Ne nous y trompons pas, renvoyer le retour au fonctionnement normalement démocratique de notre société à une hypothétique victoire aux contours incertains contre le terrorisme international, c’est prendre le chemin de l’arbitraire et de l’atteinte aux droits fondamentaux.
La LDH s’insurge contre de telles perspectives qui semblent se préciser dans les discours de nos gouvernants et s’engagera toujours plus résolument pour un retour au plein exercice de nos droits et de nos libertés. C’est le message qu’elle portera, avec plus d’une centaine d’ autres organisations, lors des nombreuses manifestations qui se dérouleront un peu partout en France le samedi 30 janvier.
Ligue des Droits de l’Homme (LDH). Paris, le 23 janvier 2016
La LDH demande au Conseil d’Etat de suspendre tout ou partie de l’état d’urgence
Communiqué LDH
La LDH, représentée par Maître Spinosi, a introduit, le 19 janvier 2016, un référé-liberté afin de demander au Conseil d’Etat de suspendre tout ou partie du régime de l’état d’urgence actuellement en vigueur.
La LDH n’entend nullement contester l’importance cruciale de la lutte contre le terrorisme mais elle sollicite toutefois, de la plus haute juridiction administrative française, plus de deux mois après la mise en œuvre de l’état d’urgence, qu’elle suspende tout ou partie de ce régime d’exception ou, à tout le moins, qu’il soit enjoint au président de la République de procéder à un réexamen des circonstances de fait et de droit qui ont conduit à sa mise en œuvre.
Si les attaques terroristes des 13 et 14 novembre ont naturellement justifié la prise de mesures exceptionnelles, le Premier ministre lui-même avait alors reconnu que « l’Etat d’urgence est une réponse à court terme » et de poursuivre que cette mesure permettrait aux autorités « d’aller vite pour démanteler les groupes susceptibles d’agir et pour neutraliser les individus au comportement menaçant ».
La LDH entend toutefois souligner qu’un tel régime d’exception, par essence hautement attentatoire aux libertés fondamentales, ne saurait perdurer dans un Etat de droit et n’est précisément légitime que lorsqu’il est au service de ce dernier. Les dérives constatées lors de la mise en œuvre de ce régime, associées à sa perte d’efficacité naturelle au cours du temps, plaident encore incontestablement en faveur de sa suspension.
Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Paris, le 20 janvier 2016