« Le silence coupable des féministes », attaque le magazine Valeurs actuelles en couverture de sa dernière édition. « Où sont passées les féministes ? » s’est interrogé le Figaro tandis que surgissait, sur Twitter, cette insanité : « Une féministe, c’est une femme qui se bat pour que son fils joue à la poupée pendant qu’un migrant joue au docteur avec sa fille. » Pénible dégât collatéral de l’affaire de Cologne que cet empressement à salir un mouvement qui a tant combattu pour faire pénaliser le viol. C’est pourtant après une forte mobilisation des féministes qu’il fut reconnu en France comme un crime, et non plus un délit : c’était en 1980, peu de temps après l’émotion suscitée par le viol, par cinq hommes, d’un couple de femmes à Aix-en-Provence. Merci à Gisèle Halimi et à sa défense des victimes face à l’avocat Gilbert Collard, qui s’empresse à présent d’accuser les féministes d’inaction. Plus tard, en 1992, c’est aussi grâce à une forte mobilisation de femmes engagées que le viol conjugal a enfin été légalement reconnu.
« Tous les pays ».
Aujourd’hui encore, n’en déplaise à ceux qui les raillent, les féministes ont bel et bien condamné les événements de Cologne, d’Osez le féminisme au Collectif national pour les droits des femmes en passant par des blogueuses comme Crêpe Georgette. En Allemagne aussi évidemment, bien que divisées, elles ont diffusé ce hashtag, Ausnahmslos (« sans exception »), inspiré par des figures tutélaires du féminisme et de l’antiracisme, comme Angela Davis : aucune excuse, ni pour les agresseurs sexuels ni pour les racistes. Elles réaffirmaient ainsi la force du lien entre féminisme et lutte contre le racisme, comme l’écrivaient dans une tribune, parue dans Libération mercredi, la professeure en sciences de l’éducation Sylvie Ayral et le géographe Yves Raibaud : « La biologisation de l’infériorité des femmes et des personnes à la peau noire ou foncée provient de la même matrice patriarcale. » [1]
Sans se défiler, les blogueuses et associations féministes qui ont manifesté lundi à Paris, en réaction aux événements de Cologne, se sont aussi chargées de rappeler à quel point les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde, dans « tous les pays, tous les milieux, tous les espaces », avec ce slogan : « Non à la violence contre les femmes, que ce soit à Cologne, à la fête de la bière ou dans la chambre à coucher. » Et ce, en prévenant bien qu’« en aucun cas » ces violences ne sauraient être « instrumentalisées », en particulier par l’extrême droite.
Vigueur et constance.
Une position dans la droite ligne de celle de l’écrivaine Virginie Despentes, elle qui, dans son King Kong Théorie (2006), écrit ceci à propos du viol : « Voilà un acte fédérateur, qui connecte toutes les classes sociales, d’âges, de beautés et même de caractères. » Et de poursuivre : « Qu’on cesse de nous faire croire que la violence sexuelle à l’encontre des femmes est un phénomène récent, ou propre à un groupe quelconque. »
Enfin, mettre ainsi les féministes sur le banc des accusées, cela revient à oublier toutes celles qui, nées en Afrique ou au Moyen-Orient, mettent les pieds dans le plat et dénoncent avec vigueur et constance les attouchements, agressions sexuelles et viols qu’elles subissent au quotidien. C’est le cas notamment de la journaliste américano-égyptienne Mona Eltahawy, plusieurs fois victimes d’agressions sexuelles, qui explique (notamment dans son ouvrage Foulards et Hymens : Pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle, paru en juin) : « La combinaison de facteurs sociétaux, religieux et politiques rend l’espace public particulièrement dangereux pour les femmes. »
Au fait, qui a dénoncé et raconté les agressions sexuelles subies par les manifestantes de la place Tahrir et les viols déguisés en « tests de virginité » perpétrés par les autorités égyptiennes ? Les féministes. Qui a lancé, en 2010 en Egypte, l’application HarassMap, permettant de géolocaliser et recenser les lieux où des agressions sexuelles ont été commises, idée déclinée dans plus de 25 pays partenaires ? Des féministes, hommes et femmes.
Catherine Mallaval, Johanna Luyssen