Contre l’entente pourrie, la gauche syndicale enfin se mobilise
Lutte commune organise une campagne « Non à l’entente »
Les grands médias minimisent le refus de l’entente par les déléguées de la FSSS et par la direction de la FAE tout en soulignant les déclarations de la CSN et de la CSQ affirmant que son acceptation n’aurait rien à voir avec la lutte contre l’austérité. Même les médias de gauche, au 8 janvier, gardent le silence (L’Aut’Journal) ou même penchent du côté de la direction du Front commun (Presse-toi-à-gauche) [1]. Quant à Québec solidaire, y compris sa gauche syndicale, c’est motus et bouche cousue. Heureusement, les résistants, représentant environ un bon tiers sinon davantage du secteur public et parapublic québécois si on inclut les quatre syndicats de la FSE-CSQ ayant dit non dont ceux de Québec et Sherbrooke et une imprécise dissidence à la FNEEQ peuvent compter sur la gauche syndicale organisée dans Lutte commune.
À sa réunion du 6 janvier, belle épiphanie, son assemblée publique d’environ 75 personnes, très largement composée de membres du Front commun et de la FAE dont plusieurs dizaines sont intervenus durant la soirée, a lancé sa campagne du « Non à l’entente » à l’image de celle locale du syndicat du cégep Lionel-Groulx. Notons toutefois une sous-représentation de la présence des femmes particulièrement forte au niveau de la direction improvisée mais largement acceptée de l’organisation. Il a fallu un bon deux ans pour que la gauche syndicale prenne assez de confiance en elle-même pour se sortir du carcan de la formule des conférences et échange d’opinions sans déboucher sur un plan d’action, sans comités de travail et sans direction élue donc sans influence à la base sauf auprès des déjà convertis. La réunion du 6 janvier a réglé de belle manière la question du plan d’action.
Une difficulté non banale : la lutte politique contre l’austérité
La direction de Lutte commune avait soit rédigé soit pris à son compte une série de courts textes pouvant servir de tracts [2]. On remarque cependant que ceux-ci mettent presque exclusivement l’emphase sur la question des salaires et quelque peu sur les pensions mentionnant à peine directement ou indirectement la lutte contre l’austérité, thème toutefois souligné dans le tract du SECHUM. On sent les militants coincés par le choix initial de la FSSS, et même de la FNEEQ, de sacrifier les aspects coupures et privatisations, et les conditions de travail en général, propres aux ententes sectorielles en faveur de hausses salariales assurant à la fois une protection contre l’inflation, le rattrapage face au privé syndiqué dont l’écart frôle les 10% et une participation à la hausse de la productivité.
Pourtant, les mobilisations de la FSSS contre la loi 10 durant le Printemps 2015 concernaient avant tout les coupures. Le largage subséquent de la lutte contre l’austérité au niveau de la convention collective, en plus de la loi des services essentiels restreignant le droit de grève y compris la présence aux manifestations, a considérablement nui à l’unité proactive de la FSSS avec la population. N’eut été du mouvement Je protège mon école publique rendu possible par une plus grande sensibilité des syndicats des professeurs du primaire et du secondaire à la question de la qualité de l’éducation, il est probable que la sympathie accrue de la population envers l’ensemble du Front commun n’aurait pas été au rendez-vous quoique le retard salarial des bas salariées ne la laissait pas indifférente.
Ce sera un défi pour Lutte commune de surmonter cet handicap qui pour l’instant ne semble pas préoccuper la grande majorité de ses membres à en juger par les interventions. Quelques personnes ont quand même souligné l’importance de la défense des services publics ou de la lutte contre les coupures et contre l’austérité en général dont un des animateurs de la réunion et les trois seuls intervenants non syndiqués. Reste que pour la majorité, considérant que la priorité de l’heure est de convaincre les syndiquées qui vont participer aux assemblées générales et aux référendums durant le mois de janvier de rejeter l’entente, l’important est de décortiquer son aspect salarial lequel demeure crucial pour les bas salariées. Somme toute, de conclure une intervenante, le but politique de la lutte pour les salaires est de « sortir du cadre financier » prétendument respecté par l’entente selon le ministre Coiteux. « Défoncer » ce cadre s’avère la première chose à faire pour sauver les services sociaux. De compléter un des animateurs de la rencontre, la direction du Front commun est passé du compromis à la compromission par respect du cadre financier.
Une hausse salariale qui finira en baisse du pouvoir d’achat pour les bas-salariées
L’entente n’assure qu’une augmentation plancher de 5.25% de l’échelle salariale sur 5 ans. Les forfaits de 500 $ la première année et de 250 $ la dernière année sont hors échelle. Et que dire du recul à terme sur le régime de pensions : l’âge de la retraite passera de 60 à 61 ans et la pénalité actuarielle pour la retraite anticipée augmentera de 50%. Reste la question chaude et alambiquée de la relativité salariale. Tant le gouvernement que la haute direction syndicale avaient pourtant convenu que celle-ci, complétant pour les groupes mixtes l’équité salariale pour les groupes à prédominance femme ou homme, était une question de justice sociale hors convention collective. Et voilà que les deux larrons en font un élément clef du règlement salarial qui en plus ne s’enclenchera qu’en 2019. Cette relativité ayant des impacts très différenciés par corps d’emploi et par degré d’ancienneté affaiblit la solidarité. Par exemple, elle sera très avantageuse pour les plus anciens professeurs de cégep tout en n’accordant rien à 15 000 membres de la FSSS. Il en résultera probablement une acceptation de l’entente par la FNEEQ selon plusieurs intervenants de cette fédération dont certains allaient jusqu’à dire qu’elle s’est faite acheter.
En fait, il n’est même pas garanti que l’entente salariale compense l’inflation à laquelle on peut s’attendre étant donné la baisse importante du dollar canadien suite aux déboires des secteurs pétrolier et minier. Et rien n’annonce une remontée prochaine des prix de ces matières premières et des produits de première transformation que le Canada exporte queue par dessus tête pour pouvoir importer toute une panoplie de biens de consommation. Un coût de la vie qui augmenterait de 2% l’an est donc une hypothèse fort réaliste. En ce qui concerne les importations d’aliments frais spécialement en période hivernale, un item important dans le panier de consommation des bas salariées ou qui devrait l’être pour se garder en bonne santé, la crise climatique permanente en Californie n’annonce rien de bon. Somme toute, il n’y aura ni rattrapage salariale ni enrichissement et probablement pas une hausse équivalente à l’inflation y compris pour les chanceux de la relativité sauf pour la dernière année de la convention. Comme l’a souligné un intervenant, si on avait voulu une protection contre l’inflation, on aurait tout simplement introduit une clause d’indexation. En fait, la présente entente salariale est en-dessous du décret de 2005 d’ajouter un autre intervenant. Et dire que les médecins profiteront automatiquement de cette entente en plus de ce qu’ils ont déjà obtenu de conclure une militante de la FSSS connue pour son franc-parler.
Une campagne « Non à l’entente » dedans et dehors
On a déploré que la direction du Front commun présente l’entente comme un fait accompli, qu’elle joue sur la peur d’une loi spéciale... contre laquelle la meilleure arme est la mobilisation de compléter un intervenant. On aurait pu ajouter qu’elle utilise cyniquement l’acceptation de l’entente par les déléguées de la Fédération des services publics de la CSN à 76% pour encourager les autres à faire de même. Toutefois, la grande hâte de la direction de la CSQ à faire ratifier l’entente par ses déléguées, tout en tonitruant en porte-à-faux un discours combatif de lutte contre l’austérité, ce à quoi s’adonne aussi le président de la CSN, lui rebondit en plein visage par le refus de ses syndicats de Québec et de Sherbrooke, et de deux autres endroits, de jouer le jeu. Face à la combativité de la FAE regroupant le tiers du personnel enseignant du primaire-secondaire, la CSQ commence à mal paraître. Même dans les fédérations et petites centrales penchant vers l’acceptation telles la FNEEQ, la FEESP, APTS, on sent beaucoup de tiédeur... qui ne demande que la pression d’un bon argumentaire et d’une convaincante démonstration de force pour basculer dans le camp du refus au moment du vote des assemblées générale locales ou des référendums.
Ce qui ouvrait la porte à la discussion sur le plan d’action pour la deuxième partie de la réunion dans le vacarme du marteau-pilon occasionné par les travaux du CHUM, peut-être une prémonition des batailles à venir. Tous et toutes s’entendaient pour donner la priorité à influencer le vote très prochain de la base syndicale. Le temps pressant, il s’agit d’utiliser les réseau sociaux au maximum sans négliger la distribution de tracts, à organiser par l’intermédiaire du réseau social de Lutte Commune, et, last but not least, les interventions planifiées lors des assemblées. Certains, toutefois, ont insisté sur l’organisation d’actions, ou de perturbations, donnant de la visibilité et permettant l’implication de tous et toutes qui ne feront pas partie des syndicats ayant refusé l’entente ou même du mouvement syndical. Il serait possible d’organiser des équipes de mobilisation syndicales ou intersyndicales dans un même lieu de travail comme au Collège Maisonneuve ou des collectifs plus larges encore comme dans Ahuntsic-Cartierville-Montréal-Nord autour du collège Ahuntsic et du cégep Marie-Victorin.
On a suggéré le déploiement de bannière « Non à l’entente » à des endroits propices ou de tractages lors des assemblées ou à d’autres occasions. D’insister un intervenant il s’agit d’organiser une campagne politique « Non à l’entente » permettant une lutte d’ensemble, de faire de la lutte contre l’entente pourrie, un « enjeu de solidarité ». Le noyau de cette campagne pourrait reposer sur une alliance FSSS-FAE que la manifestation « Je soutiens l’école publique » organisée par la FAE le 16 janvier à 13h au Marché Maisonneuve [3] rendrait visible d’autant plus que le conseil fédéral de la FSSS dans les jours précédents fournirait l’occasion d’un ralliement auquel pourrait certainement se joindre le mouvement Je protège mon école publique qui vient de décider de continuer ses chaînes humaines de début de mois [4]. Un des animateurs a noté, cependant, la difficulté de rejoindre les régions hors Montréal.
Porte ouverte anti-bureaucratique sur la démocratisation des syndicats
Il faut comprendre le rejet de l’entente comme un « événement » ouvrant une brèche vers la démocratisation du mouvement syndical. Pour éviter les pressions indues de la bureaucratie syndicale qui tentera d’occuper le temps de parole lors des assemblées tout en inondant les membres de littérature bien formatée, il faudrait assurer que l’entente soit connue à l’avance par les membres tout en garantissant le temps nécessaire pour le débat au moment de l’assemblée et surtout exiger un vote secret. On aurait pu mentionner aussi la possibilité de contre-littérature issue des directions locales ou fédérations opposées à l’entente de la table centrale. La méfiance vis-à-vis la bureaucratie syndicale est telle qu’un autre intervenant a même suggéré de faire une manifestation en face du siège de la CSN tout en apposant des autocollants « en grève » sur l’édifice.
Un autre a posé le problème de la confiance à l’actuelle direction syndicale pour poursuivre la lutte le cas échéant. Ce qui ouvre la question de la construction d’équipes alternatives mais on n’en est pas là. Sauf que la FSSS dispose d’un mandat de 10 jours de grève qui, pour ne pas tomber dans une routine démobilisante de 42 minutes de grève légale par jour, demandera de la pro-activité telle peut-être une distribution de littérature aux usagers des cliniques externes et des CLSC de même qu’aux visiteurs... ou d’autres actions perturbatrices dedans et dehors en jonction avec la FAE et d’autres forces militantes.
Un point aveugle : Québec solidaire
Il faut quand même constater qu’il est bien tard pour intervenir. Une reprise de la lutte à un haut niveau, nécessaire pour vaincre la grande coalition néolibérale gouvernement-patronat-médias-bureaucratie syndicale exigera un supplément d’âme, de courage et de détermination... et un saut démocratique vers l’auto-organisation à partir de la base. Comme plusieurs intervenants l’ont affirmé, cette lutte est politique car elle remet en question l’austérité même s’il est possible que le gouvernement fasse un petit effort supplémentaire s’il sent un flottement capitulard. Autrement, ce sera sans doute la loi spéciale ou le décret qui doublera la mise politique. Cette lutte concerne donc au premier chef Québec solidaire qui s’affiche comme le parti anti-austérité, anti-hydrocarbures et anti-répression. Jusqu’ici, le parti s’est contenté d’appeler à la bonne foi gouvernementale tout en appuyant le Front commun. À propos de la contre-offre syndicale, des ententes sectorielles et de l’entente à la table centrale, il est resté coi.
La direction du parti joue à fond la prétendue division du travail entre la politique partisane, qui lui reviendrait, et la lutte sociale qui serait de l’unique ressort des mouvements syndical et populaires quitte à appuyer leurs combats. C’est peut-être cette conception non-dialectique, typiquement social-démocrate, que partage la grande majorité des membres de Lutte commune. Personne en effet lors de cette assemblée publique n’a fait appel à un appui de Québec solidaire pour la résistance à l’entente pourrie. Pourtant un tel soutien serait de mise, étant donné le parti-pris féministe et anti-pauvreté de Québec solidaire, et surtout serait susceptible, s’il était conséquent et mis en évidence, d’influencer le vote de la base syndicale tout autant sinon davantage que la mobilisation que Lutte commune est en mesure d’organiser dans les prochaines semaines tellement tout est à faire. Ah ! Que c’est aisé d’appuyer les luttes syndicales et populaires quand convergent base et sommet grâce au contrôle étroit de la base par le sommet.
Et que dire de l’Intersyndicale du parti qui accepte cette dichotomie en retardant au 12 janvier sa réunion votée unanimement pour le 4 janvier sans y inviter un représentant de la direction du parti, comme demandé par la minorité, pour ne pas la forcer à se compromettre. En effet, pour la première fois de sa courte histoire de 10 ans, le parti est confronté à choisir entre les intérêts de « paix sociale » de la bureaucratie syndicale d’abord soucieuse de ses privilèges et de son statut et ceux du prolétariat du moins de sa couche la moins fortunée et la plus précaire, majoritairement femme. La direction du parti préférerait préserver son alliance avec les directions syndicales plus propice, pense-t-elle, à un retour d’ascenseur au moment des élections en 2018, et surtout plus propice à préserver une image de modération consensuelle qui lui garderait ouverte la tolérance médiatique, peut-être un jour un appui d’un grand ou moyen média, et qui lui éviterait une violente rétroaction du capital financier, à la Syriza, le jour où le parti s’approcherait de la majorité parlementaire. Pour ce faire, elle compte sur l’Intersyndicale pour la protéger, sur son flanc gauche, de ce choix faustien.
La pérennité de Lutte commune serait en soi une grande victoire
Reste que cet éveil in extremis de la gauche syndicale est un saut qualitatif dont on commençait à désespérer. Quoiqu’il advienne de l’évolution du rapport de forces, il faudra préserver et développer ce début d’auto-organisation. Mais plus Lutte commune marquera de points dans cette lutte-ci, plus la probabilité de sa continuation sera grande en même temps que le prolétariat y gagnera peut-être économiquement à court terme et sûrement politiquement en indépendance de classe tant face à l’ennemi patronal et à ses partis que face à ses faux amis bureaucratiques et sociaux-libéraux. Le secret le mieux gardé pour une telle réussite c’est que la substantifique moelle de Lutte commune continue à être ce corpus de militantes et militants syndicaux, y compris à sa direction, connectés à la base et surtout loin de la gangrène bureaucratique ou apprenti-aspirant bureaucratique surtout quand elle se pare d’un discours de gauche.
Marc Bonhomme, 8 janvier 2016
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