Les scènes de violences sexuelles perpétrées le soir du réveillon en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Finlande relèvent à la fois du déjà-vu et du jamais vu. L’effrayante blessure des femmes ciblées par ces groupes d’hommes est assurément de la même nature que celle des femmes agressées collectivement place Tahrir en 2011.
Dans ces événements tout comme dans le vécu quotidien des femmes de l’Asie jusqu’en Amérique, en passant par la France, on perçoit comment le sexisme engendre des violences. Si la vaste réalité multiforme des violences sexuelles n’est pas l’apanage des pays dits islamiques, les faits du 31 décembre invitent à dépasser ce constat pour saisir ce qu’ils comportent de « jamais vu ». A Cologne, les récits des victimes et des témoins convergent pour identifier la majorité des agresseurs comme étant de type arabe. Les premières enquêtes officielles confirment que les deux tiers des suspects interpellés sont des hommes en situation irrégulière ou des réfugiés, originaires de pays dits islamiques (Algérie, Irak, Iran, Maroc, Syrie), même s’il faut y ajouter deux Allemands, un Serbe et un Américain.
Devant ce tableau, nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi et comment des hommes que leur situation administrative incertaine aurait dû inciter à de la prudence ont pu faire preuve d’une telle agressivité sexuelle. Que se passe-t-il dans leurs têtes pour qu’ils commettent de tels actes ? Qu’ils soient organisés ou spontanés, qu’ils soient en lien avec des réseaux de délinquance ou non, ils témoignent de l’image que ces hommes se font des femmes, de ces femmes qui ont pris la liberté de se mêler à des hommes, dans la rue, en pleine nuit. Les documents retrouvés sur certains des interpellés retranscrivent des formules de harcèlement sexiste traduites de l’arabe en allemand. Ils indiquent une préméditation certaine de la part d’agresseurs convaincus que les femmes libres ne sont que des « traînées ».
Liberté des femmes
Ces clichés rappellent ce qu’on entendait ouvertement sur le viol, dans un passé pas si lointain, au sein même de pays démocratiques, y compris en France. La faute du viol rejaillissait toujours sur les femmes aux tenues ou aux comportements jugés provocants ou ambigus, sur les femmes sortant seules le soir, fréquentant des lieux jugés peu recommandables. Malgré l’avancée des lois, ce regard tarde à disparaître. Il reflète la volonté de l’ordre moral patriarcal de délimiter l’espace de liberté des femmes selon leur rôle consacré, leur rôle d’épouses et de mères, gardiennes du foyer, pendant que les hommes s’exercent à conquérir le monde.
Ces dernières décennies, le monde dit musulman vit, à travers les propagandes islamistes, une surexcitation de ces codes sexués patriarcaux que la charia entérine. En désignant la liberté sexuelle comme le point crucial de la culture occidentale, l’islamisme identifie les droits des femmes et des homosexuels comme les pires fléaux d’une « occidentalisation » qui détruirait l’identité islamique. La mixité et l’autonomie des femmes sont aussi présentées comme sources de corruption sociale et de désordre. Dans cette optique, la prescription du voile, garant de la pudeur, et des conduites inhérentes à respecter confère d’emblée aux femmes non voilées un caractère impudique. Pour mesurer les conséquences du développement de l’islamisme, il suffit de comparer les images de femmes citadines en Egypte dans les années 1960 et aujourd’hui. L’écart est flagrant, tout comme il l’est pour la Tunisie, l’Iran.
Codes islamistes
En France, l’essor du voile que l’on observe dans certains quartiers depuis les années 1990 relève aussi de ce développement complexe et perfide des codes islamistes dont il nous est dit qu’ils protègent les femmes et préservent leur dignité. Dans le même temps, le corps des femmes est désigné comme le lieu du péché et la liberté sexuelle est confondue, volontairement, avec la pornographie et la prostitution. Aux côtés des islamistes, d’autres mouvements religieux néoconservateurs de diverses obédiences (notamment chrétiennes) œuvrent au développement de cette propagande. L’un des effets en est la culpabilisation des femmes libres et la restriction de leur liberté.
Etrangement, cet esprit rétrograde imprègne les paroles de la maire de Cologne lorsque, rapporte la presse occidentale, elle recommande aux femmes de respecter « une certaine distance, plus longue que le bras » avec les inconnus pour se protéger d’éventuels assauts. Le chef de la police de Vienne ne fait pas mieux quand il déclare dans les médias autrichiens : « Les femmes ne devraient pas sortir seules dans les rues la nuit, elles devraient éviter les lieux sensibles ».
Cette inversion de la culpabilité, lourde pour les femmes, dessert aussi les hommes qui se voient réduits à une animalité incontrôlable. Or, le sexisme n’est pas une fatalité. Les individus ne sont pas les purs produits du système dans lequel ils ont baigné, ils possèdent la capacité de réfléchir et d’agir de manière autonome. Cela est aussi valable pour les migrants et les réfugiés, pour ces centaines de milliers de nouveaux arrivants en Allemagne que les agresseurs du Nouvel An sont loin de représenter. Il n’empêche que l’alerte donnée par ces violences doit nous amener à ouvrir les yeux sur la nécessité d’intégrer dans l’accueil des migrants, au même titre que dans les autres champs de l’action sociale, la prévention des violences sexistes et sexuelles.
Force est de constater que l’existence de ces violences, dont les femmes migrantes font aussi les frais, notamment dans les foyers de réfugiés, a souvent été minimisée, voire ignorée. Que les auteurs de ces faits soient aussi victimes de violences racistes ou qu’ils souffrent de misère matérielle ou affective n’excuse rien. Bien au contraire, mesurer ces faits est primordial, non seulement pour agir efficacement contre les violences, mais aussi pour contrer les propagandes racistes qui se nourrissent toujours des zones d’ombre abandonnées aux extrêmes.
Chahla Chafiq